GINTARE PARULYTE - Badass

24 nov. 2022
GINTARE PARULYTE - Badass

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Gintare Parulyte au fil du temps dessine une destinée artistique on ne peut plus diversifiée durant laquelle la luxo-lituanienne ne s’interdit rien, ou plutôt, s’autorise tout. Comédienne, auteure, metteure en scène, cinéaste, ou encore vidéaste, Parulyte s’invite dans la grande mouvance de ces artistes de la génération Y, ceux aux tempéraments vivaces, aux idées sans limites, à l’esprit ouvert, et aux rêves de conquête de l’impossible. Elle le dit elle-même, devenir artiste était sa seule option… Et puis, éveillée dans la bienveillance d’un cocon familial où les arts et la culture sont omniprésents, ses goûts s’affinent et se multiplient très tôt. Et d’une première audition pour le film CQ de Roman Coppola, alors qu’elle n’a que 15 ans, elle se retrouve devant la caméra de Peter Webber, Jean-Claude Schlim, Andy Bausch, Donato Rotunno, Pol Cruchten, Christian Neumann, Laura Schroeder ou encore Christophe Wagner… Au théâtre c’est Anne Simon qui l’a fait monter sur scène pour la première fois pour que tout s’enchaine. Devenir actrice la comble et lui permet de « surmonter le destin ». Pourtant, vient ensuite l’écriture d’un premier bouquin Fuck! (2017) publié aux Éditions Kremart, d’une première pièce A Lithualien in the land of bananas (2018), d’un premier film, Is That, Like, Your Real Job ? (2019), puis, d’un second And he said yes! (2022) – avec lequel elle est lauréate du Prix Panorama / Divergent Minds 2022 au Festival International de Tirana –, d’une web série Ladybits (2022), et tout récemment d’une nouvelle pièce de théâtre, Lovefool… Un monologue qu’elle fera entendre au Théâtre National de Luxembourg les 26, 27, 30 novembre et 7 et 8 décembre prochains. Ainsi, en 5 questions, l'inextinguible Gintare Parulyte nous pitch sa nouvelle création, qu’elle peint comme déchirante et hilarante à la fois …

Bonjour Gintare. En 2018, dans A Lithualien in the land of bananas, tu racontais ton enfance en Lituanie soviétique et ton déménagement ultérieur à Luxembourg. Un spectacle inspiré de ta propre vie, non sans humour, détachement et surréalisme… Pour ton grand retour à la création théâtrale en tant que dramaturge et metteure en scène, dans Lovefool, il apparait que tu en reviennes à construire un récit sous le prisme de ton intimité. Tu nous parles de la genèse de ce projet ?

Après avoir présenté mon premier spectacle, qui était autobiographique et que j'ai écrit, mis en scène et dans lequel je jouais, j'ai eu envie de faire quelque chose de différent. À ce titre, j'ai eu envie d'écrire une pièce dont les sujets sont importants pour moi mais qui ne sont pas autobiographiques, ce qui m'a permis d'élargir la narration de la pièce et de trouver plus de liberté, en quelque sorte. En parallèle à la création de A Lithualien in the land of bananas, j'écrivais et je réalisais mon premier court-métrage Is That, Like, Your Real Job ?, dans lequel je jouais le rôle principal. Alors pour mes projets suivants, à la fois sur scène et à l'écran, j'ai eu envie de me mettre « en coulisses », de jouer avec la fiction, et de faire interpréter par d'autres acteurs mes histoires. Chaque fois que je travaille sur un projet, j'essaie de faire confiance aux idées qui me viennent intuitivement, et j'essaie de créer quelque chose que je n’ai encore jamais vu sur scène ou à l'écran, et Lovefool en est le résultat. Je voulais écrire un récit drôle, sincère, honnête et intime sur la façon dont les traumatismes non résolus de l'enfance peuvent affecter nos capacités à aimer et à recevoir de l'amour à l'âge adulte. J'avais également envie d'entremêler l'histoire avec d'autres sujets, comme les agressions sexuelles et les addictions, sous leurs diverses formes. Et je voulais que tout cela se traduise sur scène par de l'humour noir et avec une touche « féministe badass ».

Lovefool

Tu parles d’une pièce « féministe intime, pleine d'esprit, honnête et sans vergogne », une description qui pourrait correspondre à l’ensemble de tes projets créatifs. Avec le temps et tes différents travaux artistiques as-tu l’impression de trouver une marque de fabrique, une forme de signature qui t’est propre ?

C'est une très bonne question, merci. Je suppose que tout mon travail vient de ma sincérité. Je ne suis pas attirée par les projets provocateurs ou sensationnels, car leur intention ou leur exécution me semble souvent froide et sans humanité. La provocation est égocentrique, alors que je veux me connecter, être ouverte et toucher. C'est mon sentiment purement personnel en tout cas. Tous mes projets visent à émouvoir le public, souvent par l'humour, puis par le pouvoir simple de la vulnérabilité. Aussi, comme je veux normaliser certains sujets, afin que les gens les trouvent « plus normaux », je veux que les acteurs en parlent de façon « décontractée ». En décrivant des sentiments, des pensées ou des événements très spécifiques, j'aime rendre mon travail universel, crédible et humain. De plus, bien que j'aime normaliser les discussions sur des sujets que certains pourraient considérer comme « lourds », je ne veux jamais être condescendante. Je ne veux pas traiter de sujets difficiles de manière sérieuse et dire aux gens comment je pense qu'ils devraient vivre. Je pense très fort au public. En même temps, je ne peux pas supporter de répéter une pièce déprimante pendant des semaines… J'ai une envie profonde de rire aux éclats. Il doit donc y avoir de l'humour et de la comédie dans tout ce que je fais !

