5 questions autour de Héichkultur Amplaz Héichuewen

22 fév. 2022
5 questions autour de Héichkultur Amplaz Héichuewen

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

« Richtung 22 TM »

Richtung22 c’est un collectif de jeunes artistes créé en 2010 et comptant aujourd’hui plus de 50 membres actifs. Ils ont entre 18 et 30 ans, sont jeunes professionnels, lycéens ou étudiants à l’université. Une solide équipe mêlant les profils entre ceux qui viennent du cinéma, d’autres d’études culturelles, des sciences politiques, de la philosophie ou encore du journalisme. Par nature, Richtung22 a une force intra-disciplinaire, profitant ainsi de portes ouvertes vers tous types de projets artistiques et culturels. Il est un collectif exempt de toute hiérarchie, fonctionnant d’une manière fondamentalement démocratique, sans président*e, ni metteur*e en scène, où tout est décidé collectivement. Une grande utopie pourrait-on croire, mais la réalité est là, et elle fonctionne au cœur de ce néo-collectif regroupant plusieurs nationalités, mais néanmoins fortement attaché d’une façon ou d’une autre au Grand-Duché.

Tous*tes intégrés au collectif très jeunes, le groupe leur a donné la possibilité d'apprendre et de s'essayer aux techniques artistiques dans un environnement égalitaire, ou des débats politiques ont pu germer. Beaucoup d'entres eux parlent de Richtung22 comme un cadre décisif dans leur vie professionnelle et personnelle. En août, Richtung22 pose ses bagages dans le Sud du pays, au Bâtiment4 à Esch-sur-Alzette, pour s’installer pour la première fois de son histoire dans le sédentarisme. Mais c’est aussi une résultante de la dynamique Esch2022, capitale européenne de la culture, provoquant l’ouverture de lieux et la possibilité de les rendre actifs par l’intermédiaire d’acteurs culturels prêts à tout pour créer et s’engager dans un art fait de passion et d’idées fortes, le moteur à turbine de Richtung22, qui d’ailleurs pour cette année culturelle eschoise prépare un grand projet baptisé Héichkultur Amplaz Héichuewen… Iels nous en parlent.

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© Richtung22

Au sein de Richtung22, vous produisez des films et des pièces de théâtre satiriques, menez des actions dans l’espace public, des expositions ou encore vous tenez une émission de radio, tout cela dans l’idée de « poser une critique de manière créative dans l’espace public et de lancer des discussions sociétales », selon vos mots. Quelles sont ces discussions ?

Nous essayons de lever le voile sur des problèmes structurels et systémiques que nous voyons dans notre quotidien, beaucoup ancrés dans la politique nationale et souvent inspirés par les personnes qui font cette politique. Cela va de l'éducation à la corruption, à la montée de l’extrême droite et du nationalisme, en passant par le racisme, la violence policière et l'histoire coloniale du Luxembourg, le sexisme dans les médias et les écoles, l'utilisation de la culture à des fins purement économiques respectivement de blanchiment d'argent et la politique culturelle en général. Nous essayons de remettre en question des décisions étatiques ou de grandes entreprises quand elles ne sont pas au service du plus grand nombre mais profitent à un petit nombre d'individus. Ce sont des discussions qui surtout au Luxembourg ne se passent pas automatiquement et qu'il faut vraiment activer soi-même si on veut les mener, c'est aussi pourquoi quelques-uns nous appellent la « mauvaise conscience » du Luxembourg.

Par l’interdisciplinarité de vos actions artistiques et culturelles, prenant principalement la forme de satires politiques, l’ambition affirmée de Richtung22 est de « pousser aux questionnements sociopolitiques et sortir l’art de son cadre élitiste ». À quel moment avez-vous ressenti la nécessité de vous positionner en tant qu’artistes critiques de notre monde et en quoi l’art peut-il être le catalyseur de réponses aux différents maux qui y existent ? 

