WEEN ASS AM HAUS (GEMAACH) ?! - De Läb

14 mar. 2023
WEEN ASS AM HAUS (GEMAACH) ?! - De Läb

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Après s’être testé à l’impro’ dans les caves familiales, les gamins qu’étaient De Läb créent leur collectif à l’été 2006. À l’initiative de trois jeunes Minettsdäpp, Corbi, David Fluit et Spenko, De Läb né d’une envie de rapper, et grâce au fait que l’un possède un micro et l’autre un tourne disque. Comme quoi, ça ne tient à pas grand-chose. À peine aux prémices, avec tout juste deux EPs au compteur, D'Wourecht (2007) et Dee mat der Kaz danzt (2008), Spenko prend la poudre d’escampette et part étudier le graphisme, et laisse seuls à leur cuisine, nos deux compères rappeurs. De Trèves où il trouve une scène hip-hop aussi sérieuse que leurs attentes, les voilà s’installer viscéralement au Luxembourg pour y poser leur hip-hop en luxembourgeois, du 100% made in Grand-Duché, ou presque. Au fil des années, De Läb a été rejoint par le bassiste René Däiwelskärel Macri, le batteur Benoît Martiny, le saxophoniste Georges Sadeler et le pianiste Michel Lopes, pour « éclater les tronches de ceux qui ne sont pas d’accord »… Enfin non. Si leur style s’associe au « rap conscient », grand héritier du rap hardcore des années 80-90, il y a chez eux un certain cynisme vis-à-vis du monde qui les entoure, mais aussi un niveau de détachement assez caractéristique du modjo De Läb. Leur « identité » rappelle une vision très chill du hip hop, un peu à la manière du soft rap de MC Solaar, ou plus directement du rap belge indé de ces deux dernières décennies, garni d’une sauce piquante non loin du rap hardcore popularisé en banlieue, appelé rap conscient aujourd’hui. Véritable phénomène au pays, dressé en pionniers des scènes rap et hip-hop locales, De Läb, après une mini pause et cinq ans après avoir soufflé une décennie, revient avec un nouvel EP baptisé Ween Ass am Haus (Gemaach) ?!, du vrai, du bon, du fait maison, qui sortira du four – ou des bocaux – le 17 mars, et que la team et quelques luxueux invités viendront défendre le 24 mars prochain à la Kulturfabrik…

De Làb

3 albums et 3 EPs plus tard, le 17 mars, vous livrez un nouveau projet à votre public : Ween Ass am Haus (Gemaach) ?! Pourquoi avoir attendu autant de temps pour livrer un nouveau projet ?

Certains ont fondé des familles, d’autres sont restés dans l’industrie musicale, c’est aussi un peu pour ça qu’on a pris un peu de temps pour écrire de nouvelles chansons, même si on n’a jamais arrêté de faire des concerts. Il y a eu bien-sûr la période Covid, mais, en soi, on n’a jamais arrêté. On se retrouve toujours dans la salle de répète, on fait toujours de la musique, et depuis deux ans on s’y est remis plus concrètement justement pour travailler sur de nouvelles chansons. Les ambitions du collectif n’ont pas changé. On a fait le tour du Luxembourg, joué un peu partout, fait les premières parties de grands noms, dans tous les festivals et sur toutes les scènes du pays, maintenant on s’amuse. On a toujours autant envie de faire de la musique et c’est pour ça que ça continue. Tant que les gens veulent nous écouter, on ne s’arrêtera pas. On est bien ici, au pays. Dans nos différents projets, les paroles sont toujours au premier plan, du coup, si tu ne comprends pas les lyrics, ça a moins d’impact. La scène aujourd’hui veut sortir des frontières, s’exporter, c’est normal. On a ici de super musiciens, qui font de la bonne musique et dans ce sens, on peut imaginer mettre les paroles au second plan. Nous on ne force pas les choses, si ça se fait c’est bien, sinon on est bien ici au Luxembourg. On veut continuer à faire de la musique parce que c’est notre passion, on est trop jeune pour arrêter.

