Le fabuleux destin de Simone Mousset

15 juin. 2021
Le fabuleux destin de Simone Mousset

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Simone Mousset - Se perdre et se trouver

Originaire d’un petit village du Luxembourg, Simone Mousset est une enfant timide. Stimulée par sa mère dans des activités de « gymnastique maman-bébé », elle trouve sa hardiesse autour de ses cinq ans, au ballet, sans savoir encore aujourd’hui d’où lui en est venu l’envie. Attirée par la langue et la culture anglaise, elle se fascine pour ce pays, allant jusqu’à fréquenter la communauté britannique au Luxembourg et une école de ballet anglaise. Après des cours d’été intensifs dans divers conservatoires en Angleterre, elle y auditionne pour se former à la rigoureuse école britannique, dans des cours dispensés par le Trinity Laban Conservatoire of Music and Dance, la Royal Academy of Dance et la compagnie EDge de la London Contemporary Dance School. Plus tard, son approche s’agrémente de son travail avec de nombreuses compagnies européennes, mais aussi d’expériences en Russie et dans d’autres pays de l’Est comme l’Ukraine et la Biélorussie.

Émotionnellement touchée par ces environnements qu’elle ressent comme riches et intenses, elle s’instruit du contact et du désordre qu’elle peut y trouver pour faire évoluer sa pratique artistique. S’y mêlent de façon invisible ces expériences et émotions rencontrées au fil du temps. Récompensé du Prix ​​de la danse luxembourgeoise en 2017, son travail chorégraphique est aujourd’hui l’un des plus singuliers du pays, couplant les genres, traditions et médiums, avec sincérité et originalité. Oscillant entre le Royaume-Uni, le Luxembourg et la France, Simone Mousset ne lâcherait pour rien au monde sa liberté créatrice et personnelle, trouvant à exulter en Europe, en Russie, au Moyen-Orient et assurément, un de ces jours, à travers le monde entier…

Vous dites aimer jouer avec votre public et le dérouter dans ses attentes. Entre humour, irréalité, et absurde, vos spectacles mêlent une certaine contemporanéité avec le folklore des pays que vous avez parcourus. Comment décririez-vous votre approche chorégraphique ?

Ma pratique est très large, puisant dans la danse, le théâtre, la performance, les arts visuels, le dessin, l'écriture et la parentalité. Ma démarche chorégraphique est aussi le résultat de ce qui m'a marqué, de ce qui m'est resté et de toutes les tendances qui m’entourent en termes de recherche ou de vision du monde. Je m'intéresse à l'incertain, au désordonné, à l'irrésolu et à l'ouverture d'espaces pour se rapporter au « non-savoir ».

The Passion of Andrea © Sven Becker

Sur votre premier spectacle en tant que chorégraphe vous vous entourez notamment d’Elisabeth Schilling qui deviendra l’une de vos principales collaboratrices entre 2015 et 2017. Ensemble, vous montez Impresssing the Grand Duke en 2016, et on vous colle le label de « chorégraphe émergente ». Vous travaillez sur l’idée de s’établir en tant qu’artiste. Vous nous expliquez les tenants et aboutissant de cette collaboration artistique ?

C’est peut-être la seule véritable collaboration chorégraphique que j’ai connue. Ça s’est produit naturellement, de manière organique. C'était un an après la naissance de ma première fille, l'ambiance était très spéciale. Nous avons beaucoup ri. Bien sûr, le culte de la jeune artiste émergente, du prochain nouveau talent, était très présent dans nos esprits, et le mien en particulier, en tant que jeune mère et artiste vivant au Luxembourg. Nous nous moquions de cela, et nous nous en amusions, pour peut-être y faire face, tout en étant très conscientes de construire nos carrières émergentes, en même temps.

La même année, ironiquement, vous participez au TalentLAB, une plateforme luxembourgeoise de soutien à l’émergence du spectacle vivant international. Comme dans Impressing the Grand Duke, y avez-vous cherché à faire « la pièce la plus originale du monde » ?

Oui, j’ai vraiment cherché à le faire. Le TalentLAB était présenté comme un espace où l'on pouvait tout essayer et prendre de nouveaux risques. C'était exactement le bon moment pour moi de le faire. J'ai pris cette invitation très au sérieux. Je suis partie sur un terrain inconnu, à plusieurs niveaux. C’était la première fois que je cherchais des fonds, que je travaillais avec des danseurs que je ne connaissais pas encore et qui ne venaient pas du Luxembourg, que je plongeais plus profondément dans le travail textuel, et, que je ne jouais pas dans ma propre pièce. Koen Augustijnen, mon mentor cette année-là, a été merveilleux, son soutien précieux. Je n’oublierai jamais l’impact de ses encouragements à ce moment critique de mon parcours.

