Le fabuleux destin d’Andy Bausch

11 mai. 2023
Le fabuleux destin d’Andy Bausch

Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

42 ans après When the Music's Over, six après son précédent long métrage de fiction, Rusty Boys, le 32e long métrage d’Andy Bausch, Little Duke, est en train de faire un carton bien mérité dans les salles obscures luxembourgeoises. L’occasion de jeter un coup d’œil dans les presque cinq décennies de carrière de l’homme à la casquette.

En 2003 il sortait L’Homme au cigare, un documentaire dédié à Fred Junck, le fondateur de la Cinémathèque de Luxembourg. Le jour où un de ses camarades cinéastes luxembourgeois décidera de rendre hommage à Andy Bausch dans un film le titre de « L’Homme à la casquette » devrait s’imposer.

Le natif de Dudelange ne quitte plus son couvre-chef depuis plusieurs décennies – «ce n’est pas pour cacher une calvitie, j’ai des cheveux, mais je porte une casquette depuis tellement longtemps que désormais sortir sans, c’est un peu devenu comme sortir sans pantalon. Je me sens à moitié nu », s’amuse-t-il. Casquette ou non, Andy Bausch fait indiscutablement partie des pionniers du cinéma luxembourgeois, des dinosaures du « film Made In Luxembourg », des monstres sacrés du secteur. Un secteur qui n’existait pas quand, à peine majeur, il a commencé à tourner ses premiers films amateurs en Super 8. Un passe-temps hérité de son père, qui aimait filmer sa famille, ses fleurs, les forêts autour de Dudelange avec sa caméra 8 mm. Dès l’adolescence, le jeune Andy, alors lycéen à Luxembourg-ville, commence, lui, à filmer ses potes et surtout, en tant que grand fan de musique, les nombreux concerts auxquels il assiste.

C’est peu après qu’il fait la connaissance de son compère Thierry van Werveke. Les deux hommes ne se quitteront quasiment plus, Thierry faisant partie de presque tous les films d’Andy, jusqu’à la disparition du comédien en 2009. Rencontrés en ville, c’est dans la Forge du Sud, et plus particulièrement au bistrot « Béierbuttek », qu’ils deviennent inséparables. Andy qui a quitté l’école, vit au deuxième étage du bistrot, « dans un appartement sans téléphone, ni chauffage », tandis que Thierry tient le comptoir du bistrot légendaire où aimaient zoner les hippies, les punks et, depuis peu, les adeptes de la New Wave. Désœuvré, Andy y passe ses journées à lire ou dessiner, souvent au comptoir. « Un jour Thierry m’a demandé si je ne voulais pas un coup de main pour mes films, ne serait-ce que pour porter des câbles ». The rest is history !

Un pays sans caméra ni table de montage

À l’époque point encore d’aides étatiques et le secteur grand-ducal du cinéma se résumait à AFO et à quelques cinéastes amateurs qui « filmaient des animaux ou des fleurs et lisaient un poème par-dessus pour que ce soit joli ». Bausch, lui, va mettre un grand coup de botte dans ce petit monde bien propret avec des films en noir et blanc et des sujets complexes comme la drogue. « J’ai gagné tous les concours possibles de cinéastes amateurs, reprend-il, je me suis alors dit qu’il y avait quelque chose et j’ai voulu faire des choses plus sérieuses ».

Entre un boulot alimentaire de graphiste pour Cactus et un autre de vendeur dans un magasin photo, il filmait, avec les moyens du bord. « Personne n’avait de caméra et il n’y avait qu’une seule table de montage dans le pays, au « film scolaire » à Walferdange, qui permettait aux profs qui voulaient projeter un film de couper, avant, l’une ou l’autre scène, de sexe par exemple » se rappelle-t-il. Il poursuit : « La diffusion se limitait à une petite tournée des salles des fêtes et des écoles du pays ». Amateur et rudimentaire !

Si le cinéma luxembourgeois était encore inexistant, du côté d’Esch-sur-Alzette, une toute jeune scène théâtrale était en ébullition. Bausch va alors trainer du côté de la Kulturfabrik avec les membres de l’association « Theater GmbH ». Un de ces acteurs est le jeune Jani Thiltges, et à travers lui Andy fait la connaissance de son grand frère, Paul. Il est instituteur, il a donc un peu d’argent et le brin de folie nécessaire pour produire When the Music’s over. Toujours en Super 8.

