Le fabuleux destin de Raphael Tanios

22 juil. 2024
Le fabuleux destin de Raphael Tanios

Raphael Tanios © Diane Demanet
Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

Photo: Raphael Tanios © Diane Demanet


Alors qu’il ne s’est lancé dans la peinture qu’il y a trois ans, Raphael Tanios vient de se voir remettre le Youngster Award prix de promotion de l’EVBK, le Groupement Européen des Artistes de l’Eifel et des Ardennes. Nous sommes allés à sa rencontre.

C’est à la Banannefabrik où il travaille, en tant que directeur administratif du Théâtre du Centaure, que nous avons rencontré Raphael Tanios. Un poste que le jeune homme de 32 ans – il aura 33 en août – occupe, avec passion, depuis un peu plus d’un an, après plusieurs saisons passées au sein de l’éducation nationale et plus précisément en tant que professeur d'art et d'histoire de l'art au lycée. Un parcours professionnel autant dû à l’envie qu’aux hasards de la vie, car ce Luxembourgeois aux origines égyptiennes est avant tout artiste peintre. 

Raphael Tanios © Bohumil Kostohryz
Raphael Tanios © Bohumil Kostohryz

Tout son parcours a d’ailleurs été pensé vers les arts plastiques. « Déjà, tout petit, j'étais très créatif… et destructif aussi » se rappelle-t-il. « Je devais faire quelque chose avec mes mains. Tout le temps. Je construisais des choses. Au point qu’il y avait une prof qui aimait bien dire sur un ton moqueur que je construisais des pyramides, en lien avec mes origines égyptiennes ». Oui, dès sept ans, le jeune Raphael sait qu’il veut devenir artiste et ses victoires successives à un concours de dessin pour enfants semblent l’avoir très vite conforté dans son choix.

Au lycée, il délaisse d’ailleurs ses petites sculptures d’enfant pour leur préférer aux feuilles et aux crayons. « Je dessinais beaucoup en classe, ce qui m’a valu pas mal de punitions et de dessins déchirés ; pourtant, moi, pour écouter, j'avais besoin d'occuper mes mains. Comme ça, mes oreilles étaient libres et j'écoutais bien. Mais il y avait pas mal de profs qui n'étaient pas d'accord. Ça les énervait ». Les punitions et autres brimades n’y changeront rien. Le jeune Raphael est toujours bien décidé à devenir artiste. 

Première étape, le Lycée des Garçons d’Esch-sur-Alzette et sa section artistique, puis L’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Dans le Plat Pays, il perfectionnera sa technique de dessin en Bachelor, puis se lancera, pour son Master, dans le cours à option en lithographie. C’est d’ailleurs là, pendant l’étude de cette technique d’impression d’un dessin sur pierre, qu’il rencontrera sa future épouse, Diane – « actuellement, c'est la seule lithographe au Luxembourg », précise l’époux. Raphael, lui, poursuivra sa formation avec un second Master en arts plastiques visuels et de l'espace, avec une spécialisation en dessin. Pourtant, encore une fois, aujourd’hui, l’artiste ne dessine plus. « Je commençais à en avoir marre. Je veux dire, c'était très fixé sur le conceptuel, sur des choses abstraites, etc. Et après un certain moment, je n'arrivais plus vraiment à m'identifier à ça ». 

Albert Boros, Raphael Tanios
Albert Boros, Raphael Tanios

Toujours à la recherche de nouvelles voies d’expression artistiques et de nouveaux challenges, il se lance alors, il y a trois ans, dans la peinture à l’huile. En autodidacte pourrait-on dire, même si, lui, il récuse ce terme. « Autodidacte, est-ce que ça existe vraiment ? Des artistes qui disent « je suis autodidacte », c'est comme s'ils disaient « je n'ai jamais vu de peinture avant », « je ne suis jamais allé au musée », « je n'ai jamais vu de livre où il y avait des dessins ». Il y a toujours des influences, toujours des choses qu'on apprend de partout. Donc, autodidacte, non, je ne dirais pas ça. D’autant que pendant les études, on avait quand même les dessins de nus, des cours d'anatomie du mouvement, qui ont beaucoup nourri mon travail de maintenant ». 

Son travail actuel, parlons-en. Sur son site internet, il est résumé de la manière suivante : « Raphael veut par des moyens figuratifs toucher l’âme en détresse et explorer ses profondeurs cachées en les représentant dans ses toiles. En effet, ses sujets se portent principalement sur le corps humain et les sentiments les plus intimes de l’être. En jouant avec les filtres de notre perception, il met en valeur des aspects de ses modèles qui renoncent à un certain naturalisme et lui permettent de mettre en lumière le mal-être de la condicio humana. L’expression faciale, la gestuelle et le langage corporel accentuent la distorsion expressive de ses sujets. Grâce au contraste frappant entre les couleurs vibrantes et la représentation des personnages « torturés » dans ses peintures, Raphael capture l'essence brute et émotionnelle de la vie dans notre société. Les couleurs lumineuses ajoutent non seulement de la profondeur et de l'intensité à l'œuvre, mais symbolisent également la lumière intérieure et l'esprit de ceux qui ont fait face à l'adversité. L'un de ses thèmes principaux est donc la résilience et le chemin qui y mène. Son but n'est pas de montrer ou de représenter des êtres faibles et brisés, mais des battant·e·s qui sont en train de traverser ou qui ont survécu à des épreuves. Malgré les figures déformées ou contorsionnées de ses tableaux, un sentiment de défi et d'endurance transparaît. Son œuvre rappelle avec force la complexité de l'expérience humaine et l’espoir qui peut émerger des circonstances les plus sombres ».

