Justine Blau : « Veil of Nature » à Tartu

14 juin. 2024
Justine Blau : « Veil of Nature » à Tartu

© Steìphane Pauletto
Article en Français
Auteur: Isabelle Debuchy

Mise à l’honneur à Tartu, deuxième plus grande ville d'Estonie, dans le cadre de l’année culturelle 2024, l’artiste plasticienne Justine Blau porte haut les couleurs du Luxembourg à travers son exposition « Veil of Nature » explorant son thème de prédilection : la relation de l'humain avec la nature.

C’est au jardin botanique de l'Université de Tartu que Justine Blau déploie son projet « Veil of Nature », dont la commissaire est Fanny Weinquin. Une exposition qui s’est métamorphosée au fil du temps depuis ses réflexions plastiques autour de « Extinction- De-extinction » créée au Luxembourg en 2018.

Manipulation (autoportrait), détail, 2020 © Justine Blau

« Veil of Nature », dilemmes et des interactions entre nature et culture.

Quêteuse de sens, l’artiste examine sans relâche certains des dilemmes et des interactions entre nature et culture. C’est ainsi que, à Tartu, photographies, vidéos et sculptures côtoient le monde végétal, tout en se fondant dans l'environnement avec des œuvres mêlant documentation, illusion et narration. Plasticienne, enquêteuse, scientifique, Justine Blau endosse tout à tour ces rôles et élabore son projet artistique en forme de dédale qui suscite l’introspection.

En plasticienne, elle interroge donc cette relation de l'homme avec le monde du vivant et les stratégies de préservation. L’artiste visuelle crée une tension dans ses clichés. Une main au cœur d’une nature magnifiée se tend vers un infini mystérieux, comme une prolongation d’un corps aux veines plantées dans la terre. D’autres membres semblent greffés à même le végétal… Ses photos-collages mettent en scène son regard anthropologique et donnent aussi lieu à des métaphores, à la lisière du réel.

Conçue pour créer un dialogue entre l'art et la science, l'exposition à Tartu traite des racines de l'histoire naturelle, de la science en tant que pratique et d'une vision du monde, ainsi que des préoccupations liées à la biodiversité et à l'extinction. Dans ce jardin botanique, lieu par excellence de préservation des espèces. « Veil of Nature » s’est enrichie d’une documentation sur les herbiers et les banques de semences en Europe, ainsi que sur des projets réels et fictifs de l'île des Galápagos, où Darwin a en partie exposé sa théorie de l'évolution. L'herbier constitue un catalogue de la diversité des plantes sur terre, servant à identifier et à garder mémoire d’espèces et génère un regard singulier sur la nature. De quelle nature au juste parle-t-on ?

Cucurbitaceae, 2020 © Justine Blau

Ranimer l’espère disparue du Sicyos villosus.

L’artiste s’est interrogée sur la conservation face à une extinction massive. « J’ai commencé des collages qui traitaient de notre rapport à une nature médiatisée » Et le projet artistique a commencé avec le Sicyos villosus- nom étrange et feuille diaphane- qui éveille sa curiosité. Cette espèce endémique des îles Galapagos, aujourd'hui éteinte, de la famille des calebasses a été recueillie par Charles Darwin, lors de son voyage sur le Beagle dans les années 30. L'artiste a utilisé la version numérisée de l'herbier de Sicyos villosus pour saisir l'insaisissable et examiner « combien de plantes rassemblées par Darwin s'étaient déjà éteintes. Étonnamment, il n'y en avait qu'une seule, et- précisément- ce Sicyos villosus figurait sur la « liste rouge ». J'ai commencé à spéculer sur les causes de cette extinction, je voulais comprendre l'extinction en tant que telle. Ce projet est devenu une pérégrination qui s'est étalée sur plusieurs années avec le Sicyos villosus comme un guide, un compagnon et un objet d'étude. »  « J'ai souvent utilisé la photographie de Sicyos villosus comme un ersatz tout au long de ce projet, en me concentrant sur le pouvoir du médium photographique de réincarnation et de mémoire. »

Lorsque Justine Blau a lu que les scientifiques espéraient recréer la plante en utilisant la biotechnologie et l'ADN du spécimen d'herbier, elle a entrepris d'explorer ce que signifiait « ramener des espèces à la vie ».  Avec l'aide du magicien Philippe Blau, elle décide de « ranimer » le Sicyos villosus. Une vidéo filme ce phénomène.  « La magie remet en question l'ordre du monde ; divers stratagèmes sont employés pour bouleverser la réalité et ses limites physiques telles que la gravité ou la finitude. Les tours de magie permettent de faire revivre des objets inanimés, de rendre le visible invisible (et vice versa), de transformer des êtres en d'autres êtres invisibles (et vice versa) et de créer des doubles ou des clones ». Avec « Veil of Nature » l’artiste plasticienne Justine Blau plonge le visiteur dans un univers empreint d'inquiétante étrangeté, profond, envoûtant, tissé d'incertitudes, où le réel et le merveilleux s'interpénètrent.

Le Magicien (Résurrection), extrait, 2020 © Justine Blau

  • L'exposition « Veil of Nature » dont la commissaire est Fanny Weinquin sera ouverte au jardin botanique de l'université de Tartu jusqu’au 28 juillet.
  • « Veil of Nature » fait référence à la célèbre citation d'Héraclite « phusis kruptesthai philei », généralement traduite par « la nature aime se cacher », dont le philosophe français Pierre Hadot (1922-2010) a retracé les interprétations successives dans son ouvrage intitulé « Le voile d'Isis. Essai sur l'histoire de l'idée de nature » (2004).
  • Le livre « Veil of Nature » est publié chez l'éditeur berlinois K. Verlag en anglais- 302 pages-  ISBN 978-3-947858-33-0- 29 €