C'est une histoire de génération, je pense. Il y a toujours eu des courants prônant l'art pour l'art et ceux qui s'inspiraient, interagissaient et réagissaient à leur environnement social contemporain. Je crois que notre génération et celle qui vient après nous est tout simplement plus impliquée dans les changements sociaux, plus active dans l'espace publique et plus focalisée sur la justice sociale, cela se voit aux manifestations Black Lives Matter, Youth for Climate, MeToo et autres mouvements féministes. Richtung22 a toujours été dans cette lignée artistique parce que depuis ses débuts il y avait des membres qui s'intéressaient à l'art et à la politique. Au Luxembourg il y a peu de grands groupes engagés en dehors des partis politiques ce qui fait que beaucoup ont aussi intégré le collectif plutôt à cause des luttes politiques qu'à cause de la création elle-même. 

Le Luxembourg fonctionne souvent de façon très normée et en vase clos, où la critique peut avoir des répercussions sur les individus qui l'expriment. Mais il y aussi un plus grand besoin pour des groupes critiques dans un tel environnement. Une chose qui est ressentie par beaucoup de jeunes gens ici, qui quittent le Luxembourg. Mais en effet il faudrait aussi essayer de rapporter ce qu'on a appris, ce qui a manqué, au Luxembourg si possible.  Comme l'art peut être un langage universel, qui peut s'immiscer sur la place publique et dans le quotidien de toute personne, c'est devenu notre moyen d'expression. Nous pourrions communiquer sur les thèmes traités et expliquer la recherche derrière chacun de nos projets au public par des articles de presse ou des textes de recherche, mais cela toucherait différemment.

Dans le cadre d’Esch2022, capitale européenne de la culture, vous développez le projet Héichkultur amplaz Héichuewen, « La haute culture à la place des hauts fourneaux », autour de plusieurs projets qui s’activeront et seront visibles cette année. Quelle a été la genèse de ce projet ?

Le projet a commencé avec notre idée d'écrire une demande pour Esch2022, la capitale européenne de la culture. Dès le début on savait qu'on ne pourrait pas éviter les thèmes qui sont au centre de la vie et de l'histoire du Sud : la sidérurgie, l'immigration, le déclin, etc. Mais il y avait déjà au moment où on a écrit cette demande un autre coté dans la dynamique, celui de la « transformation » structurelle qui se passe déjà dans le pays entier, de la conquête imminente des institutions financières et technologiques, et surtout de l'utilisation de la culture pour ces moyens.

Il était temps de parler des stratégies utilisées pour changer l'image d'une région, pour « activer » le terrain, augmenter le « niveau de vie » et avec ça les investissements et le prix du logement etc. On veut observer à quelles fins l'art et la culture sont utilisées ici et quelles autres possibilités il existe. On est alors parti d'une idée initiale, le brouillon d'une histoire qu'on voulait raconter en une année avec une approche maximaliste, c’est-à-dire : faire le plus de choses différentes possibles par des médias divers et des perspectives variées, avec les personnes qui font déjà partie du collectif et le budget nécessaire pour mener à bien ce projet global. Et en fait, dans notre projet Héichkultur amplaz Héichuewen, on aura beaucoup plus que deux spectacles : on prépare trois pièces de théâtre, deux court-métrages, trois grands happenings dans l'espace public, dont le premier se passera le 20 février, et un tas d'autres petits projets comme un journal, une émission radio et bien d’autres.

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Par ce projet, vous liez les capitales culturelles européennes Ruhr2010 et Esch2022 en partant du slogan de la première « Le changement par la culture – la culture par le changement », pour disséquer celui de la seconde, placé sous le leitmotiv « Remix Culture », divisé en quatre sous-rubriques « Remix Art », « Remix Europe », « Remix Nature » et « Remix Yourself ». Dans ce sens, vous formulez un questionnement autour de ce « changement structurel » du sud du Luxembourg. Quelles réponses ou discussions votre projet vous a permis de formuler ou promet de formuler ?

