Un LuxFilmFest plus luxembourgeois que jamais

02 mar. 2023
Un LuxFilmFest plus luxembourgeois que jamais

Lost Transport
Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

Le Luxembourg City Film Festival, qui va tenir sa 13e édition du 2 au 12 mars prochain, prend un accent plus luxembourgeois que par le passé avec un pan de plus en plus important de la programmation dédiée aux productions et coproductions grand-ducales.

LuxFilmFest 2023 © Patrick Bresnan, Studio Michel Welfringer
LuxFilmFest 2023 © Patrick Bresnan, Studio Michel Welfringer

Trois films luxembourgeois en compétition officielle – sur 9 –, un en sélection officielle hors compétition, un en section « Late Night Bizarre By Kinepolis », deux dans la programmation « jeune public » qui s’ajoutent aux six autres longs de la section « Made In/With Luxembourg », aux 19 court métrages des « Showcase : Shorts Made In/With Luxembourg », ainsi qu’à la série grand-ducale présente dans le « Pavillon VR » ; de mémoire de festivalier, on n’a jamais vu ça !

Au contraire, ceux qui suivent attentivement le festival depuis ses débuts se rappellent sans doute qu’il y a quelques années une petite fronde avait éclaté du côté des producteurs de cinéma luxembourgeois pour se plaindre de la non-prise en considération de leurs films dans la programmation du festival national. Une fronde qui semble désormais bien loin avec cette année record qui voit donc une série, 13 long métrages et 19 court métrages luxembourgeois à l’affiche de ce millésime 2023 du LuxFilmFest.

Pourtant, Alexis Juncosa, le directeur artistique de la manifestation – dont Dominique Besnehard, juré du festival en 2017, a longuement vanté la cinéphilie et l’érudition en matière de film –, le dit et le répète : « Ce n’est pas de la complaisance ! ». Bien au contraire ; « Il y a clairement une maturation de la scène nationale, et probablement l’impact d’une politique d’aides assez récente. J’ai l’impression que les CinéWorld fonctionnent bien par exemple » reprend-il. « Le Luxembourg City n’a fait qu’accompagner cette maturation. Regardez, l’année dernière il y a eu 6 films luxembourgeois à Cannes, alors que l’année précédente, où il en avait 5, on entendait déjà dire : "attention, on ne pourra jamais faire mieux !". Personnellement je pense, à l’inverse, que l’avenir va être encore à l’avenant ».

Les récompenses amassées ces dernières années par des coproductions grand-ducales dans de grands festivals sont là pour confirmer les propos du directeur du Luxembourg City Film Festival. Rien que l’an dernier, le secteur national a cumulé la bagatelle de 21 prix internationaux, avec un hat-trick inespéré, sur deux ans, à Berlin, Cannes et Venise, les trois principaux festivals au monde avec un Ours d’Or pour Bad Luck Banging or Loony Porn (Paul Thiltges Distributions), un prix de la meilleure interprétation de la section Un certain regard pour la prestation de Vicky Krieps dans Corsage (Samsa Film) et un trophée du meilleur scénario de la section Orizzonti pour Blanquita (Tarantula). Des distinctions auxquelles s’ajoutent un triplé historique, l’an dernier, au festival du film d’animation d’Annecy avec le Cristal du Long-Métrage pour Le Petit Nicolas, Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux? (Bidibul Productions) et deux mentions spéciales du jury pour My Love Affair is a Marriage (Antevita Films) et Saules aveugles, femme endormie (Doghouse Films), le César du meilleur film d’animation pour Le Sommet des Dieux (Mélusine Productions), l’European Film Awards de la meilleure actrice pour Vicky Krips ou encore la nomination à l’Oscar du meilleur court métrage de fiction pour La Valise rouge de Cyrus Neshvad.

My Love Affair with Marriage © New Europe Film Sales
My Love Affair with Marriage 2 © New Europe Film Sales

Des films déjà auréolés de nombreux prix

Alors, aux habituels indélicats qui pourrait venir critiquer une programmation « trop nationale », Alexis Juncosa lance, sans détours : « Les gens qui voudraient venir critiquer, dire que c’est de la complaisance de notre part, qu’ils m’expliquent comment ça se fait que The Kings of the World a remporté la Coquille d’Or à San Sebastián ! »

Parmi tous ces films, Bad Luck Banging or Loony Porn a été présenté au festival en 2021, Le Sommet des Dieux, Corsage, Blanquita et Le Petit Nicolas, Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux? ont déjà connu une exploitation en salle. Tous les autres, sont à l’affiche du festival cette année.

