Hydre Éditions - Ian De Toffoli

06 déc. 2022
Hydre Éditions - Ian De Toffoli

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Fondé en 2012 par l’auteur et dramaturge Ian De Toffoli de concert avec les comédiens Luc Schiltz et Pitt Simon, la micro-maison d’édition, bilingue, franco-allemande qu’est Hydre Éditions se voit rapidement qualifiée par ses pairs luxembourgeois, de pionnière au cœur d’une nouvelle génération d’éditeurs. 10 ans ont passé, Jeff Thoss a rejoint l’aventure, et avec lui, ces éditeurs « défricheurs » sont devenus des éditeurs « aguerris », encore loin d’être au tapis, toujours aussi sveltes, généreux d’idées folles, et puissants de fraicheur littéraire. Aujourd’hui, Hydre Éditions compte dans ses rangs près d’une vingtaine d’auteur.e.s, desquels Tullio Forgiarini, Durs Grünbein, Francis Kirps, Rafael David Kohn, Marc Limpach, Filip Markiewicz, Tom Nisse, Jean Portante, Tom Reisen, Nathelie Ronvaux, Stéphane Ghislain Roussel, François de Saint-Georges, Jeff Schinker, Claire Schmartz, Elise Schmit, Jean Sorrente et Nora Wagener, et Ian De Toffoli. Finalement à l’image de son nom, tiré du monstre mythologique, l’Hydre de Lerne, un dragon soufflant un poison mortel, et dont les sept têtes repoussent si on les coupe. Tout un symbole que Ian De Toffoli, éditeur immortel donc, nous narre, revenant sur l’histoire désormais décennale de cet Hydre fabuleux…

Bonjour Ian. Peux-tu rappeler qui tu es, ton parcours en quelques étapes clés, le rôle tu as joué dans la création d’Hydre Éditions, et ce qui t’a poussé à t’y investir ?

Mon parcours est ici moins intéressant que celui de la maison d’édition. Enfin, certes, j’ai une formation universitaire littéraire plutôt poussée, et je suis moi-même auteur dramatique – ce qui est mon métier principal, non pas celui d’éditeur –, mais depuis ce premier moment, il y a dix ans, où, au Centre national de littérature, nous avons officiellement déclaré « ouverte » la maison d’édition, à aujourd’hui, il y a en effet des moments clé qui nous définissent. Nous avons par exemple commencé par publier des pièces de théâtre. Dans un deuxième temps, nous avons élargi le programme par une collection de textes en prose, mais courts, des nouvelles ou des recueils d’histoire courtes. Nous remportons, en 2017, 2019 et 2020 trois prix Servais, avec Larven, de Nora Wagener, Stürze aus unterschiedlichen Fallhöhen d’Elise Schmit et Mutationen de Francis Kirps, un Lëtzebuerger Buchpräis (2019), avec Les Bulles de Tom Reisen. En 2020 nous avons entamé une refonte générale des livres (de leur maquette, de la police utilisée, etc.) et avons commencé à publier des auteurs plus connus, qui se tournaient vers nous parce qu’ils avaient envie de collaborer avec nous, comme Jean Portante ou Jean Sorrente. Et puis, une autre étape a été l’ouverture de notre catalogue au monde, dans le sens où, depuis peu, certains de nos titres sont traduits et publiés à l’étranger. Mutationen par exemple a été traduit en cinq langues. Les livres d’Elise Schmit, Nora Wagener, Jeff Schinker, Tom Reisen et surtout Tullio Forgiarini commencent à bien s’exporter vers d’autres pays. Et puis, une dernière étape importante a été l’arrivé au sein de l’équipe d’un nouveau partenaire, à savoir Jeff Thoss, qui a un parcours universitaire proche du mien et de l’expérience dans le milieu éditorial. Nous dirigeons actuellement Hydre Éditions à deux.

Hydre

En 2014, l’auteur et nouvelliste Guy Rewenig, dans un entretien donné au Lëtzebuerger Land, ne tarissait pas d’éloge quant à la ligne directionnelle entreprise dès vos débuts, « parmi les nouveaux venus, vous avez oublié de mentionner Hydre Éditions, qui concentrent leurs efforts sur des textes littéraires réputés difficiles. Voilà un éditeur qui prend délibérément des risques. C’est tout à son honneur. S’il y a une nouvelle génération d’éditeurs au Grand-Duché, décidément, c’est Hydre qui en est le pionnier. Car nous parlons bien ici de littérature, n’est-ce pas ? » Quelle était la nécessité de créer une telle maison à l’époque et qu’en est-il aujourd’hui, dix ans plus tard ?

