Entretien avec Pierre Urbain, président de ALPRA/XR

01 juil. 2022
Entretien avec Pierre Urbain, président de ALPRA/XR

Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

« Et puis, obtenir trois prix, c’est dingue ! »

C’est avec quelques jours d’avance sur la fête nationale que le cinéma d’animation grand-ducal a été à la fête. Le samedi 18 juin, à l’occasion de la soirée de clôture du Festival international du film d’Annecy, ce n’est pas un prix que les coproductions luxembourgeoises ont remporté, mais trois ! Saules aveugles, femme endormie, de Pierre Földes (Doghouse Films) et My Love Affair with Marriage de Signe Baumane (Antevita Films) se sont vu remettre tous deux une Mention du jury, Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux, d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre (Bidibul Productions) a, lui, quitté la Haute-Savoie avec le grand prix du festival, le Cristal du meilleur long métrage.

My Love Affair with Marriage

My Love Affair with Marriage

Malgré la déjà longue histoire d’amour entre le cinéma Made in Lux et le festival d’Annecy – 4 Cristal du long-métrage, 3 Mention spéciale du jury, 2 Prix Fondation GAN à la diffusion, 1 Prix du Public, 1 Prix du jury, 1 Prix spécial pour une série TV, 1 Prix spécial pour la meilleure musique originale depuis une première participation en 1999 avec Kirikou et la Sorcière – une telle accumulation de récompenses une même année, reste hors du commun.

Rencontre avec le président de l’Association luxembourgeois des producteurs d’animation et d’expériences immersives (ALPA/XR), Pierre Urbain, par ailleurs producteur et fondateur de Doghouse Films.

Saules aveugles, femme endormie

Saules aveugles, femme endormie

Le secteur luxembourgeois du cinéma d’animation a été très remarqué au festival d’Annecy. Peut-on parler d’âge d’or ?

Pierre Urbain : Je ne sais pas si on peut parler d’âge d’or, mais c’est vrai que les coproductions luxembourgeoises sont très remarquées depuis quelques années. Ça fait une dizaine d’année maintenant que l’animation au Luxembourg se développe d’une manière qui permet aux producteurs de travailler sur des films de plus en plus intéressants. De pouvoir, plus que précédemment, choisir les films sur lesquels ils ont envie de travailler.

Mais on a conscience qu’avoir trois films en sélection à Annecy c’est assez exceptionnel. Et puis, obtenir trois prix, c’est dingue !

Comment expliquer la vigueur de l’animation luxembourgeoise ?

Il y a bien évidemment plusieurs raisons. Une d’entre elles est financière, dans le sens que les montants qu’on peut obtenir via le Film Fund sont très important. Des sommes qui font que les producteurs étrangers regardent un peu ce qui se passe du côté du Luxembourg, ce qui fait qu’on reçoit désormais assez de proposition pour vraiment choisir celle qui nous plait le plus que ce soit au niveau du graphisme ou de l’écriture. Après le grand nombre de projets luxembourgeois est aussi dû au fait que le secteur est clairement orienté vers la coproduction internationale. La presque totalité des films qui ont des sélections et remportent des prix prestigieux sont des coproductions internationales qui se font avec le Luxembourg ; ce ne sont donc, la plupart du temps, pas des projets développés ou codéveloppés au Luxembourg.

« La qualité des studios luxembourgeois n’a pas toujours été reconnue au niveau professionnel, mais ça a changé »

Vous dites que les montants qu’on peut obtenir via le Film Fund sont très important. De quels montants parle-t-on ?

Pour une coproduction internationale d’animation on peut obtenir 1,5 millions d’euros sur des budgets qui vont pour la plupart de 4 à 8 millions – avec quelques exceptions notables qui ont des budgets bien plus importants, comme Le Petit Nicolas justement ou encore Where is Anne Frank qui a été coproduit par Samsa Film. Le Luxembourg, avec un seul guichet et une relative simplicité, peut apporter 1,5 millions, c’est vachement intéressant pour les producteurs et coproducteurs étrangers.

Le Petit Nicolas

Le Petit Nicolas

Cet argent doit ensuite être dépensé au Luxembourg, du coup, ça implique qu’il faut aussi les professionnels pour effectuer un travail de qualité.

Absolument. L’un est venu avec l’autre et il y a eu une grande évolution. La qualité des studios luxembourgeois n’a pas toujours été reconnue au niveau professionnel, mais ça a changé, film après film, grâce à une base d’artistes et de techniciens doués, de haut niveau, qui travaillent sur ces projets luxembourgeois. Tout cela fait que la qualité technique et artistique des studios luxembourgeois est désormais reconnue au-delà de nos frontières.

