Mike Zenari

10 mai. 2023
Mike Zenari

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Le travail artistique de Mike Zenari nait du médium photographique. On le définit ainsi comme photographe. Passionné de photographie depuis son plus jeune âge, il s’est toujours amusé à expérimenter avec de divers appareils, objectifs, films et manipulations numériques. Zenari aime capturer des instants, saisir des moments sur le vif, et raconter des histoires avec ses images. Friand de rencontres, bien qu’il lutte contre une forme de timidité qui l’habite, ses reportages l’amènent à se retrouver dans « des situations aussi inexplorées qu’insolites », explique-t-il. Mike Zenari s’est fait connaitre en tant que photographe de presse, partageant portraits et reportages photos dans des médias locaux tels que Paperjam, ou d'Lëtzebuerger Land, ou encore en tant qu’œil acolyte de la plupart des projets et groupes de la scène musicale luxembourgeoise. Pourtant, son travail photographique est éminemment plus complexe, tant il s’applique à photographier la vie au quotidien et en rendre compte dans des expositions qui prennent diverses formes, et ce, jusque dans l’abstraction. Jusqu’au 18 juin 2023, au Centre d’Art Nei Liicht de la ville de Dudelange, il expose une sélection de photographies sous le titre évocateur : « Humain ». Pour mots descriptifs à son exposition il pose cette question essentielle à propos des IA productrices d’images, « si un ordinateur est capable d'utiliser la réalité, de la transformer pour créer de l'illusion, pourrions-nous faire la distinction ? » Pourtant, n’est-ce pas le propre du photographe que de livrer une interprétation – la sienne – de la réalité, comme le fait l'intelligence artificielle par la fusion de métadonnées ? Ainsi, Mike Zenari, par cette exposition, esquisse un début de réponse à de nombreux débats actuels…

Pour te décrire en tant que photographe, tu emploies une citation du photographe et écologiste américain Ansel Adams, « You don't make a photograph just with a camera. You bring to the act of photography all the pictures you have seen, the books you have read, the music you have heard, the people you have loved ». Toi qui oscilles entre photographe de presse et artiste photographe, que raconte cette ligne sur ton travail personnel ?

Ce sont exactement ces mots d’Ansel Adams qui accompagnent mon quotidien. Mon œil artistique et mon travail en tant que photographe de presse interagissent. Ainsi une situation banale / bidon peut se transformer en quelque chose d’intéressant. Chaque jour me donne de nouvelles inspirations pour réaliser mon travail.

En 2016, en parlant de ta série scènes de jalousie, exposée dans le cadre de l'Exposition Locals en 2016, à la galerie Dominique Lang de Dudelange, tu expliquais alors que tes images sont doubles et offrent plusieurs lectures d’elles-mêmes, « qu'elles soient perçues à proximité ou bien à distance. La distorsion de la réalité m'intéresse tout autant que la liberté d'interprétation du spectateur et les histoires qu'il peut se créer ». Dans le sens de ta réflexion, quel est ton processus de création pour arriver à ce genre de photo qui porte en elle cette dualité de propos ?

Une photo est née dans un moment vécu, dans différentes circonstances qui par après peuvent se développer en multi lecture. Pour revenir à l’idée de Ansel Adams, une photo naît autant de fois qu’on y associe un moment vécu, représenté par différentes mises en scènes artistiques, « the pictures you have seen, the books you have read, the music you have heard, the people you have loved… ». Tous ces éléments s’incorporent dans une/mon image mais sont perçus différemment par autrui et une photo peut ainsi réunir en elle-même une infinité d’interprétations. 

Aussi à l’aise donc dans l’impressionnisme, ou l’esthétisation, que dans la photo fondamentale, ou documentaire, tu livres finalement avec ta dernière exposition, titrée « Humain », un questionnement artistique rassemblant toutes tes qualités de photographe. Logée au Centre d’Art Nei Liicht de la ville de Dudelange jusqu’au 18 juin 2023, par cette exposition, tu tentes de définir la notion d’identité, à l’heure d’une technologie qui floute les limites entre réel et illusion. Alors, quelles réponses ou quels nouveaux questionnements apporte ta série, exposée ici en présence ?

