Choreochroma : L’art et l’humain au cœur de la danse

31 mai. 2022
Choreochroma : L’art et l’humain au cœur de la danse

Article en Français
Auteur: Patricia Sciotti

Choreochroma, c’est avant tout la conjonction d’une aventure humaine et d’une aventure artistique novatrices et enrichissantes. Un point de rencontre de diverses formes d’art pour mettre en exergue le mouvement, l’expression puissante et poétique de la danse. D’un échange entre trois êtres qui s’approprient l’espace à la fois seuls et immergés dans l’univers d’autres artistes. En juillet prochain, la première de cette expérience multidimensionnelle, de cette performance chorégraphique à la fois sensorielle, auditive et visuelle, sera présentée sur le planché des coulées à Esch. Cette pièce imaginée et interprétée par Rhiannon Morgan et Giovanni Zazerra, accompagnés de Gabriele Montaruli, tous trois membres du collectif de danse LUCODA se déroule dans le cadre de Esch2022. Elle prend source dans l’expression d’une toile de peinture, se déroule sur la musique d’un compositeur serbe Ljubomir Nikola et s’enrichit de la créativité d’une plasticienne, Chantal Maquet, de deux artistes vidéaste Paul Schumacher et Gilles Seyler.

Outre la puissance de la performance, il s’agit ici d’une toute nouvelle approche de l’expression de la danse qui en fusionnant les différents vecteurs artistiques emmène le spectateur plus loin. C’est aussi une aventure humaine et une partie de l’équipe s’est rendue à deux reprises à Novi Sad également capitale de la culture européenne afin de transmettre cette nouvelle approche à un groupe d’étudiants. Cette création immerge d’un travail de recherche multimédia, mêlant danse, peinture, vidéo, musique et photographie, interrogeant leur rapport au temps et à l'espace, leurs différences et similitudes respectives. Rencontre croisée avec les créateurs de cette surprenante expérience…

Guido

© Guido Bosua

Quelle a été votre démarche, comment toute cette création est née ? Pourquoi à partir d'une peinture ?

Rhiannon : Pour être clair, il faut faire un saut en arrière. En mars 2019, il y a eu un appel de Esch2022 pour un programme qui s'appelle Tandem. C’est un programme qui regroupe d’anciennes capitales européennes de la culture avec les présentes et quelques-unes du futur. Le but de ces rencontres, c'est justement de créer des partenariats entre différents pays et différentes capitales de la culture afin de créer de nouveaux projets inter-européens. Nous avons voulu proposer un projet.

Giovanni : Tout a débuté par un voyage et une rencontre avec le Pavel Beljanski Memorial Collection museum de Novi Sad dans le cadre du programme d'échange Tandem. Quand un chorégraphe rencontre une curatrice/directrice de musée, que peut il arriver… Cette rencontre pleine de partage à permis l’éclosion de ce projet surprenant et inattendu qu'est Choreochroma. Ainsi les envies, visions et intentions diverses qu'on portait nous ont amené à inviter les différentes formes d'expressions artistiques tels que la danse, la peinture et la vidéo, à se côtoyer pour créer une proposition où ces univers divers prennent vie afin de créer un projet unique.

Travailler avec une palette d'artistes divers est un cadeau unique pour nous artistes.

Rhiannon : De ce voyage est née l’idée de transcrire une peinture du grand artiste moderne serbe Sava Šumanović, Déjeuner sur l'herbe. De prendre cela comme point de départ afin de faire en sorte que la peinture prenne une nouvelle vie à travers la danse. Ensuite, nous avons rencontré Chantal au Luxembourg, elle a tout de suite été intéressée à rejoindre l’aventure. L’idée s’est développée au fur et à mesure, d’abord la volonté d’avoir un peintre sur scène, puis s’est posée la question de savoir comment partager son travail avec le public et là est née celle de la vidéo projection. Petit à petit, toute l'équipe s'est construite. Après trois ans, nous sommes en pleine phase de création et préparons la pièce pour les 22 et le 23 juillet. En parallèle, on a ce projet pédagogique. Où l’on partage toute cette méthodologie qu'on est en train de créer avec des étudiants, pour imaginer des pièces de courte durée avec eux qui seront présentées dans le musée à Novi Sad.

Guido

© Guido Bosua

En quoi cela apporte un plus par rapport à une pièce de danse disons plus traditionnelle ?

