Interview avec Marc Angel

12 juil. 2022
Interview avec Marc Angel

Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

On lui doit Nuages sur la rizière, De Schëmmelreider vun Useldeng, Schichtwiessel, Le Yas ou encore Zeeechen. L’auteur de BD Marc Angel est de retour en librairie avec non une, mais deux nouveautés : Schortgen – Un bouffeur de fer à la Chambre des députés sur un scénario de Charles Meder, et La Mauvaise heure, scénarisé par Jean-Louis Schlesser. Nous sommes allés à sa rencontre, à quelques jours de la 28e édition du festival international de la BD de Contern.

En mai sortait Schortgen – Un bouffeur de fer à la Chambre des députés, en juin, est sorti La Mauvaise heure. Deux romans graphiques que nous avez cosignés. C’est rare que deux albums d’un même dessinateur sortent à des dates aussi rapprochées. Racontez-nous comment ça s’est passé ?

Marc Angel : C’est vrai, mais c’est surtout dû au corona. Le projet La Mauvaise heure était terminé avant Schortgen, mais l’éditeur a décidé de repousser la sortie pour pas qu’il paraisse en plein confinement. C’est juste pour ça que les deux albums sont sortis presque en même temps.

Schortgen

Les deux albums sont très différents, le premier est un récit historique sur un personnage luxembourgeois, le second est une fiction hommage à M le maudit de Fritz Lang, basée dans l’Allemagne nazie d’avant-guerre. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ces deux projets ? Et comment choisissez-vous les projets sur lesquels vous voulez vous engager ?

Je choisis habituellement mes projets de façon intuitive. Je n’ai pas de critères spéciaux, mais il faut que je sente le sujet ainsi que la démarche du scénariste. Schortgen était une commande, mais là aussi, je ne les accepte que si je les sens. Le sujet m’a intéressé très fort parce que j’aime bien les sujets engagés, les sujets politiques. En plus, c’est un personnage historique dont on ne parle plus trop aujourd’hui ; ce sont autant de choses qui correspondent à mon tempérament.

Vous aimez aussi les récits luxembourgeois...

Oui, c’est vrai. Dans ce cas, c’est une docu-fiction, et c’est la première fois que je fais ça. J’ai effectivement déjà traité des sujets avec un background historique clair, mais habituellement je créais une fiction sur un arrière-plan historique. Là c’est l’inverse, dans le sens où on a un personnage principal réel et il a fallu l’intégrer, pour que ça devienne intéressant pour le lecteur, dans une histoire qui tienne la route. C’est pour ça que le scénariste, Charles Meder, a décidé de ne pas faire une biographie complète, mais de plutôt se concentrer sur la période de la Première Guerre mondiale qui a été très riche en événements et très marquante pour les gens de l’époque.

« J’ai envie de contribuer à la création de l’histoire »

Revenons à La Mauvaise heure…

La Mauvaise heure est le troisième projet que je fais en commun avec Jean-Louis Schlesser. C’est devenu un ami, on s’entend très bien et quand on travaille, on sent, instinctivement, ce que l’autre veut, ce dont il a besoin. Il y a des dessinateurs qui aiment travailler sur des instructions très précises d’un scénariste, avec, parfois, deux ou trois pages d’explication pour décrire une page. Je ne travaille pas comme ça, au contraire, je tiens toujours à intervenir dans le scénario. D’abord parce que j’ai envie de contribuer à la création de l’histoire mais aussi parce qu’on n’a pas de vrais scénaristes BD au Luxembourg. On travaille toujours avec des gens qui viennent d’autres domaines, que ce soit le cinéma, la littérature ou le théâtre. Et ce n’est pas tout à fait la même démarche. Avec Jean-Louis Schlesser, du coup, on a pris l’habitude de vraiment travailler main dans la main.

La mauvaise heure

Dans cette Mauvaise heure vous posez le récit pendant le nazisme, c’était déjà le cas dans Le Retour du Yas. C’est une thématique qui intéresse beaucoup les auteurs…

Absolument. Personnellement ça me parle beaucoup ; d’autant plus que c’est un sujet qui reste toujours d’actualité. Et on le voit à nouveau avec remontée de l’extrême-droite dans différents pays. Pas besoin de chercher très loin pour trouver des parallèles.