Ces 5 titres suivent la grande lignée de vos opus précédents ouvrant à une franche déconnade, un hip-hop décontracté, non sans incisive, d’une verve critique, sous des instrumentaux super soignées, très harmoniques et totalement joués. Quelle a été la genèse de ce nouveau projet ?

Pour cet EP on a laissé toutes les machines de côté. On a tout fait avec des instruments, des musiciens, toutes les prod’ sont instrumentales. C’est vraiment ce qui est diffèrent par rapport à tous nos projets précédents. Tout a été composé en salle de répétition, ou lors de petits séjours en campagne où on s’est enfermés entres-nous. C’est là qu’on a vraiment créé, un peu comme un groupe. Avant notre processus venait de Corbi ou de moi – David Fluit, ndlr – face à un beatmaker qui nous présentait une instru’ et on partait ensemble, comme ça, dans la composition. Pour Ween Ass am Haus (Gemaach) ?!, tout part des instruments et c’est le grand changement de De Läb. Même si ça n’a rien à voir avec le Läb Orchestra qu’on avait monté pour nos dix ans en 2017-2018… Pourtant, depuis 2010 on se dirige vers cette forme de live band. On a commencé petit à petit en ajoutant des musiciens live sur des sample et là on a abandonné complètement les sample. Après l’aventure qu’a été l’anniversaire des dix ans du collectif, on a gardé cette configuration avec un bassiste, une batterie, un saxophone et un piano. C’est la constellation De Läb d’aujourd’hui, et dans cette dynamique qu’on compose les chansons. On a évolué vers un live band hip-hop, avec une tessiture plutôt jazz, un peu à la big band, même si on est trop petit pour dire cela… On est plutôt une sorte de small band, un groupe de live hip-hop finalement.

Ween Ass am Haus (Gemaach) ?!, Leone Rosso, Pasta Vun Der Nonna, Läb Kosmonauten, De Stolze Bauer – ou « fier fermier » –… Sur fond de critique sociale, saupoudrée d'ironie et de sarcasme, De Läb se caractérise par le conte d’une réalité luxembourgeoise comme sujet de vos textes. De Läb « critique » mais pas « polémique »… Narrativement, on le sent sur ce nouveau projet de cinq titres, De Läb ça a un peu évolué ?

On est plus âgés, donc un peu moins rebelles, bien que nos côtés ironique et sarcastique soient restés. On a toujours envie de dire ce qu’on pense de la société actuelle mais avec un peu moins de gros mots, et de vulgarités. On a toujours envie de parler de chez nous, il y a tellement à dire. D’ailleurs la cover fait partie, de cette évolution narrative. On a vraiment bossé sur nous, sur ce qu’on est et ce qu’on raconte. En fait « Ween Ass am Haus (Gemaach) ?! » signifie « Fait maison ». « Ween Ass am Haus » a toujours été un peu notre slogan en live, du genre « who’s in the house ? » ou « De Läb is in the house »… On a repris cette idée, cette ligne, pour en faire un jeu de mots et parler du fait que ce projet est totalement « fait maison », par rapport à avant, où on assemblait plusieurs éléments ensemble, des sample, des petits échantillons, etc. Ce jeu de mots décrit parfaitement ce qu’on fait aujourd’hui : on fait ça ici, on parle de chez nous, et on reste au pays, c’est un peu notre leitmotiv, si tu veux… D’autant que cet aspect live band on va le conserver par la suite. Si Corbi ou moi voulons faire un hip-hop plus classique, on peut toujours le faire à côté, travailler avec des beatmakers ailleurs. Là, on a plusieurs musiciens super talentueux à nos côtés, dont trois d’entre eux sont également compositeurs, du coup, on serait bêtes de ne pas profiter de cela, et de ne pas valoriser toutes les idées qui émanent de cela et le travail qui vient de nos parcours respectifs en tant qu’artiste de l’industrie musicale.

