Industries culturelles et NFT : entre révolution numérique et incertitude juridique 1/2

10 nov. 2021
Industries culturelles et NFT : entre révolution numérique et incertitude juridique 1/2

Article en Français
Auteur: Guylaine Bouquet-Hanus

De l'art, en passant par la musique, la mode, le luxe et jusqu’au divertissement, le NFT (non-fungible token) – qui est en quelque sorte un titre de propriété d’un actif digital vendu sur Internet –, est la nouvelle coqueluche technologique qui séduit les industries culturelles sur base d’une promesse alléchante : garantir l'authenticité des œuvres numériques, valoriser leur rareté et rapprocher les artistes de leur public en supprimant les intermédiaires. Pour autant, les œuvres vendues au format NFT suscitent de nombreuses questions, alors que le droit européen ne se prononce pas encore clairement à leur sujet.

Posséder une œuvre au format NFT, ça veut dire quoi ? Quels sont les risques et opportunités entourant le sujet pour les artistes et investisseurs ? Entre les raccourcis et les acronymes, entre les enthousiastes et les détracteurs, difficile de s’y retrouver. On vous en dit plus…

Aparté : pour bien comprendre

Un nouveau phénomène lié à la blockchain fait beaucoup parler de lui en matière de création numérique, boosté par l’ère COVID-19 : celui des NFT, les non-fungible tokens - en français, comprenez des jetons non-fongibles - ou plus simplement jetons non-échangeables. Pour schématiser, ces jetons virtuels sont un peu comme des jetons de pokers, des supports de valeur, correspondant à une somme d’argent. Ils circulent donc comme des actions qui peuvent prendre ou perdre de la valeur mais ils s’échangent sur des blockchains et non pas en bourse.

Il n’est ainsi pas possible d’aborder ce sujet sans parler de blockchain. Rappelons que la blockchain ou chaîne de blocs est une technologie de stockage et de transmission d’informations qui offre de hauts standards de transparence et de sécurité. Concrètement, on parle d’une chaîne de blocs qui forme un système informatique participatif et décentralisé. La chaîne relie plusieurs serveurs et utilisateurs placés partout dans le monde et les blocs servent à stocker de l’information. Chaque bloc contenant de l’information est verrouillé par un code – une cryptographie – qui permet à la fois de certifier, protéger et retracer le passage de l’information par le biais de cette communauté. C’est par ce système infalsifiable qu’existent les cryptomonnaies. L’écriture cryptée permet de certifier que tel élément numérique a été acheté par tel agent à un moment donné.

Tout ceci laisse une empreinte numérique unique, c’est pourquoi la technologie blockchain est très intéressante pour prouver l’authenticité des œuvres artistiques, matérielles ou non. Plus récemment devenus des titres de propriété d’objets purement virtuels, les NFT confèrent l’unicité à l’objet artistique et disposent chacun de leur propre code traçable associé à un fichier numérique. En principe, une œuvre du même artiste n’est pas égale à une autre, son originalité la distingue. A contrario, un fichier numérique peut être copié à l’infini et il est impossible de distinguer une copie d’une autre. La subtilité du NFT intervient alors : en étant non-fongible, le fichier qui lui est lié prend de la valeur. Ce fichier qui en temps normal se duplique n’est plus égal aux autres. Comme dans le marché de l’art, c’est le jeu de l’offre et de la demande qui fait augmenter la valeur du jeton à mesure qu’il est échangé.

Une expérience inédite

Ces jetons sont acquis par des personnes physiques soit en vue d’un investissement financier, souvent spéculatif, soit dans le cadre d’une collection de valeur symbolique ou sentimentale, ou bien pour accéder à des communautés plutôt élitistes voire « secrètes », en lien avec un artiste, un hobby, un sport ou une marque. Au-delà du titre de propriété qu’il confère, le jeton, en fonction de sa valorisation, peut aussi déverrouiller l’accès à des événements, des offres ou des expériences inédites.

Il faut bien noter qu’un jeton non-fongible représente quelque chose d’unique. Le caractère unique et rare, c’est bien évidemment ce que va chercher l’artiste, l’auteur de l’œuvre et les équipes qui l’entourent. Citons par exemple le cas du label Karl Lagerfeld, qui a décidé de lancer sa toute première œuvre NFT en hommage au couturier, disparu en février 2019. Ancien directeur artistique de Chanel et de Fendi, le personnage continue de fasciner le monde de la mode comme le grand public.

Le label a ainsi imaginé deux figurines à son effigie, lookées comme le couturier, disponibles en édition limitée sur la plateforme de mode numérique The Dematerialised.

Screenshot de la première figurine NFT Karl Lagerfeld © Guylaine Bouquet-Hanus

Screenshot de la première figurine NFT Karl Lagerfeld © Guylaine Bouquet-Hanus

Seules 777 personnes dans le monde ont pu acquérir cet avatar en septembre dernier. Le fichier NFT permet de disposer de la figurine en 3D et de la positionner dans n’importe quel décor avec son iPhone.

Si jusqu’ici les NFT liés à l’art ont constitué la face la plus visible de cette technologie, les jetons non-fongibles ouvrent des perspectives aux industries culturelles au sens large. Vecteurs d’une proximité réinventée entre les publics et les créateurs, ils offrent l’opportunité de faire connaitre les traditions, l’histoire, le patrimoine et de les inscrire dans la mémoire collective. Comment ?

Nous allons vous l’exposer dans la deuxième partie de l’article.

Partie 2 à suivre.

ARTICLES