Idées de paix - Frans Masereel

15 juil. 2022
Idées de paix - Frans Masereel

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Depuis le 30 avril dernier et jusqu’au 14 août prochain le Musée National de la Résistance et des Droits Humains accueille certaines des œuvres majeures de l’artiste expressionniste Frans Masereel. Disparu en 1972, le belge a connu deux guerres mondiales, la dictature, le fascisme, l’oppression, la pauvreté, pour dénoncer cela dans une œuvre manifeste, pleine de puissance et au génie graphique indomptable. Comme beaucoup de projets cette année, l’exposition Idées de Paix s’inscrit dans le cadre d’Esch 2022, capitale européenne de la culture, au cœur d’un projet dessiné par le MNR et baptisé « Qui cherche la paix ». Une question sans point d’interrogation, qui se veut rhétorique, tant elle a été adoptée par le Musée qui montre déjà, trois mois à peine après sa réouverture, son ambitieuse nouvelle direction artistique. Rencontre avec Frank Schroeder, l’ancien professeur d'art devenu le directeur du musée, qui depuis 2008 gère le musée d’une main de maître, avec rigueur et passion, en témoigne cette monographie exceptionnelle sur Frans Masereel.

MNR

Inauguré en 1956 pour préserver la mémoire des victimes luxembourgeoises de l'occupation nazie, le Musée National de la Résistance et des Droits Humains, ferme en 2018 pour se moderniser et revitaliser ses collections. Quatre années plus tard, en avril dernier, le MNR réouvre et dévoile une exposition permanente évidemment tournée vers la notion de « résistance », couplé dorénavant à une dimension muséale consacrée aux « Droits humains ». Au printemps 2023 la totalité de l’exposition permanente sera accessible au public, pour l’heure pourriez-vous nous parler de la ligne de conduite qu’a adopté le MNR depuis sa réfection ?

La mission première du musée, qui est de garder le souvenir des souffrances de la population luxembourgeoise, continue au cœur des activités du musée. À travers nos publications et sujets traités dans nos expositions, le musée fait le lien important, en tant que médiateur, entre le public et le monde scientifique et universitaire. L'approche didactique est mise en œuvre dans le cadre de projets intergénérationnels, interculturels et multilingues qui peuvent être axés sur l’histoire, l’éducation ou l’art. Dans ce sens, nous allons encore plus creuser nos relations avec les écoles et lycées en ciblant aussi d’autres établissements au-delà du territoire eschois et de l’autre côté de la frontière.

En essayant d'établir des liens entre le passé et le présent, ainsi qu'en organisant des cérémonies en l'honneur des victimes du nazisme, le musée favorise non seulement la sensibilisation à la mémoire, mais aussi l'éducation à la citoyenneté et à la politique. Nos expositions temporaires et manifestations traitent de sujets d'actualité tels que la situation des Roms, la condition des homosexuels ou l'immigration des fugitifs de guerre – chose que nous continuerons à aborder dans le futur, surtout en vue d’une exposition temporaire qu’on présentera sur les victimes oubliées de la Seconde Guerre mondiale en 2023.

Dans le cadre d’Esch 2022, capitale européenne de la culture, le MNR a mis sur pied un projet intitulé « Qui cherche la paix ». Point d’orgue de ce projet, jusqu’au cœur de l’été, le Musée National de la Résistance et des Droits Humains présente l’exposition artistique Idée de Paix. Montée par l'équipe curatoire composée des représentants du musée (Olivier Bouton et Frank Schroeder), et de K8 - Institut für strategische Ästhetik (Henrik Elburn, Julia Hartnik), en collaboration avec la Frans Masereel Stiftung Saarbrücken, quelle a été la genèse de cette exposition ?