Le 7 juillet 2007, vous faites votre première scène au « Dudelange on Wheels ». 15 ans plus tard, le 24 mars prochain vous irez défendre votre EP Ween Assa am Haus (Gemaach) ?!, et le faire entendre sur scène à la Kulturfabrik. Après vos 10 ans fêtés en grande pompe en 2018, accompagné par le Läb-Orchestra, spécialement créé pour l’occasion, comment mettre la barre encore plus haute ?

En fait, tout a commencé par une rencontre lors d’un concert à la Kufa, avec leur programmateur Marc Scheer. Il nous avait proposé de faire un headline show à la Kufa… Je crois qu’on était encore en 2021, à la sortie du Covid. On s’est dit qu’on en reparlerait quand cette pandémie se serait un peu calmée et c’est ce qui s’est passé. Sauf qu’entre temps on a écrit des chansons, et on s’est dit qu’on pouvait quand même sortir quelque chose. L’idée a muté en release show qui aura lieu le 24 mars prochain, après une petite résidence à la Kufa pour préparer tout ça…

Après, comment mettre la barre plus haute que nos dix ans, c’est dur à dire. On n’aura pas autant de musiciens sur scène, mais on a pas mal de gars qui vont venir. On résonne maintenant comme un live band, donc forcément ça a une autre teneur. Après, on ne va pas doper cette histoire « d’orchestra » parce que c’est compliqué à mettre en place, mais ce sera comme d’habitude pour nos autres release. Des invités seront là, des extras, des conneries, il va se passer beaucoup de choses, et une chose qu’on n’a encore jamais faite, et qui est assez exceptionnelle, c’est que les quatre chansons qu’on va présenter, dont trois nouvelles créations, seront associé à un « merch » spécifique. Pour poursuivre la narration de chaque chanson. On prévoit des goodies un peu particuliers, non pas des T-shirts ou autre déjà-vu, mais vraiment des petites surprises…

C’est quelque chose qui a changé chez nous. Finalement à l’époque le « merch » était un peu à côté. De nos jours, t’es dans une époque où le streaming prévaut sur tout, mais les retours financiers du streaming ne sont vraiment pas terribles. Alors, l’idée c’était de trouver d’autres moyens pour rentrer un peu d’argent, mais aussi pour être plus créatif par rapport à ce qu’on offre à notre public. On s’est vraiment amusés sur ce point, et je pense que ça va faire marrer un peu les gens. Et puis, évidemment, on prévoit de faire un clip du titre Pasta Vun Der Nonna, un autre moyen de faire aller plus loin notre musique, en tant que telle.

Outre DJ PC en warm-up, et le grec Kill Emil en after, le rappeur V.I.C vous accompagne sur cette date, un des poulains de votre label, sobrement baptisé De Labbël, regroupant une flopée de jolis noms du rap luxembourgeois. Du haut de votre longue carrière, comment avez-vous vu évoluer les scènes rap et hip-hop au Luxembourg et de votre point de vue, comment se portent-elles ?

Tout ce qui se fait n’est pas forcément de notre goût. On est plus old school. Mais tout ça représente bien l’évolution du rap luxembourgeois qui est énorme. Quand on a commencé, tu pouvais compter tous les rappeurs ou collectifs sur les doigts des mains. Aujourd’hui, il y a un nombre considérable d’artistes qui existent et arrivent à faire exister leur musique, ça a poussé comme des champignons. On a maintenant une très grande scène et même si on se limite à la langue luxembourgeoise, la scène est en pleine expansion. C’est très positif, même si évidemment les goûts et les couleurs ça ne se discute pas. Il y’a de tout finalement, certaines choses modernes sont intéressantes, et on essaye de travailler avec les jeunes artistes de cette scène nouvelle. C’est super stimulant.

De Läb

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