Votre création The Passion of Andrea, or : How We Learned to Laugh With Our Monsters est née de vos recherches au TalentLAB. Une pièce pleine d’ironie dans laquelle vous soumettez à vos interprètes des mouvements autant que des mots. Quelle place tient le « texte » ou le « phrasé » dans votre travail ?

Le texte me donne une forme de liberté et très peu de limites. La danse a peu d'histoire et d'héritage quant aux traditions d'utilisation du texte et de la langue. Alors j’en joue. Au début, j'explorais la voix dans toutes les directions possibles, mais maintenant, je suis curieuse de voir comment le travail du texte, et, de plus en plus, de la chanson, évoluera dans mes prochaines pièces. Je m’intéresse aussi à la langue. Dans The Passion of Andrea 2, par exemple, le texte nous a obligé à aborder un contexte multilingue, logé entre le Luxembourg, le Royaume-Uni et la France. La traduction en direct, et les tentatives de traduction par les interprètes eux-mêmes sont devenues partie intégrante de ce travail.

BAL © Sven Becker

Dans BAL en 2017, vous développez des problématiques en corrélation avec votre précédente création qui traitait d’insécurité, d’instabilité, d’angoisses et de conflits. Ici, c’est de patriotisme et d’identité nationale dont vous parlez, par le prisme de l’histoire inventée des sœurs Bal, « figures légendaires de la danse folklorique luxembourgeoise », que vous racontez dans un ballet « documenteur ». Quel était votre parti pris ici ?

Comme souvent, au début je n’avais pas de parti pris. La question était de savoir ce qui découlerait de ma confrontation aux danses folkloriques luxembourgeoises. À un moment donné, je ne pouvais plus nier que j’avais inventé toute une saga familiale, et que j’avais passé une bonne partie du temps des répétitions à créer une fausse exposition, au lieu d’explorer le matériel folklorique existant. J’aime le mythe qui en est sorti, et j’aime que la pièce soit devenue un mythe.

Derrière ce canular, vous vous attaquez à la question du Nation Branding, pour être lauréate peu de temps après du Lëtzebuerger Danzpräis 2017, visant à « encourager la création chorégraphique contemporaine ou le mérite artistique d'un jeune danseur au Grand-Duché de Luxembourg ». N’est-ce pas une extraordinaire conclusion à votre précédent « débat » chorégraphique ?

Oui. On se souvient peut-être de l'idée qu'en récompensant l'art « critique », un gouvernement occupe les artistes et les empêche de manifester dans la rue. En même temps, je suis très reconnaissante. J'ai à peine l'illusion que mes pièces pourraient provoquer un changement fondamental par rapport à l'image de marque d’une nation ou du nationalisme. Mais j'espère surtout qu'elles pourront se voir comme un récit alternatif. Si nous n’imaginons pas d’alternatives possibles, je crois que nous sommes perdus.

À titre de chorégraphe associée au Théâtre d’Esch, vous présentez The Passion of Andrea 2 au Festival d’Avignon cet été. Quel lien entretient ce spectacle avec le premier du même nom ?

À l'origine, je l'ai vu comme une suite à la version créée au TalentLAB. Plus tard, il est devenu clair que cela n'avait aucun sens. Pour les besoins de ce nouveau travail, nous avons décidé que la version originale n'existait pas. The Passion of Andrea 2 est devenue perdue, orpheline, vagabonde, progéniture sans racines. Même si certains éléments ont été tirés tels quels du premier projet et n'ont pas du tout changé. Peu importe combien de fois nous avons essayé de les transformer, la version originale s'est imposée à nous. Ça nous questionne et ce n’est pas étonnant de voir à quel point The passion of Andrea 2 est si confus.

The Passion of Andrea © Sven Becker

Quand vos précédents spectacles affichaient une dizaine de noms au générique, celui-ci en comprend presque une trentaine. Si l’on s’attarde sur l’évolution disons « structurelle » de votre travail, de votre qualité d’artiste « émergente » à « consacrée », en seulement quelques années, qu’est ce qui a changé ?