Ainsi, Saules aveugles, femme endormie de Pierre Földes, The Kings of the World de Laura Mora Ortega (Iris Productions) et Maret de Laura Schroeder – réalisatrice de Barrage – (Red Lion) auront les honneurs de la compétition officielle. Ils seront donc vus, analysés et départagés par les membres du jury international parmi lesquels le comédien Niels Schneider, César du meilleur espoir masculin en 2017 pour Diamant noir, et les metteurs en scène Nadav Lapid, Ours d'or à la Berlinale pour le film Synonymes, et Asghar Farhadi, double lauréat de l’Oscar du meilleur film étranger pour Une séparation en 2012 et pour Le Client en 2017, par la productrice Sylvie Pialat (Tout le monde aime Jeanne, Effacer l’historique , À perdre la raison…) ainsi que par la comédienne grand-ducale Marie Jung.

THE KINGS OF THE WORLD © FILM FACTORY ENTERTAINMENT
THE KINGS OF THE WORLD © FILM FACTORY ENTERTAINMENT

« On est heureux de dégainer la cartouche Marie Jung, reprend le directeur artistique, c’est une belle révélation au cinéma et on est très heureux dans cette année exceptionnelle de la mettre avec un jury d’exception ». Figure du théâtre luxembourgeois et allemand, la comédienne opère actuellement un virage vers le cinéma. Elle sera notamment prochainement à l’affiche d’Eau-forte de Just Philippot, aux côtés de Guillaume Canet et interprètera Marie dans Läif a Séil de Loïc Tanson. « En tant qu’être humain et artiste, je me nourris de rencontres », souligne l’actrice, « J’aime ouvrir mon esprit à d’autres points de vue, à d’autres regards sur le monde et m’en enrichir. En tant qu’artiste, qu’est-ce qui pourrait être plus inspirant que de pouvoir m’asseoir avec des artistes aussi fantastiques et de regarder le produit final de tous*tes ces réalisateurs*trices différents*entes et formidables ? Cela me rend silencieuse, humble et reconnaissante » explique Marie Jung, contactée à ce sujet.

Fictions, films de genre, films d’animation, documentaires, films de patrimoine…

Hors compétition, mais présenté lors de la soirée de gala que sera la cérémonie de remise des prix, Ingeborg Bachmann – Journey into the Desert, de Margarethe von Trotta avec, entre autres, Vicky Krieps et Marc Limpach, est une coproduction Amour Fou. Proposé dans la section « Late Night Bizarre by Kinepolis » – nouveau label du festival proposant une sélection de thrillers, films d’horreurs ou fantastiques – , Kommunioun, le nouveau film du grand-ducal Jacques Molitor (Mammejong, Sweetheart Come) est un film de genre, produit par Les Films Fauves, avec, entre autres, Marja-Leena Junker, Marco Lorenzini, Jules Werner et Myriam Muller.

KOMMUNION © Films Fauves
KOMMUNION © Films Fauves

Cinq long métrages qui s’ajoutent aux deux présents dans la programmation jeune public : Den Ernest an d’Célestine – d’Rees a Babbelonien (Mélusine Productions), la version luxembourgeoise d’Ernest et Célestine : Le Voyage en Charabie, sorti en salle en décembre dernier, et Totem (Tarantula Luxembourg) avec, entre autres, Céline Camara, ainsi qu’aux autre productions et coproductions grand-ducales regroupées sous l’appellation « Made In/With Luxembourg ». Parmi elles, un film du patrimoine : Hochzäitsnuecht de Pol Cruchten, premier film du regretté pionnier du cinéma luxembourgeois, présenté en sélection officielle du Festival de Cannes en 1992 et récompensé par le prix Max Ophüls du meilleur film à Sarrebruck, qui sera présenté pour la première fois dans une version restaurée. De Pol Cruchten, il en sera également question dans L’Invitation, documentaire poétique de Fabrizio Maltese sur la Mauritanie ou Cruchten avait prévu de tourner un film avec Abderrahmane Sissako (Timbuktu), avant son décès en 2019.