Rhiannon : C’est une question importante. Pourquoi avons-nous voulu faire ce projet ? Nous voulions trouver des formes nouvelles de collaboration artistique, imaginer comment on peut penser la danse autrement, trouver d'autres moyens de créations artistiques qui peuvent se joindre à la danse pour permettre de nouvelles formes. Pour nous, il s’agissait d’un grand challenge, de sortir la danse de sa zone de confort. C'est en cela que réside la beauté de ces collaborations européennes. Elles nous poussent à chercher de nouvelles formes de création, ce qui est essentiel pour la danse, à se recréer, se réinventer, proposer de nouvelles expériences au public. Tous les collaborateurs sortent ici de leur contexte, disons traditionnel, comme tu l'as décrit dans ta question, et c'est ça la beauté du projet. Ce n’est pas tous les jours qu'on a l'opportunité de créer des pièces comme cela, ni de partir dans d'autres pays en Europe pour être inspirés de leur culture, pour prendre de leur influence.

Giovanni : Grâce au mélange des arts et à la participation des divers artistes impliqués, Choreochroma est un projet qui possède une richesse immense et qui nous nourrit par les échanges et les expériences que chacun apporte à ce projet. À chaque rencontre, chaque recherche, chaque étape de travail, nous apprenons de nouvelles choses, explorons de nouvelles pistes et nous nous cultivons mutuellement par l'échange de nos expériences. Ce projet est une source d'inspiration et un développement important. Le processus de ce projet est aussi important que le résultat qui en sortira.

Quelle a été la démarche avec le groupe d’étudiants à Novi Sad ?

Rhiannon : Avec les étudiants de Novi Sad que nous avons sélectionnés suite à une audition, on a déterminé comment on peut redéfinir l'espace du musée et y implanter la danse. On leur a demandé de choisir une peinture comme nous. On y était en avril pour transmettre ce qu'on avait appris et digéré. Donc pour eux, il s'agit vraiment de connaître ces peintures serbes, de connaître leur héritage culturel et de transcrire cela en danse. Cette démarche va continuer en septembre parce qu'on va y développer encore plus cette idée de performance in situ itinérante, inspirée par les œuvres du musée dans la cadre d’une grande fête organisée là-bas autour de plusieurs musées.

Giovanni : Avec le musée et Novi Sad, nous avons souhaité nous investir sur l'aspect d'échange et de partage de communauté. Ainsi, nous avons développé un projet où l'on travaille avec des jeunes. Dans ce processus, il est question de partager avec eux nos expériences. Rhiannon et moi-même ainsi que l’artiste peintre Chantal Maquet travaillons avec eux afin de développer un processus de création dédié à se connecter avec l'espace interne et externe du musée. Le travail corporel s'oriente sur le dialogue entre les peintures de la collection du musée, comment exprimer une peinture à travers le mouvement. Comment ressortir les diverses essences des peintures afin de les transcrire à travers un moment où la danse les exprime.

Guido

© Guido Bosua

Chantal quel est ton rôle par rapport à Choreochroma ? Qu'est-ce que tu retires tout cela ?

Chantal : Moi, je suis artiste-peintre dans ce projet et donc mon rôle est bien défini mais en définitive, il n’est pas si clair. Au cours de notre résidence en octobre à la Banannefabrik, j’ai été amenée à parler beaucoup, à échanger avec les autres. À parler de mon processus de création en tant que peintre. J’ai également invité les participants à se prêter à la pratique du portrait. Et ensuite, nous avons beaucoup échangé sur cette expérience. Avec les étudiants à Novi Sad, nous avons repris cette expérience d’échange. Cette performance, c'est aussi comme un nouveau regard sur ce que je fais. En général, je parle de ce que je fais avec d'autres artistes-peintres, là, c'est vraiment un autre point de vue sur mon propre travail. Pendant la pièce, mon rôle, c’est de l’accompagner. Je ne fais pas de commentaire sur ce que produisent les danseurs. Ce n’est pas une retranscription, ils dansent et c'est vraiment une création que l’on fait ensemble. On est dans l'échange, l'un ne peut pas fonctionner sans l'autre, nous sommes vraiment liés très intimement. Et je ne suis pas dans l'improvisation, le tout est préparé, imaginé en amont. Bien sûr, il y a toujours un moment d'inattendu lorsqu'on travaille avec la matière, mais j'ai quand même une idée, une vision de ce que je fais.

