Julie Wagener

17 mai. 2024
Julie Wagener

© neimënster
Article en Français
Auteur: Sarah Braun

Julie Wagener : « Être artiste est à la fois un job comme les autres et à la fois quelque chose de tellement différent »

En amont de ses portes ouvertes qui se tiendront ce dimanche 19 mai, neimënster avait lancé fin 2023 un appel à candidatures pour « Re : Connect », une résidence de recherches de deux semaines, destinée à questionner la connexion entre l’art et les publics. Les artistes ont ainsi été invités à sortir de leurs cadres habituels et traditionnels, afin de proposer des façons innovantes et ludiques d’engager le public, de partager des émotions, des sensations et des réflexions de leurs créations. Parmi les artistes sélectionnés, la Luxembourgeoise Julie Wagener, qui évoque avec nous le rôle de l’artiste dans la société et son projet qui sera présenté à cette occasion.

RÉSIDENCE Re : Connect

Julie, quel a été votre parcours ?

Je suis née en Colombie en 1990, et ai été adoptée par des parents luxembourgeois. Mon parcours scolaire a été somme toute classique puisque j’ai fait ma scolarité au Grand-Duché pour ensuite partir à Bruxelles étudier l’illustration. Au lycée déjà, j’avais choisi de m’orienter vers une section artistique ; j’ai toujours beaucoup aimé aller à des concerts, je me voyais dessiner des affiches ou encore des flyers. Tout cela était très présent dans mon esprit. J’ai hésité entre graphisme et illustration, deux métiers qui étaient en lien avec la créativité et qui, pour autant, apportaient davantage de certitudes économiques que le simple statut d’artiste. Finalement, le graphisme ne m’a pas plu, je trouvais cette discipline trop rigide, trop carrée. L’illustration s’est alors imposée d’elle-même. Tout cela s’est passé de façon très naturelle, finalement : j’ai eu l’envie et la chance de pouvoir faire ce métier, qui est ensuite devenu réalité.

Vous considérez-vous comme une artiste ?

L’idée commence à s’imposer, mais cela n’a pas immédiatement été le cas. J’ai débuté en tant qu’illustratrice en 2015 : en faisant ce job, je me considérais alors comme quelqu’un qui prestait des services. Je travaille pour des clients très divers et variés, cela n’allait pas vraiment de pair avec l’idée que je me faisais de l’artiste. Je ne me reconnaissais pas dans ces gens qui travaillent de grands concepts, dans des démarches réflexives et créatrices très poussées. Je trouvais que c’était un bien grand mot pour décrire les petites images que je créais ! Avec le temps, j’ai commencé à produire des choses plus personnelles, en marge des créations qui me permettaient de gagner ma vie. J’avais envie d’autre chose, ne travailler que pour mes clients ne me nourrissait plus assez. Je dirais que le déclic est vraiment venu quand j’ai débuté la peinture à huile : à partir de ce moment, j’ai commencé à moins ressentir le fameux syndrome de l’imposteur. À présent, j’assume totalement les deux facettes de mon métier d’illustratrice : certes, je produis pour des clients, mais mes créations personnelles me permettent d’affirmer que j’exerce le métier d’artiste.

Qu’avez-vous ressenti quand vous avez appris votre sélection pour cette résidence ?

J’ai été très surprise, et très heureuse. Dès le début, j’avais choisi de m’écarter de ma pratique quotidienne de la peinture et de l’illustration. J’ai d’abord proposé une installation, qui n’était pas possible dans les contraintes de lieu et de temps imposées par cette résidence à neimënster … Alors j’ai décidé de me concentrer vers une autre discipline, à savoir l’écriture. Mon idée était la suivante : mettre des mots sur ma pratique, à la fois pour m’expliquer mon travail à moi-même, mais également pour le rendre compréhensible du public. Ma peinture a beau être figurative, les champs d’interprétation sont toujours nombreux... Deux semaines durant, donc, j’ai écrit afin de verbaliser ce que, d’ordinaire, je visualise. Cette résidence m’a vraiment permis une pause réflexive sur mon travail qui, en règle générale, est plutôt instinctif, c’était très intéressant. Cela m’a aussi permis de mettre des mots sur les émotions qui me traversent quand je crée. Il y a également une autre facette de ce projet qui m’intéressait, dans le sens où la santé mentale et l’état émotionnel sont des sujets que je thématise dans mon travail. De quelle façon, en tant qu’êtres humains, nous pouvons être véritablement marqué.e.s par des émotions, pour, ensuite, poursuivre notre vie, tenir debout et exister, tout simplement. Cette résidence m’a permis de questionner tout cela.