HOCHZÄITSNUESCHT © Red Lion
HOCHZÄITSNUESCHT © Red Lion

Pour le reste, les avant-premières sont légion avec My love Affair with Marriage de Signe Baumane, Ailleurs si j’y suis de François Pirot (Tarantula), Lost Transport de Saskia Diesing (Amour Fou) et The Magnet Man de Gust Van den Berghe (Les Films Fauves).

Lost transport 2 © September Films
Lost transport 2 © September Films

Des courts qui en disent long sur la scène grand-ducale

À tous ces long métrages s’ajoutent, dans le pavillon VR, la série Missing Pictures, de Clément Deneux (Wild Fang Films), qui, en 5 épisodes, donne vie à 5 films jamais réalisés par de grands cinéastes et explique pourquoi ceux-ci n’ont finalement jamais vu le jour, et les 19 court métrages programmés lors de cette édition. 19 films d’une durée comprise entre 2 et 23 minutes présentés, non plus en une soirée dédiée, mais désormais en deux longues soirées de courts. « On n’en a jamais eu autant, plus du double que d’habitude » note Alexis Juncosa. « On a reçu plus de 12 heures de contenu cette année. Il y en a qui arrivent sur des chemins directs, mais d’autres qui arrivent sur des chemins de traverse aussi, avec des productions indépendantes et des choses vraiment très atypiques » se réjouit-il. On y retrouve, qui à la réalisation, qui au casting, une grande partie de la scène cinématographique grand-ducale : Eugénie Anselin, Antoine de Saint Phalle, Aude-Laurence Biver, Fabio Godinho, Elsa Rauchs, Renelde Pierlot, Magaly Texeira, Roxanne Peguet, Jérôme Funk, Nora Koenig, Frédéric Zeimet, Gintaré Parulyte, Sophie Langevin, Timo Wagner, Rosalie Maes, Nilton Martins, Jules Waringo, Sophie Mousel, Geneviève Mersch, Denis Jousselin… Liste dans laquelle ne pouvait évidemment pas manquer Cyrus Neshvad, avec sa Valise Rouge, et qui saura le 12 mars – dernier jour du LuxFilmFest – si son film offre un second Oscar au Luxembourg après celui remporté en 2014 par Laurent Witz et Alexandre Espigares pour leur court métrage d’animation, Mr Hublot. Une nouvelle nomination aux Academy Award qui ne laisse pas indifférent Alexis Juncosa : « Nous sommes très heureux pour Cyrus et le Luxembourg. Cyrus arrive au bon moment avec le bon projet et nous croisons les doigts pour lui ».

De nouvelles possibilités pour l’avenir

Les 11 jours du festival promettent, comme tous les ans désormais, une orgie de cinéma et de rencontres. Mais cette année, les festivaliers auront également le droit à, «une belle représentation nationale à tous les échelons : animation, fiction, documentaire et VR » résume le directeur artistique.

Une représentation telle que, d’un côté « est très très rassurante sur l’avenir du secteur », souligne le responsable, mais qui de l’autre « nous fait aussi nous interroger sur la place des luxembourgeois dans la sélection ». Il poursuit : « Très honnêtement, on est en train de réfléchir à la pertinence d’avoir carrément une section compétitive luxembourgeoise comme ça se fait dans tous les festivals situés dans des pays où il y a une scène nationale forte. Parce que le LuxFilmFest est un festival international, il ne faudrait qu’on arrive à un problème de riche qui ferait qu’on aurait encore plus de films luxembourgeois dans la compétition. Au bout d’un moment ce ne sera plus possible. Si le secteur poursuit sur cette lancée, il va falloir trouver une solution. C’est quelque chose qu’il faudrait financer, mais pourquoi pas imaginer une compétition où on met ensemble les documentaires, les fictions, les films d’animation luxembourgeois ? On pourrait ainsi avoir une vraie compétition nationale, avec un jury dédié, qui offrirait une vraie vitrine compétitive à l’ensemble de la production nationale ». Chiche !

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