Le seul réalisateur grand-ducal primé dans un festival de classe A

Depuis lors Andy Bausch a réalisé, et la plupart du temps scénarisé et storyboardé, de nombreux films qui ont marqué l’histoire du cinéma luxembourgeois : Gwyncilla, Legend of Dark Ages, Troublemaker, A Wopbopaloobop A Lopbamboom, Back in Trouble, Le Club des Chômeurs, La Revanche, Deepfrozen, Trouble No More, Rusty Boys et donc Little Duke. Des projets qui lui vaudront d’être le premier réalisateur luxembourgeois à voir son film projeté « dans une vrai salle de cinéma », plusieurs Lëtzebuerger Filmpräis, des nominations aux European Film Awards, ainsi que le prix du meilleur jeune réalisateur au festival de San Sebastian en 1989 – ce qui fait de lui encore actuellement le seul réalisateur grand-ducal primé dans un festival de classe A.

1989 A Wopbopaloobop
1989 A Wopbopaloobop

Des succès à répétition qui auront également de beaux retours de la critique et du publique et qui créeront un des plus beaux anti-héros luxembourgeois, Johnny Chicago. C’est lui en particulier qui le fera également remarquer par le secteur outre-Moselle. « Je ne connaissais pas spécialement la télé allemande, mais Troublemaker est passé plusieurs fois à la télé là-bas et du coup des producteurs ont voulu travailler avec ce mec avec la casquette, se remémore le cinéaste, j’ai donc fait plusieurs films là-bas, ainsi qu’un premier télé film Ex und Hopp tourné au Luxembourg et vu par 8,5 millions de spectateurs en Allemagne ».

10 ans en Allemagne comme école de cinéma

Il y passera dix ans, pendant lesquels il s’installera même pour plusieurs années à Hambourg. Lui qui a découvert le 7e Art en regardant des grands classiques à la Cinémathèque de Luxembourg ou en regardant le Cinéma de Minuit à la télé française, travaille du coup avec de grands noms de la scène allemande. Il travaillera alors « avec des opérateurs qui avaient tourné avec Fassbinder » et tournera avec de grands acteurs tel que Otto Sander, Karin Baal, Mario Adorf, Hark Bohm et Udo Kier. Du coup, « je dis toujours que ces 5 premières années en Allemagne, pendant lesquelles j’ai tourné six long-métrages et trois épisodes de série télé, en plus de mes projets luxembourgeois, ont été, pour moi, comme une école de cinéma » souligne l’autodidacte. Si cette décennie lui a apporté « beaucoup de technique », et un nouveau trophée de meilleur jeune réalisateur – cette fois-ci de télé allemande – elle l’a également obligé à accepter quelques compromis avec des producteurs et autres financiers qui finiront par le convaincre de rentrer au Luxembourg.

Malgré le succès de ses fictions, Andy Bausch, continue à tourner également de nombreux court métrages, quelques téléfilms et beaucoup de documentaires. Au départ ils étaient surtout dédiés à la musique, puis également à l’histoire du Grand-Duché : Thés dansants, Rockin’ Warriors, Electric Theater, The Very Last Cha Cha Cha, Leslie Kent, a Tale of Sex, Booze and the Blues, Entrée d’artistes, intierryview, Schockela, Knätschgummi a brong Puppelcher, D’Belle Epoque, D’Fifties, Streik !, Faustino One Man Show, Sixty8 et, dernier en date, Lost in the 80s.

2011 Belle Epoque (Vicky Krieps)

« Ce que j’aime, c’est raconter les petites histoires que normalement les gens oublient »

Des films pour lesquels le réalisateur a des sentiments partagés. « Faire des documentaires, c’est moins fascinant que faire de la fiction » reconnaît-il. Bausch préfère ses gangsters, ses personnages à la marge qui n’hésitent pas, entre deux verres, à bousculer les traditions de la bourgeoisie luxembourgeoise ou la gentrification du pays.

Mais voilà, un documentaire « c’est plus facile à financer » explique-t-il sans détour. Cependant, poursuit-il, « je fais aussi ces documentaires avec beaucoup plaisir, surtout ceux comme Sixty8 ou Leslie Kent qui tournent autour de la musique. Je m’éclate aussi à jouer au chercheur pour D’Belle Epoque, ou D’Fifties pour lesquels j’ai une approche très personnelle qui n’a rien à voir avec celle d’un historien. Moi ce que j’aime, c’est raconter les petites histoires que normalement les gens oublient. J’aime gratter, chercher, au point que je peux passer des mois à aller plusieurs fois par semaine à la bibliothèque pour trouver de la documentation ».