Beaucoup, et j'en suis très reconnaissante. Je m’étonne souvent de la rapidité avec laquelle il nous a été nécessaire et possible de professionnaliser le fonctionnement interne de notre structure. Bien que nous soyons loin d'avoir terminé, nous apprenons beaucoup au fur et à mesure, et nous pouvons identifier et remédier systématiquement à notre manque de connaissances et de compétences. Mais je trouve que le plus difficile est de trouver à s’entourer des bonnes personnes. Cela restera toujours pour moi la tâche la plus précieuse, la plus importante, et la plus délicate.

Avec The passion of Andrea 2, vous partez au Festival OFF d’Avignon, du 10 au 20 juillet. Qu’espérez-vous trouver là-bas, au cœur de l’un des plus grands festivals au monde dédié à toutes les formes de spectacle vivant ?

Vivre. Vie. Performance. Esprit. Espoir. Énergie. Activité. L'été. Gens. J'espère être stimulée. Je souhaite vraiment avoir des conversations pleines d'espoir avec d'autres artistes et artisans, et me sentir à nouveau vivante. Je pense que je suis actuellement un peu morte, à l'intérieur. Plus stratégiquement, nous espérons pouvoir présenter nos travaux à un éventail de programmateurs français, pour étendre notre activité et notre visibilité en France.

En ce moment, vous montez BAL : Pride and Disappointment. Une collaboration avec l'artiste Lewys Holt, vu comme une « réaction » à votre spectacle antérieur BAL créé en 2017. Pour introduire cette pièce vous dites, « et si la déception était quelque chose que chaque nation visait ? » Ce spectacle vous-a-t-il apporté, ou se veut être, une forme de réponse ?

Je travaille souvent avec des questions un peu illogiques ou « renversées », pour mener le processus de travail vers des endroits inattendus. Je ne pense pas que ce spectacle vise particulièrement à une réponse, je trouve beaucoup plus intéressant de reconnaître que c’est une question et une thématique extrêmement complexe, et d’essayer d’articuler comment on peut s’y retrouver, comment en tant qu’êtres humains on fait face à cette complexité. Il y va, pour moi, d’un sentiment de solidarité, dans notre difficulté collective de répondre à ces questions qui nous hantent.

The Passion of Andrea © Sven Becker

Où en êtes-vous – à la mi-mai – dans votre processus de création ?

Jusqu'à présent, nous avons travaillé deux semaines en janvier 2020, une semaine en octobre 2020, et après annulations et rééchelonnements, nous sommes maintenant deux danseurs qui n'ont pratiquement pas dansé depuis 15 mois, face à cinq courtes semaines pour terminer, produire et interpréter une pièce dont nous avons tout oublié.

Prochainement, vous contribuerez au programme culturel du pavillon luxembourgeois à l’Exposition universelle de Dubaï 2020, qui se déroulera entre le 1er octobre 2021 et le 31 mars 2022. Quelles sont vos ambitions dans ce cadre si polémique ?

La commission du programme culturel de Dubaï est un autre sac rempli de questions complexes. Dans ma collaboration et ma conversation avec Renelde Pierlot, nous nous posons chaque jour ces questions : qu'avons-nous prévu ? Pourquoi le planifions-nous ? Devrions-nous le planifier ? Avec qui le planifions-nous ? Ces questions récurrentes nous ont torturé, et se sont finalement transformées en projet. Nous ne savons pas encore la forme que cela prendra, mais notre objectif est de soulever des questions et de donner la parole à un éventail d'artistes autour de récits invisibles, manipulés, absents et d'un sentiment d'inquiétude qui se cache, dans toute la ville de l'Exposition Universelle, dans sa propre arène et au-delà.

Enfin, quels sont vos projets pour la suite ?

Je prévois une nouvelle production pour 2022, dans le cadre de la programmation du Escher Theatre et d'Esch 2022, intitulée Empire of a Faun Imaginary. J'ai vraiment hâte de découvrir ce nouvel univers. Je travaille également avec la curatrice russe Nika Parkhomovskaya pour un projet en Russie. J’ai un lien intime avec la Russie, et j’ai le sentiment que je dois m’y plonger, pour mieux la comprendre. Depuis 2021, je suis également artiste associée au centre de danse contemporaine The Place, à Londres. Les cinq prochaines années, mon temps va donc se partager entre le Luxembourg et Londres, mais également la France et St-Pétersbourg.