Par extension, de ton point de vue, l’art doit-il correspondre et ressembler à l’artiste qui le créé ?

Ce n'est pas nécessaire, mais c'est possible. Le degré de ressemblance entre l'art et l'artiste dépend de la volonté de l'artiste de partager ou d'admettre que son travail reflète qui il est. Bien que tout mon travail ne soit pas autobiographique, je suis très ouverte sur le fait que tout cela me soit personnel. Le ton et le style de mes pièces de théâtre ou de mes films sont définitivement le reflet de qui je suis : un être complexe et sensible, qui a un sens constant à la fois de la mélancolie et de l'émerveillement et qui est attiré par l'humour noir. Chaque projet reflète qui je suis à un moment particulier de ma vie, au moment où je le crée. Comme j'ai soif de grandir et de changer, tous mes projets sont différents.

Dans Lovefool, Grace, « une jeune femme avide d'affection et à la recherche de l'amour au mauvais endroit, est forcée de découvrir à quoi pourrait ressembler un amour (de soi) sain ». Grace est incarnée par l’actrice Kristin Winters. Comment vous-êtes-vous rencontrées et finalement comment s’est déroulée votre travail en duo sur Lovefool ?

J'ai organisé un casting ouvert pour cette production, qui m'a fait découvrir tout un éventail de nouveaux talents, tant au Luxembourg qu'à l'étranger. J'ai ensuite parlé à mon ami, collègue acteur et réalisateur Isaac Bush de New York, qui a beaucoup travaillé au Luxembourg et que j'ai rencontré il y a des années sur la production d'Anne Simon All New People. Il m’a recommandé Kristin Winters, une de ses amies, que j'ai tout de suite sentie comme la bonne actrice pour jouer le rôle de Grace. Ces choses sont mystérieuses, et j'ai appris à faire confiance et à m'abandonner face à l'aspect mystique du choix de votre famille de création. Si je devais l'expliquer rationnellement, je dirais que Kristin a un bel équilibre entre l'intellect, l'émotivité, la force et la vulnérabilité. C'est exactement ce que je cherchais pour Grace.

Ambition, auditions, éducation, féminité, rencontres, sexe, règles, amitié, traumatisme, addiction amoureuse, codépendance, trouble obsessionnel-compulsif, thérapie, musique… Dans Lovefool, tu explores l’incidence de traumatismes non résolus sur nous-mêmes et notamment les effets d’une masculinité toxique et de l'inégalité des genres… Est-ce une pièce psychanalytique pour ta psyché, celle de ceux qui la regarde ou les deux à la fois ?

Espérons les deux, de manière inconsciente. J'aime que tu mentionnes le mot « psychanalytique ». Je suis depuis longtemps en thérapie, et c'est cette analyse constante de ma propre psyché ainsi que de la psyché des autres qui m'a fait aimer l'écriture en général, écrire des personnages complexes ou toucher des sujets que certains considéreraient comme « tabou ». Ma thérapie m'a aussi fait oublier la honte. Je dirais que je suis une personne très insolente dans ma vie privée, rien ne me semble tabou ou ne me fait grincer des dents… J'ai l'impression que devenir véritablement honnête avec moi-même m'a aidé à créer un travail qui semble authentique et pertinent pour beaucoup de gens.

Lovefool est aussi une pièce construite dans l’espoir d’un monde meilleur, insufflé par le prisme de la conscience, ou connaissance de soi. Par cette dernière création, vers quoi souhaites-tu ouvrir ?

C'est une très bonne question, et délicate aussi, car elle insinue que je pense que mon art peut changer quelque chose ou quelqu'un. J’en doute. Bien que j'aime absolument et de tout cœur ce que je fais, que je mette tout mon cœur dans mon travail et que j'aime me connecter avec mon public, je ne pense pas être assez importante pour provoquer de grands changements. En même temps, j’ai moi-même vécu des moments qui me paraissaient insupportables et insurmontables adoucis par une phrase d'un livre, d'une pièce de théâtre, d'un film, d'une chanson ou d'une conversation que j'ai entendue entre inconnus. J'espère alors qu’à un moment mes pièces ou mes films, peuvent devenir ces petits cristaux d'espoir que le public peut mettre dans sa poche et emporter chez lui. Par exemple, si cette pièce en particulier peut donner à une personne l'impression qu'elle n'a pas à être définie par ce qui lui est arrivé, si une seule personne peut quitter le bâtiment du théâtre en se sentant moins seule, retrouver de l'espoir, ce serait pour moi une grande réussite. Lovefool parle de l'idée que ce n'est pas de notre faute ce qui nous arrive dans la vie, mais qu'il est de notre responsabilité d'affronter ce qui nous blesse et de panser nous-mêmes ces blessures. Le prix de notre inaction est trop élevé, pour nous-mêmes, notre vie et ceux qui nous entourent. Pourtant, pour terminer sur une note plus légère, précisons que la pièce est aussi hilarante. Alors, si quelqu'un veut venir déprimer pendant une heure, ce n’est pas ici que ça se passe…

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