Le thème principal d'Esch2022 qui est « Remix » est petit à petit délaissé pour le slogan « De la terre rouge à la matière grise ». Ce changement n'est pas anodin, il en dit long sur le sens et les objectifs de cette capitale de la culture : un remix consiste à se concentrer sur ce qui est là, à identifier les mélanges qui renforcent la cohésion d'une société. Ce qui se passe actuellement à Esch-sur-Alzette est une tentative désespérée d'imposer une vision à la ville. Le nouveau slogan ressemble en ce sens au thème de la Ruhr parce qu'on parle dans les deux de changement structurel et de politique économique d'implantation d'entreprise dans une ville qui a été en partie désindustrialisée.

Les fusées et les astronautes sont devenus le leitmotiv pour Esch2022, en référence au Space-Cluster de Belval. Quand sont importées des formes d'art par Esch2022 qui tournent autour de la réalité virtuelle, de l'immersion, de la réalité augmentée, il ne s'agit malheureusement pas de l'art lui-même, mais d'un sentiment d'avenir et de progrès technologique. Mais ce progrès ne se produit pas réellement au Luxembourg, il n'est pas lié au pays, à ses habitants, ou à la grande région. Il est lié au Space Cluster et à la possibilité de procurer à différentes entreprises, par le biais de la législation luxembourgeoise, des avantages qu'elles n'ont pas dans d'autres pays – et ce contre l'intérêt général. Les questions qui en découlent pour nous et qu'on cherche à travailler dans notre projet sont : Quel futur pour le sud ? Quel futur pour les populations sur place ? Qu’est-ce que la capitale culturelle comme elle a été planifiée peut leur rapporter ? Quelle place la culture joue-t-elle dans le projet de Esch2022 et surtout quel est son public cible ? D’où part la capitale culturelle ? D’où part l’envie de Esch-sur-Alzette pour devenir capitale culturelle ? Quels sont ses projets à long terme ? Que veut dire le développement durable pour lequel une charte existe dans le concept de Esch2022 ? Qu’est-ce qui restera réellement de la capitale culturelle dans les années à venir ? Tous nos projets sont basés sur des recherches donc nous allons présenter des débuts de réponses à ces questions mais notre but n'est pas de donner des réponses complètes.

Dans sa conception, Héichkultur amplaz Héichuewen propose une pléthore d’objets artistiques gravitant autour d’une pièce de théâtre jouée au cœur des territoires de la capitale culturelle. Vous parlez à cet effet d’ « une œuvre d’art totale ». Le principe de l’œuvre d’art totale se fonde en effet sur la multiplication des outils techniques, des disciplines et des médias, pour faire exister au sein d’un même projet la vie et l’art. En quoi votre projet couple ces deux univers que sont la vie et l’art et comment l’un s’intègre à l’autre ? 

Comme on ne fait pas de l’art pour l’art, l’art est forcément lié à la vie. Dans ce projet-ci, la vie est l'objet, c’est aller derrière l’image qu’Esch2022 donne d’elle-même, d'aller dans le quotidien, de voir ce qui est mis en œuvre pour cette capitale culturelle et quelles conséquences ça a. Donc au niveau du contenu, on a l'art comme miroir véritable de la société. On parle de la vie puisqu’on parle de la transformation de l’espace de vie de la région du Minett, et des réalités des personnes qui y vivent maintenant, et aussi quelques-un*es d’entres nous). Le simple acte de faire miroiter les politicien*nes etc. les plus exemplaires, c'est déjà assez pour en faire de la satire, de l'art ou du commentaire sans devoir beaucoup ajouter. 

Mais on va au-delà, en fait : dans notre projet, on mélange beaucoup la fiction et la réalité. On utilise plusieurs langues, plusieurs perspectives de récit, on cible plusieurs publics et on crée des personnages fictifs, des entreprises fictives, inspirées par des personnes ou entreprises réelles, des archétypes, des extrêmes... et puis on fait entrer ces personnages dans la vie réelle. On ne joue donc pas seulement sur scène, mais aussi sur les médias sociaux, dans la vraie vie et dans la tête des gens. En mélangeant la vie et l'art de cette manière, on touche plus directement à la réalité et aux réactions en temps réel. Et on essaie toujours d’avoir un impact positif sur les gens qui ne savent pas encore quelle sorte d’instrument l’art peut être.