Un plaisir qui va, chez lui, de pair, avec une passion poussée pour l’archivage. « Je suis mon meilleur archiviste ! » lance-t-il avant d’ajouter « j’archive absolument tout ! ».

Le storyboard, un outil de travail et un plaisir personnel

Parmi ce « tout » les nombreux storyboards de ses films depuis 1982, même des films qui n’ont finalement pas vu le jour. « J’aime dessiner, souligne le réalisateur, et faire un storyboard permet de pas mal réfléchir sur son film, sur le découpage, les cadres, les mouvements ». Bausch dit faire chaque film trois fois : « je fais mon film une première fois en faisant le storyboard, une deuxième fois au tournage puis une troisième fois au montage et au mixage ». Le storyboard est donc un outil de travail « très important ». Non seulement il prend du plaisir à le faire, mais il fait surtout gagner du temps pendant le tournage – comme ça les techniciens visualisent immédiatement ce qu’il veut faire.

Des outils de travail certes, mais avec un véritable intérêt artistique. De quoi enrichir un jour ou l’autre les Archives Nationales ou encore celles du CNA. Un jour, oui, mais le plus tard possible.

Le Club des Chômeurs
Le Club des Chômeurs

Fini le bénévolat, le volontariat, l’artisanat, le feux sacré…

À 64 ans, depuis le 12 avril dernier, pas question pour lui de commencer à penser à la retraite. « Je vais m’arrêter au moment où la santé me lâchera ou si, un jour, une loi m’interdisait de continuer à faire du cinéma après 70 ans. Sinon, j’ai bien l’intention de continuer. Je suis un raconteur d’histoires et j’aime faire les films. J’oublie toujours les galères du financement, les déceptions lors des choix du comité de sélection pour les aides financières sélectives, etc… ce qui reste à chaque fois, ce sont les souvenirs de tournage… et les retours du public ».

Du coup, « j’espère faire encore quelques films », lance-t-il. Bien conscient que désormais tout projet cinématographique grand-ducal se doit de recevoir l’aval du Film Fund pour exister. Une évolution, certes positive, « je sais bien que si mes techniciens sont devenus aussi bons, c’est parce qu’ils peuvent tourner tout le temps, avec des chefs de poste différents, pour des coproductions internationales… Ils travaillent beaucoup et ils apprennent beaucoup dans des coproductions, ça permet au secteur de s’améliorer, c’est clair » ; mais les quelques 40 millions d’euros d’aides sélectives mis à disposition du secteur cinématographique par an ont aussi changé le profil de la désormais grande famille du cinéma national. Fini le bénévolat, le volontariat, l’artisanat, le feux sacré…

En 40 ans, c’est bien plus qu’une évolution qu’a connu le secteur audio-visuel luxembourgeois, c’est une révolution. Et au risque de se faire traiter de réac, Andy Bausch avoue volontiers avoir de plus en plus de mal à s’y retrouver. « Je ne m’intéresse plus vraiment au milieu ». C’est pourquoi on ne le voit jamais aux réunions professionnelles et rarement aux grandes manifestations du secteur. « Je vais quand-même aux Filmpräis, souligne le cinéaste, mais parce que ma femme insiste à chaque fois ».

Un homme tranquille

Tout en continuant à aimer filmer les bandits et autres piliers de comptoir qui aiment critiquer certains aspects du Grand-Duché et de la capitale, ou certains travers de leurs compatriotes, Andy Bausch est, en réalité un homme tranquille qui « aime rentrer tranquillement chez moi en fin d’après-midi et passer du temps en famille ».

Et si on lui demande ce qu’il aurait fait si son aventure dans le monde du 7e Art n’avait pas été concluante, il répond : « J'ai quand-même eu de l'endurance, parce que finalement ça n'a commencé à marcher qu'avec Troublemaker. Mais si vraiment ça n’avait pas marché j’imagine que je serais devenu dessinateur de BD, qui n'aurait pas pu vivre de son art et qui aurait travaillé en tant que graphiste pour une boîte de pub, créant des choses qui ne 
l'intéressent pas vraiment... Ou photographe... mais même chose, quelqu'un qui
ferait son art après le boulot qui se résumerait à photographier la Schueberfouer et les visites d'État ». Puis conclut : « En regardant en arrière, en repensant au jeune Andy de 16 ou 17 ans qui rêvait d’être musicien de rock, je peux dire que je suis bien content d’être devenu cinéaste, et de pouvoir ainsi mixer dans mon travail différents arts que j’aime : le cinéma, la littérature, le graphisme et surtout la musique ! »