L’animation luxembourgeoise semble s’être spécialisé dans le film d’auteur…

… Si on prend les films primés dans les festivals, mais il y a aussi des studios, je pense à La Fabrique d’Images ou ZEILT productions (NDLR : producteur de Mr Hublot de Laurent Witz et Alexandre Espigares, lauréat de l’Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2014), qui s’orientent vers des projets développés en interne dans le but d’obtenir, oui des prix, mais aussi de grands succès commerciaux. Regardez aussi Le Petit Nicolas qui a ramené le Cristal du long métrage, c’est un film qui surfe entre un fort scénario basé sur le personnage crée par Sempé et Goscinny et un aspect plus commercial, tout public, qui peut être regardé en famille.

« Des réalisateurs luxembourgeois, il n’y en a pas des tonnes ! »

Vous parliez plus tôt du fait que le secteur est clairement d’abord orienté vers la coproduction internationale. Est-ce un but en soi ou une étape dans la croissance du secteur qui arrivera un jour à la production et la réalisation de longs métrages d’animation plus luxembourgeois ?

L’un n’empêche pas l’autre. Pour le moment on ne peut pas se passer de la coprod internationale, ne serait-ce que parce que des réalisateurs luxembourgeois, il n’y en a pas des tonnes ! Et pour devenir réalisateur d’un long métrage d’animation, il faut quand-même déjà une solide carrière derrière soi. Un autre problème est que, dans le registre des films plutôt indépendants, il n’y a pas encore d’auteurs graphiques luxembourgeois ou issu d’une école luxembourgeoise qui ont réussi à développer un projet. On a donc tendance à faire les deux, avec des boîtes qui privilégient leur développement tout en faisant de la coprod internationale pour pouvoir survivre, et d’autres boîtes qui s’intéressent d’abord à la coprod internationale et qui essayent de développer aussi petit à petit leurs propres projets, en se disant que, à un moment donné, peut-être que politiquement la volonté du Luxembourg sera de s’intéresser majoritairement sur des projets développés ici.

Il y a désormais une quinzaine de sociétés et sept studios d’animation au Luxembourg. Ça représente combien de professionnels ?

Je pense qu’il y a à peu près 200 personnes qui travaillent dans l’animation, mais c’est fluctuant selon les années et les plannings des productions des différentes boîtes.

Le Luxembourg dispose également d’un BTS dessin d’animation proposé par le Lycée des Arts et Métiers. Quel est le lien entre le secteur professionnel et cette formation qui existe depuis plus de 30 ans maintenant?

Le lien est étroit. Le BTS est un véritable vivier pour le secteur. Il y a des visites des studios qui sont organisés, les producteurs sommes invités aux présentations des films de fin d’études des étudiants, etc. Il y a une vrais synergie. Du côté des producteurs, on essaye d’accepter un maximum de ces étudiants en stage. Puis, une fois leurs études terminée, on essaye d’en engager pour continuer à les former en les faisant travailler dans les studios. Chez Doghouse on doit avoir une dizaine de techniciens-artistes qui sont sortis du BTS.

« On met plus l’accent sur les expériences immersives »

Le secteur est réuni dans l’Association luxembourgeoise des producteurs d’animation et d’expériences immersives (ALPA/XR). L’association vient de changer de nom, depuis 2015, il s’agissait de la Fédération des Métiers de l'Animation et de l'Image Virtuelle Asbl…

Effectivement elle vient de changer de nom car, quand on a créé la FMAIV, il y avait les producteurs, les techniciens et les artistes. Or, les intérêts des uns ne rejoignent pas toujours les intérêts des autres ; et les techniciens et les artistes n’étaient pas très actifs dans la fédération. Du coup on a décidé d’arrêter cette asbl fin de l’année dernière pour créer une nouvelle asbl, l’ALPA/XS, qui représente uniquement les producteurs. Ce qui est beaucoup plus clair. Après, avec la nouvelle association, on met plus l’accent sur les expériences immersives, puisqu’on a parmi nos membres a_BAHN et Radar qui s’intéressent beaucoup à ces techniques-là. C’est un pan qui s’est ajouté et qu’on n’avait pas forcément au moment de la création de la FMAIV, ne serait-ce que parce que la technique n’était pas encore aussi au point que maintenant.

Quelle sont les prochaines étapes pour secteur luxembourgeois de l’animation ?

Continuer dans cette dynamique-là, car rien garanti. Il suffirait d’une mauvaise expérience internationale pour que l’image du Luxembourg soit ternie dans le secteur de l’animation. Il faut donc continuer à bien travailler, continuer à faire de beaux projets, s’ouvrir aux nouvelles technologies et rester à la pointe. Continuer à faire de la coproduction internationale et à développer des projet nationaux. À ce sujets, certains de mes collègues producteurs me disent que ça arrive, que c’est pour tout bientôt. C’est super.