Tandis qu’une photographie reflète un instant vécu et comprend toutes les émotions, interactions humaines et esthétiques. Une image artificielle reproduit une série de caractéristiques entrées dans un moteur de recherche. Afin de différencier le réel de l’illusion, on doit examiner les images de façon précise. Pour donner un exemple dans l’exposition : il y a une photographie que j’ai prise dans la rue et j’ai tenté de recréer cette même image à partir de l’intelligence artificielle. C’est l’image d’une femme aux cheveux longs portant des lunettes orange. Cependant, pour moi, il est clair que la photo générée par l’IA, ne transporte pas d’émotions, ni aucune atmosphère. J’ai seulement réussi à créer un contexte. On peut alors se demander comment cette technologie évoluera. Pourra-t-on bientôt donner plus de profondeur aux images crées artificiellement ? Quel poids sera accordé à une véritable photographie ? Le public se contentera peut-être de cette série de caractéristiques et n’aura plus besoin d’aller chercher plus loin que cela.

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Lierkastenmann IA
"j’ai photographié la même scène avec deux ans d’écart. Je me suis rendu compte que c’était presque la même scène, la même rue, devant ma porte, le même instrument de musique, mais c’était une autre personne. J’ai ensuite généré une nouvelle image via une IA. Pour moi ce bref moment ou j’ai interagi avec la/les personnes m’a transmis  un sentiment puissant. L’autre version, générée par l'IA, n'a pas vraiment d'identité, ne loge aucun sentiments, dans le sens où la personne photographiée n’existe pas".

Un algorithme pourvoyeur d’images sera nourri d’une grande quantité de données photographiques, et reproduit un style par l’usage des techniques photographiques, faisant des photos produites de véritables simulacres indétectables, si ce n’est transformant la réalité. À l’image de la série de faux clichés, « commandés » par l’illustrateur Mason London à l’IA Midjourney autour d’une rencontre de Coupe du monde tournée par les grands noms du cinéma, pour toi les IA sont-elles un outil aux genres photographiques de demain ?

Non. Mais cela dépend du domaine dans lequel on circule. Il n’y a plus besoin de faire un shooting – pour des images liées au commerce, etc. – mais on donne plusieurs références, quant à la posture, l’arrière fond, les produits commercialisés par exemple, et l’IA génère une photo qui correspond exactement aux critères recherches…

« Bien que les algorithmes puissent produire des images très réalistes et visuellement attrayantes, ils ne parviennent pas à saisir la complexité́ émotionnelle d'une personne réelle », est-il expliqué encore. Dans Humain, tu révèles ainsi la charge émotionnelle qui réside dans l’interaction, « intime », entre le photographe et le sujet, source même de la distinction entre fiction et réalité. En tant que photographe « humain » donc, comment saisis-tu « la complexité émotionnelle d'une personne » ?

Généralement, je ne suis pas quelqu’un qui aborde les gens facilement. Il y a des jours où cela demande beaucoup de courage. La complexité émotionnelle nait à partir de l’interaction avec la personne. Je tente alors de créer un lien, en entamant une discussion par exemple. L’échange qui a lieu ensuite crée une émotion qui va au-delà de la photo elle-même. Il m’arrive de devoir me contenter d’une réponse négative qui me lance pourtant un nouveau défi.

Si beaucoup voit une promesse dans le développement de l’algorithmique et de l’apprentissage machine, il réside d’abord la mise en place de garde-fous pour protéger l’humain. Quel regard portes-tu sur notre avenir en tant que tel, et sur la transformation de nos identités du réel à l’irréel, sous ce spectre IA ?

Si cette question concerne l’IA en générale, et ne se limite pas seulement à la photographie, je peux certes dire que je me réjouis des progrès de l’IA dans le domaine de la médecine ou de l’aide à la personne. C’est vrai qu’il faut veiller à ce que l’IA ne soit pas utilisée à de mauvais escients, si elle tombe entre les mauvaises mains, je pense ici p.ex. à ChatGPT, vis-à-vis de l’usurpation d’identités, etc. Dans cette mesure, il convient certainement de mettre en place des garde-fous pour la protection de l’humanité. J’espère que cela répond à ta question.

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