Il y a quelques années déjà, Uschi Macher du Ministère de la Culture du Saarland nous avait contacté par rapport à une exposition sur Frans Masereel. Or, l’état du musée et les surfaces disponibles avant son agrandissement et sa rénovation ne présentaient pas un cadre digne d’un artiste de renommée internationale. Nous avons donc attendu sa réouverture et le contexte de la Capitale européenne de la Culture Esch2022 pour présenter ce grand artiste expressionniste. Pour réaliser cette exposition, nous travaillons étroitement avec nos partenaires allemands depuis 2019.

Dans Idée de Paix, vous exposez le travail absolument passionnant de l’artiste belge Frans Masereel, autour de ses dessins pour la presse, quelques peintures, ou encore ses étonnantes gravures. Pourquoi mettre en lumière un tel artiste dans le cadre de votre ligne muséale tournée vers la résistance et les droits humains ?

Frans Masereel était un pacifiste convaincu. Tout au long de sa vie, il consacre son art à la dénonciation de la guerre, de la violation des droits humains et de la répression – à nos yeux, c’est un acte de résistance et un véritable appel au respect de la dignité humaine. Certes, il dépeint la mort et la destruction qui survole toute l’Europe, mais on sent que l’espoir et la volonté de lutter, de résister transbordent de son esprit vers ses productions artistiques. N’oublions pas que Masereel a vécu les deux guerres mondiales et a été victime de répression lui-même. Ainsi, son témoignage devient d’autant plus relevant.

Depuis peu, le nom officiel de notre musée inclut les droits humains. Nos expositions cherchent à interpeller le visiteur par rapport à ce sujet. Masereel y parvient par ces œuvres monochromatiques et « simples », véhiculant de manière très efficace des messages que le visiteur appréhendera facilement – même sans avoir vécu les atrocités représentées.

MNR

Pour le quotidien pacifiste La feuille, Masereel produit entre 1917 et 1920 plus de 800 commentaires graphiques contre la guerre et ses conséquences. Estimé par Thomas Mann, Hermann Hesse ou encore Stefan Zweig, sous l’occupation nazie, ses livres sont interdits, ses tableaux retirés des musées… Pourquoi Masereel et son travail artistique étaient-ils aussi craints par les fascistes ?

Le fait de régulièrement publier ses dessins dans des quotidiens et des revues, mais surtout ses nombreuses publications d’histoires en images critiques le rendent extrêmement populaire dans la période d’entre-guerres. Sa coopération avec les plus grands auteurs et artistes de son époque amplifient la portée de ses productions.

Masereel maîtrise la transmission de sujets et de messages, et il traite de façon subtile et explicite des sujets complexes, souvent tabouisées. Il introduit des personnages stéréotypés – la nationalité du soldat, de l’ouvrier, du général ou de l’industriel ne l’intéresse pas. Masereel s’attaque aux systèmes et à la guerre elle-même. Ses gravures et dessins expressifs accusent.

Ainsi il n’est pas surprenant que son œuvre humaniste et antifasciste, largement connue et diffusée en Allemagne, déplaise au régime national-socialiste. De manière globale, les nazis considèrent l’expressionnisme comme art dégénéré.

Dans votre introduction au catalogue de l’exposition, vous décrivez Frans Masereel comme « humaniste et pacifiste européen ». Sa vie entière, il l’aura consacré à témoigner des conséquences de la guerre, la répression, la destruction et la mort. Dans l’effrayant contexte géopolitique actuel, frôlant la catastrophe d’un nouveau conflit armé international, que nous enseigne le travail de Masereel ?

L’œuvre de Masereel a une universalité effrayante, indépendante de l’époque et de l’origine du spectateur. Aujourd’hui, alors que la guerre en Ukraine, fortement médiatisée, nous préoccupe, elle suscite des rapprochements aux images auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement. La violence et les souffrances, que ce soit en Ukraine, au Yémen, en Érythrée, en Syrie, sont universelles. L’œuvre de Masereel tient un miroir à notre société et dénonce ses responsabilités – entre autres celles de nos décideurs politiques et économiques.

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