C’était la première fois que je répondais à un appel à candidature pour entrer en résidence. D’abord parce que je ne me sentais pas assez légitime dans mon travail d’artiste, en quelque sorte. Et puis, il y a toujours la question financière : s’autoriser cette parenthèse créative impose de ne pas travailler pour mes clients, avec toutes les incidences budgétaires que cela peut engendrer. Cette résidence de deux semaines étant financée, je me suis sentie libérée de cette contrainte. Enfin, ce projet a été enrichissant dans le sens où il m’a donné l’opportunité de sortir de mon cadre habituel – comprenez mon atelier au 1535, à Differdange – pour voir comment je réagissais dans un lieu différent, une fois sortie de ma zone de confort en quelque sorte.

Cette expérience a vraiment été très riche et plaisante, je suis très heureuse du travail que j’ai produit ici.

Justement, à quoi les visiteurs peuvent-ils s’attendre en venant à neimënster ce dimanche ?

Des écrits que j’ai réalisés pendant les deux semaines de résidence, j’ai extrait des citations qui portaient sur mon travail. J’en ai fait de grands drapeaux, qui sont désormais affichés sur la façade de la salle Robert Krieps. Je suis très satisfaite du rendu final, car ces citations résumaient vraiment bien toutes les pensées et émotions qui accompagnent mon travail et mon quotidien. La deuxième partie sera quant à elle visible dans mon atelier de résidence : on y trouvera les textes que j’ai rédigés ; quelques tableaux également seront exposés.

Est-ce que votre pratique vous aide à vous retrouver vous-même ?

Oui, je le pense. Je plaisantais justement avec une autre artiste, également en résidence à neimënster, hier sur tout le mal que l’on se donne dans notre pratique, dans notre quotidien d’artiste. Être artiste est à la fois un job comme les autres et à la fois quelque chose de tellement différent : les heures qu’on ne compte pas, les crises existentielles qui reviennent systématiquement toutes les trois semaines, les choses qui ne fonctionnent pas ou simplement le fait de ne pas être payée à l’heure dite… Mais, malgré tout cela, au bout du compte, vient ce moment où l’on ressent une vocation, cette envie irrépressible de faire, de réaliser et, personnellement, cela me rend heureuse et je prends les moments plus difficiles pour apprendre, pour évoluer… Je ne pourrais pas exercer un métier qui ne m’apporte pas la satisfaction que j’éprouve actuellement en tant qu’illustratrice.

Quel est, selon vous, le rôle de l’artiste ?

Je ne me vois pas comme une artiste activiste. Si j’ai envie de parler de quelque chose, je le fais et puis voilà. Mais plus le temps passe, plus j’avance dans ma pratique, et plus je me dis qu’il faudrait, peut-être, aller vers plus d’engagement. Cela étant, je pense que c’est aussi une question de timing. Quand j’ai débuté, j’avais tendance à suivre une envie, mais, au fil du temps, je me suis rendu compte que ce n’était plus assez. J’ai donc souhaité aller plus loin et me questionner plus en profondeur sur le « comment du pourquoi » de ma pratique. Mais je dirais in fine que, oui, il incombe à l’artiste d’ouvrir le débat, de montrer et dénoncer des choses qui sont cachées. De mettre en marche quelque chose d’inattendu. Pour autant, je ne voudrais pas que mon travail devienne inintelligible et trop conceptuel. Le public doit toujours rester dans l’équation. L’envie d’écrire sur ma pratique, de rendre visible aux yeux de tous tout ce qui se passe en moi pendant le processus créatif est de cet ordre-là.

Quels sont vos projets à venir ?

Je continue bien sûr à produire pour mes clients, je reste fidèle au poste, comme avec la Kulturfabrik qui s’apprête à célébrer ses 41 ans : à cette occasion, j’ai dessiné différents visuels destinés à leur communication. Un autre grand projet à venir cette année et qui me rend heureuse : une exposition à la Villa Vauban, autour d’une collection de gravures que je mets en relation avec mon travail et qui vise à aborder des sujets socio-politiques en trouvant des parallèles qui ont transcendé les siècles.

Pour plus d'infos: 
https://juliewagener.com/
https://reuterbausch.lu/artist/julie-wagener-9
https://www.artworkcircle.lu/artistes/julie-wagener/
https://1535.lu/en/members/julie-wagener