"Kingpin" de Raphael Tanios, huile sur toile qui lui a valu le Youngster Award, prix de promotion de l’EVBK
"Kingpin" de Raphael Tanios, huile sur toile qui lui a valu le Youngster Award, prix de promotion de l’EVBK

Pour faire plus court, « c'est expressif, c’est coloré et c’est figuratif, et mon thème principal, c'est la résilience », ajoute l’artiste dont le travail n’est pas sans rappeler celui d’Egon Schiele – l’érotisme et le côté sulfureux en moins ; « Ses modèles étaient trop jeunes, beaucoup trop jeunes », insiste Raphael Tanios qui refuse, par ailleurs, de prendre des enfants comme modèles – ou encore Francis Bacon, Lucian Freud et Roland Schauls. 

On l’aura compris, l’artiste n’est pas là pour donner à voir le beau, d’ailleurs ses modèles ne sourient jamais, mais au contraire, pour révéler les profondeurs de l’âme. Et, visiblement, cela plaît. Trois ans à peine après ses débuts en peinture, l’artiste a déjà exposé à Luxembourg, Esch, Dudelange, Strassen, Bruxelles – 8 expositions rien que cette année – ; l’ancienne ministre de la Culture, Sam Tanson, l’ancien Premier ministre, Xavier Bettel, ainsi que le Grand-Duc Henri semblent avoir apprécié ses œuvres et le Cercle Artistique de Luxembourg lui a remis le Prix Jeune Talent lors de l’exposition de printemps de l’année dernière. Et voilà que samedi dernier, l’EVBK, le Groupement Européen des Artistes de l’Eifel et des Ardennes, vient de lui remettre son Youngster Award, prix de promotion ; une première pour un artiste grand-ducal depuis la double victoire de Kary Barthelmey et Sophie Medawar en 2015. 

Deux beaux prix, « ça fait plaisir, c'est sûr », lance-t-il à ce sujet, « je suis fier et je suis content de les avoir eus, mais finalement ça ne change rien à mon travail, si ce n’est un peu plus de visibilité. Le lendemain, ta vie n’a pas changé ». « Et puis, poursuit-il, il faut rester très critique par rapport à soi et à son travail, ne pas se prendre trop au sérieux et, surtout, ne pas se prendre pour le meilleur juste parce qu'on a gagné un prix ».

Pas de fausse modestie chez Raphael Tanios, juste de la simplicité, une envie continuelle d’apprendre et une soif insatiable de créer. D’ailleurs, lorsqu’il s’est retrouvé dans l’enseignement et que le temps pour créer lui faisait défaut, « je ressentais un manque, un grand manque », avoue-t-il. Il poursuit : « Créer, c'est quelque chose qui fait aussi qui je suis ». De créer et d’évoluer sans cesse. « Même si ça reste dans la même technique, je fais du nouveau, et c'est ça qui fait que j'avance », explique-t-il tout en ajoutant que, dernièrement, il perfectionnait encore « la relation entre les personnages » dans les tableaux avec plusieurs modèles, « la relation entre le personnage et l'arrière-fond » dans les tableaux à un seul modèle, ou encore « l'expression avec les mains », « le corps nu », etc.

Un besoin sincère et profond. Et s’il aime parler de ses œuvres, qu’il travaille souvent en séries, il aime, en revanche, beaucoup moins parler d’argent. Impossible, par exemple, de lui faire dire le prix de ses œuvres : « Ça dépend du format, ça dépend de la technique », se contente-t-il de répondre avant d’ajouter : « En galerie, bien sûr, c'est plus cher. Parce qu'il y a la partie qui va au galeriste, ce qui est normal ». 

Raphael Tanios avec Grand-Duc Henri © Henri Goergen
Raphael Tanios avec Grand-Duc Henri © Henri Goergen

De toute façon, l’artiste ne tient pas nécessairement à vivre de la vente de ses toiles. « Moi, je fais ça pour moi. Ça me sert de thérapie ». Et si c’est facile de le dire, Raphael Tanios, lui, a déjà prouvé que ce n’étaient pas des paroles en l’air. Pour preuve, il n’a pas hésité à vendre aux enchères l’œuvre lauréate du Prix Jeune Talent du CAL au bénéfice de la Stëmm vun der Strooss. Il explique : « Le prix que j’ai reçu du CAL était donné avec une petite somme d’argent. Pour moi, les frais liés au tableau étaient donc déjà remboursés. Rien qu’avec la dotation, je pouvais racheter une toile et toutes les fournitures nécessaires. Je n’avais donc plus besoin de la vendre. Et comme il s’agissait d’un portrait d’Adalbert Boros, l’ingénieur qui avait participé à la conception du Pont Rouge et qui était devenu ensuite un des sans-abris les plus connus de Luxembourg, ça m’a semblé normal de la vendre pour la bonne cause ». 

Il est comme ça Raphael Tanios. Assez torturé pour avoir besoin de créer, mais surtout libre et avec le cœur sur la main. Pour l’heure, il continue à travailler sa peinture à l’huile et ses corps déformés, mais emplis de résilience. Il continue ses expositions collectives qu’il affectionne tout particulièrement – « ça permet de créer un véritable lien et échange avec les autres artistes », souligne-t-il – ; mais l’artiste ne s’interdit pas, un jour, de revenir au dessin, à la sculpture ou, pourquoi pas, de se lancer dans la céramique. Après, tout, avec son épouse, ils ont un four à céramique et une presse lithographique à la maison. Et de conclure : « Ce n'est pas du tout un truc fermé, arrêté. Aujourd’hui, je suis peintre, point, oui, absolument, mais dès que je peux apprendre quelque chose de nouveau, moi, je suis partant ».