Metzeschmelz : réveiller l’histoire à travers l’art

25 mar. 2022
Metzeschmelz : réveiller l’histoire à travers l’art

Article en Français
Auteur: Salomé Jeko

Le collectif CUEVA reprend ses quartiers dès le 2 avril sur le site de l’ancienne aciérie d’Esch-Schifflange. 32 artistes ont investi la ruelle principale de la Metzeschmelz et feront revivre le site à l’arrêt depuis fin 2012 à travers des expositions et des concerts ouverts à tous, chaque week-end jusqu’au 30 octobre. Reportage sur les lieux à quelques jours du vernissage.

Les artistes ont investi les ateliers mais aussi les murs et recoins intérieurs et extérieurs de la rue principale de la Metzeschmelz.

Les artistes ont investi les ateliers mais aussi les murs et recoins intérieurs et extérieurs de la rue principale de la Metzeschmelz. © Salomé Jeko

Abandonné « dans son jus », la Metzeschmelz offre à qui l’explore une certaine dose de poésie et surtout le sentiment d’être vraiment tout petit dans cette immensité d’acier rouillé. Longtemps interdit d’accès sauf pour les employés de l’Arbed, le site a bel et bien quelque chose de magique. Et si l’activité a cessé il y a pas mal d’années déjà, en s’arrêtant l’espace d’un instant dans l’apparente quiétude des lieux, on se plaît très bien à imaginer comment c’était, avant, durant ces 140 ans d’activité sidérurgique. En cette fin mars, le soleil perce les toits en tôle et les fenêtres cassées des anciennes halles de production. Un perpétuel jeu d’ombre et de lumière qui ne fait qu’ajouter à la beauté industrielle des vestiges environnants. Mais si l’on tend l’oreille, si l’on scrute un peu les alentours, impossible de ne pas voir les engins et les ouvriers qui s’activent au loin, démantelant doucement un pan de l’histoire du sud du Luxembourg.

En attendant, dans l’allée principale, la vie et les couleurs renaissent depuis quelques mois sous l’impulsion du collectif CUEVA, habitué à faire revivre les vieux bâtiments à travers l’art. À quelques jours du vernissage de ce qui sera une grande exposition collective, les lieux sont étrangement silencieux, mais sur les murs et à l’intérieur des petites bâtisses qui bordent la route, on sent que quelque chose se prépare. « Les artistes vont venir à la dernière minute, ils ont besoin de pression pour créer. S’ils réfléchissent trop longtemps, c’est moins spontané ». Sweat shirt recouvert de peinture, Théid Johanns me rejoint à vélo. « C’est la 7e édition et c’est toujours le même principe : créer des œuvres éphémères dans des endroits qui vont disparaître. Ici, une partie des bâtiments va rester, mais sera réhabilitée. L’idée c’est aussi de créer une scène artistique à Esch, de sortir les artistes de leurs ateliers – et de leurs égos – et de les mélanger à d’autres. C’est enrichissant et ça leur permet de se poser des questions sur leur travail. Certains finissent même par réaliser des projets ensemble ensuite ».

Théid Johanns, sur la place principale qui accueillera des concerts et des spectacles dès le mois de mai.

Théid Johanns, sur la place principale qui accueillera des concerts et des spectacles dès le mois de mai. © Salomé Jeko

Liberté de création

Organisateur de l’événement, l’artiste eschois qu’on ne présente plus nous emmène dans son atelier, « là où les ouvriers venaient se laver, il y a encore tous les lavabos d’ailleurs ». Alors que dehors, le printemps bat son plein, à l’intérieur, le froid est pénétrant. « Maintenant ça va, mais en hiver, je marchais dans l’eau et j’avais les pieds gelés », confesse-t-il en nous dévoilant sa création : des dizaines et des dizaines de formes sculptées dans de la mousse expansive, toutes reliées entre elles par un emmêlage de traits noirs peints au mur. Théid a choisi de travailler sur l’effet papillon, qui caractérise cette chaîne d'événements qui se suivent les uns les autres et dont le précédent influe sur le suivant ; soit l’impact de chacune de nos décisions sur la suite de notre existence. « Il n’y pas de fil rouge dans l’exposition, ni de thématique, ici chacun est libre de proposer ce qu’il veut. La seule différence par rapport aux lieux précédents c’est que les œuvres ne seront pas à vendre car on a uniquement choisi des artistes qui font des installations physiques ou des peintures murales. Certains viennent du coin, d’autres de Metz ou encore de Berlin par exemple ».

Création autour de l’effet papillon, de Théid Johanns.

Création autour de l’effet papillon, de Théid Johanns. © Salomé Jeko

Pièces abandonnées, façades, pan de mur, hall transformé en salle de concert d’orgue… 32 artistes se sont partagés différents supports et recoins pour y exprimer leur créativité. À quelques mètres de chez Théid, à l’ombre d’un mur, deux échelles aiguisent notre curiosité. Tout en haut, pas tout à fait rassuré, Marc Soisson, rouleau de peinture à la main, est en plein processus de création. L’artiste est un habitué du collectif. Son Fly cemetery – œuvre présentée en 2020 au Bâtiment 4, toujours dans le cadre de Cueva – m’avait totalement fasciné. Forcément, j’ai envie d’en savoir plus sur ce qui se prépare ici. « Je recouvre pour l’instant le mur de peinture ocre, j’aime bien le rendu. Je vais aussi sûrement faire des dessins dessus, des symboles archaïques, mais je ne sais pas trop encore. Il y aura forcément des clins d’œil à l’Arbed. Et ici, la cavité me fait penser à une chapelle, j’ai une Madone chez moi, je pense qu’elle y aura sa place », confie-t-il timidement, un brin amusé de sa propre incertitude quant au devenir de ce mur. À quelques mètres de lui, un graffiti de Stick rend hommage à la photographe eschoise Isabella Finzi, décédée l’an dernier et qui, elle aussi, avait à plusieurs reprises pris part aux expositions de CUEVA. Sûre qu’elle aurait beaucoup aimé cette nouvelle édition.

Marc Soisson, en plein processus créatif à quelques jours du vernissage.

Marc Soisson, en plein processus créatif à quelques jours du vernissage. © Salomé Jeko

Concerts, spectacles et soirées à venir

En redescendant l’allée et tout en admirant les fresques murales et les sculptures qui la jonchent, je rejoins la place centrale, le cœur de l’exposition qui sera ouverte tous les samedis et dimanches, du 2 avril au 30 octobre 2022. Ici, les pneus abandonnés se sont transformés en tables, les anciennes bobines de fils en chaises, les barils en mange-debout et une remorque de camion fera office de scène. « Ma femme aménage même des petits espaces verts. Dès le mois de mai, il y a aura des concerts, des happenings spontanés, des petits spectacles, des lectures dans le vieux bus abandonné… J’ai eu beaucoup de demandes, la programmation va se faire au mur et à mesure », annonce Théid Johanns qui tenait encore à nous montrer cet espace, juste en face de la place, qui sera investi par des DJ locaux – « la relève de CUEVA, qui sait ». Le vernissage, prévu ce dimanche 27 mars, sera le coup d’envoi de sept mois de festivités au cœur d’un site inscrit dans l’histoire et cher au cœur de nombreux Eschois.

Le site sera ouvert au public du 2 avril au 30 octobre, les samedis et dimanches de 10h à 20h.

Le site sera ouvert au public du 2 avril au 30 octobre, les samedis et dimanches de 10h à 20h.

© Salomé Jeko