La maison d’édition est née d’un désir de publier une nouvelle génération d’auteur.rice.s qui avaient une vision marquante sur notre société et une langue forte par laquelle donner forme à cette vision. Ces auteur.rice.s manquaient, à mon avis, de maison d’édition pour les représenter. Car une maison d’édition est toujours une signature. Et à part quelques auteurs que j’estimais et que je continue d’estimer, comme Nico Helminger ou Jean Sorrente, je trouvais qu’il manquait, au Luxembourg, de bonnes œuvres de fiction. Je trouvais que ce qui se produisait ici, me semblait bien folklorique. Et, à voir les productions et les prix littéraires récents, cela me semble encore aujourd’hui un peu le cas.

Depuis toujours, un auteur désireux de publier se devait de travailler avec un éditeur. Pourtant, depuis l’avènement du web, et des plateformes d’autoédition, certains auteurs prennent des chemins détournés pour se faire lire. C’est un certain changement de paradigme qui s’est installé. Aussi, dans le contexte actuel et la simplification des moyens d’expression et de diffusion de « l’écrit » quels enjeux transporte l’impression papier d’une œuvre face au numérique ?

Un éditeur est avant tout un critère de qualité pour un texte. Tu trouves de tout et du n’importe quoi en autoédition, surtout du n’importe quoi. Je ne sais pas si on peut vraiment parler d’un changement radical de paradigme. Je ne connais personne dans le milieu littéraire qui s’intéresse aux œuvres autoéditées. Je conseille aux jeunes auteur.rice.s d’être patient et de continuer à pratiquer l’écriture au lieu d’être impatient et de s’autoéditer. Au train où vont les choses, il est clair que l’avenir du livre en papier n’est pas assuré. Pour autant, ces deux supports – numérique et imprimé – ne doivent pas nécessairement être antagonistes et présentent tous les deux leurs avantages et désavantages. Je ne sais pas quel est l’avenir du papier, mais je sais que l’écriture sera là aussi longtemps qu’il y existera une forme de civilisation.

Dans votre programme récent, vous vous êtes concentrés sur la publication de romans, avec des auteurs de la génération émergente des écrivains luxembourgeois. Quelles ont été les grandes réussites sous ce regard, et quelles sont vos ambitions pour l’avenir ?

Il est vrai que nous avons encore une fois changé donc de programme éditorial, ou du moins, nous l’avons agrandi, en effectuant, comme évoqué plus haut, une refonte des livres, au niveau du design et de la typographie, en 2020 : cela nous a permis de créer une nouvelle collection, intitulée « Fik/ction », nous y publions de œuvres de fiction principalement en prose, même si nous ne refuserions pas un roman en vers non plus. C’est une collection de littérature générale. Une de nos réussites a été d’attirer pour cette collection, non seulement l’habituelle génération d’auteur.rice.s émergeants, jeunes et sauvages, comme Jeff Schinker et récemment Claire Schmartz, dont le premier roman BUG 010000100101010101000111, une histoire d’androïde avec une intrigue inquiétante, voire haletante, un vrai page-turner donc, vient de sortir, mais également des écrivains confirmés, comme Tullio Forgiarini, Jean Sorrente ou Jean Portante.

Tullio Forgiarini

Le 3 décembre, 20h, au Kasemattentheater - Centre Grand-Ducal d'Art Dramatique asbl vous fêtez vos 10 ans d’existence, et surtout 34 livres, 3 prix Servais, 1 Lëtzebuerger Buchpräis, 1 European Union Prize for Literature. Quel tournant pour votre maison d’édition marque ces dix ans, les choses vont-elles changer, quels sont vos plans, vos rêves… ?

Nos rêves : c’est facile, passionner encore un peu plus le public luxembourgeois pour la bonne littérature, celle qui exprime un geste artistique, celle qui est un synonyme de beauté et de force, mais aussi celle qui porte une réflexion en elle sur le monde qui nous entoure, sur ses problématiques actuelles, sur les angoisses et espoirs des humains et sur les grandes questions ontologiques et existentielles de l’humanité. Voilà les textes que nous publions. Notre dernier roman, BUG, de Claire Schmartz, qui a été présenté le 3 décembre officiellement au Kasemattentheater, est de ceux-là, il pose la question de l’être humain face aux questions qui surviennent quant à l’utilisation de robots hypersophistiqués pour effectuer nos tâches communes.

Bug

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