Rhiannon : Je voudrais ajouter par à rapport de Chantal. Comme nous sommes des danseurs, nous venons d’un domaine différent et n’avons pas spécifiquement les codes du comment percevoir une œuvre de peinture? Ses différentes perspectives, comment est-ce qu'on interprète? Donc Chantal nous apporte son historique à elle. C’est elle qui fait le lien et nous permet de découvrir cette peinture d'une manière plus globale et plus spécifique aussi parce qu'elle nous dirige vers des éléments qui, avec notre background, ne nous auraient sans doute pas interpellés, elle est le pont qui nous relie.

Et toi Paul quel est ton rôle dans Choreochroma, qu'est-ce que tu fais exactement ? Quel est ton rapport à la pièce ?

Paul : C'est un projet pour lequel nous travaillons à deux pour être présents à chaque étape. Nous travaillons directement sur scène avec de la vidéo-projection. C'est un peu spécial parce que je travaille avec des images qui sont générées directement sur le plateau, soit avec une caméra, soit des images de Chantal, de son iPad qui vont être introduites aussi dans la projection en live, soit des images enregistrées lors des répétitions ou lors des résidences. C’est un travail commun. On expérimente des choses ensemble, on imagine ce qui est possible, ce que l’on peut faire, c'est un échange. On est en train aussi de travailler pour faire une création lumière. Donc voilà, c'est une atmosphère générale du plateau qui est liée à la vidéo et à l'éclairage et à la peinture et la danse.

Guido

© Guido Bosua

Est-ce que c'est quelque chose que tu avais déjà fait ?

Paul : C’est complètement nouveau aussi pour nous. Chaque nouveau projet a ses nouvelles dimensions, bien sûr, ce sont toujours des nouveaux défis à solutionner. Chaque projet rencontre des problèmes techniques qui font partie des choses qu'il faut. C'est comme ça que chaque artiste avance dans sa carrière. Je pense que chaque expérience donne de nouvelles idées pour des futurs projets et ils profitent de toute expérience. Enfin, comme tout projet qui se passe sur une scène, c'est de la scénographie. Je dis toujours, en tant qu'artiste vidéaste, que la vidéo, c'est une partie de la scénographie, c'est un élément important à inclure dans la scénographie. Cela nous mène aussi à un travail artistique de création qui est lié à la scénographie, à se poser des questions sur comment on construit la scène par exemple. Là, on a dû trouver des idées pour retransmettre sur la grande scène de Belval ce qui nous amenés à travailler avec un système de draperies de différents niveaux. Ce qui m'intéresse de plus en plus, c’est de créer la scénographie ensemble, avec l'équipe.

La pièce va être présentée les 22 et 23 juillet à Esch, envisagez-vous un avenir pour cette pièce ou pour cette approche créative ?

Rhiannon : Idéalement, nous aimerions la faire tourner pour la présenter dans d'autres villes d'Europe, pourquoi pas dans d'autres capitales européennes comme prototype. Pour moi, elle est un prototype exemplaire de comment justement ces différentes cultures, ces différents médias peuvent se rencontrer et créer ensemble. Donc oui, l'avenir serait de la produire autre part. Personnellement, j’aimerais codifier cette méthodologie qu'on a créée pour qu'elle soit quelque chose qui peut être justement proposé à des musées, à des lieux, des galeries… Trouver ce lien entre la danse, la peinture, les arts visuels, c'est quelque chose d'assez novateur et je crois qu'on peut faire beaucoup avec cette approche, pourquoi pas ouvrir cela au grand public, avoir des workshops, des ateliers dans les musées. Justement, comment percevoir les peintures d'une autre manière, les faire danser, les faire bouger ? Je crois qu'il y a beaucoup de choses à creuser là-dedans. Ce projet nous a permis également d’expérimenter avec d’autres artistes et cela nous pousse à autre chose, c’est là que réside la richesse de la collaboration. Ensemble, sans avoir mis en place un système hiérarchique, car nous sommes tous porteurs de ce projet. Et ça, c'est assez rare, en tout cas dans mon parcours. Voilà, nous sommes tous responsables pour le projet, nous prenons les décisions ensemble et le faisons grandir ensemble.

Giovanni : Oui, Choreochroma dispose d'un potentiel intéressant qui par sa diversité, multidisciplinaire et sa forme, saura trouver une vie après les deux représentations de juillet. L'objectif de diffusion du projet est une démarche essentielle qu'on souhaite entamer avec LUCODA, nous avons très envie de pouvoir partager largement ce projet unique et surprenant.

https://www.lucoda.org/

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