« J’aime bien si on reconnaît ma patte directement à la vue d’un dessin »

Schortgen et La Mauvaise heure sont, on l’a dit, deux albums très différents au niveau du récit, mais graphiquement assez proches avec votre noir et blanc très contrasté. Simplement, dans le premier, il y a un aspect très brut, proche de l’esquisse et, dans le second, des planches ou des cases au lavis. Vous n’avez pas toujours travaillé en noir en blanc, comment êtes-vous arrivée à ce style graphique ?

J’effectue des recherches graphiques avant de me lancer dans chaque projet. C’est quand je travaillais sur le premier tome du Yas que j’ai développé ce style-ci. Il convenait au sujet et, en plus, je m’y sentais bien. Je cherche toujours d’adapter mon style au sujet traité dans l’album, il y a donc toujours certaines différences, mais avec, effectivement, une même technique. Et franchement, j’aime bien si on reconnaît ma patte directement à la vue d’un dessin. C’est bien.

Qu’est-ce qui vous plait autant dans le noir et blanc ?

J’aime bien la couleur quand je lis un album, mais pas quand c’est moi qui travaille sur l’album. Actuellement je suis en train d’effectuer des recherches pour un prochain projet qui sera, normalement, en couleur ; mais je considère la coloration comme un travail fastidieux qui vient après le travail vraiment créatif. Une fois le dessin réalisé, j’ai envie de passer à autre chose. J’aime donc autant travailler en noir et blanc. Tout cela étant dit, j’aime l’esthétique du cinéma expressionniste. Ce qui me fait revenir à La Mauvaise heure, en partie inspiré de M le maudit. J’ai utilisé deux styles de dessin différent, pour différencier les deux niveaux narratifs présents dans l’album.

« Même si la scène est toute petite, il y a une énorme diversité au Luxembourg »

Si vous le voulez bien, ouvrons maintenant un peu le sujet. Il y a deux ans vous avez participé à l’album collectif Fortific(a)tions qui réunissait 9 auteurs de BD. Comment définiriez-vous la scène grand-ducale de la BD ? Peut-on, d’ailleurs, parler de scène grand-ducale de la BD ?

Oui, il y a une scène. Une petite scène, mais bon, comme le pays est petit, c’est normal qu’on n’ait qu’une petite scène BD. Ce qui je trouve intéressant c’est que, même si la scène est toute petite, il y a une énorme diversité au Luxembourg. Chaque auteur a son propre style et son public. Il n’y a donc pas vraiment de concurrence, comme ça peut arriver dans d’autres pays, avec différents auteurs qui travaillent sur les mêmes sujets. Chez nous, nous sommes tous complémentaires, ce qui fait que si quelqu’un s’adresse à moi avec une idée de projet qui me semble plus convenir à quelqu’un d’autre, je n’ai aucun problème pour passer le projet, par exemple, à Andy Genen ou Antoine Grimée. Et vice versa.

Arrive-t-on à bien vivre de la BD au Luxembourg ?

Bien vivre… je ne sais pas, mais on peut vivre de la BD au Luxembourg, oui. Comme dans tous les métiers créatifs, on a ses gagne-pain, des commandes qu’on accepte pour des raisons financières. Personnellement, je suis dans la situation très agréable de pouvoir travailler uniquement pour la BD, sans avoir à faire de l’illustration pour la publicité ou des ateliers BD. Mais c’est assez récent.

Vous serez, une nouvelle fois, présent au festival international de la Bande Dessinée de Contern qui, après deux années d’annulation en raison de la COVID, tiendra sa 28e édition les 16 et 17 juillet. Que représente ce festival pour l’auteur que vous êtes ?

C’est un festival pas comme les autres. Ce n’est pas un festival, comme il peut il y en avoir en France ou en Belgique, où la plupart des visiteurs sont de grands connaisseurs en BD, des gens qui se rencontrent et qui discutent entre eux, un peu en vase clos. Ici c’est plus une fête populaire, une fête de village. C’est bon enfant, il y a à boire et à manger, des animations… et c’est très sympa, parce que finalement on touche des gens qu’on n’arrive pas nécessairement à toucher quand on reste entre initiés. À Contern, il y a aussi des gens qui ne nous connaissent pas du tout et qui viennent discuter avec nous. C’est donc non seulement très agréable, mais en plus ça peut vraiment apporter de nouveaux lecteurs. C’est surtout vrai pour d’autres auteurs, pour qui le festival représente aussi des ventes importantes. C’est un peu moins mon cas ; le public de Contern, n’est pas forcément la niche de mes albums.

Liens utiles:

https://insitu.blog

http://www.bdcontern.lu

 

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