Le fabuleux destin de Hana Sofia Lopes

27 jan. 2022
Le fabuleux destin de Hana Sofia Lopes

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Old soul

Hana Sofia Lopes n’est pas du genre à se formaliser… Sans même qu’on ne lui ait encore posé aucune question, la voilà partie dans le récit de sa tournée de la pièce Habiter le temps dans laquelle elle tient le rôle d’Hanele. Une joyeuse entrée en matière, suivie d’une longue conversation autour de son incroyable parcours, peuplé de projets aussi différents qu’étonnants, de la télénovela portugaise au théâtre psychologique français, en passant par le film de genre américain, jusqu’à aujourd’hui, plongée dans une tragédie Grecque en anglais. La jeune comédienne de 31 ans foule en ce moment le plateau du Grand Théâtre de Luxembourg pour les répétitions de Medea d’après Euripides, sous la direction du luxembourgeois Rafael David Kohn. Au deuxième jour de travail, un unique croissant dans le ventre, et pourtant avec une vive énergie, elle prend tout le temps qui lui reste pour nous narrer sa jeune mais folle carrière d’artiste des scènes européennes et du cinéma international.

© Christine Eckhardt

© Christine Eckhardt

Entre 2010 et 2014, vous enchainez les pièces de théâtre, principalement d’un registre classique, de Tchekhov à Beaumarchais, en passant par Ionesco, pour en parallèle tenir quelques rôles dans plusieurs courts métrages et interpréter des personnages récurrents dans les séries télévisées luxembourgeoise Weemseesdet ou encore Comeback. En parallèle vous vous formez dans les conservatoires nationaux du Portugal, d’Espagne et de France. Pouvez-vous nous résumer vos premiers pas en tant que comédienne ?

J’ai commencé à faire du théâtre quand j’avais 15 ans. J’étais scolarisée au Lycée Athénée de Luxembourg et le Conservatoire de la Ville de Luxembourg était juste à côté. Par curiosité, avec une amie, on s’y est inscrites. J’ai donc intégré le conservatoire à l’âge de 15 ans et commencé à me passionner pour le théâtre. Au début, je faisais ça pour passer le temps et au final ça s’est transformé en la meilleure heure de la semaine pour moi. D’autant qu’à l’époque, c’était Marja Leena Junker qui donnait les cours… J’ai suivi le cursus du conservatoire jusqu’à mes 19 ans, une période durant laquelle je me suis rendue compte que c’était une nécessité pour moi de faire du théâtre. Je n’ai jamais été aussi heureuse que dans les cours de théâtre. J’ai su très vite que c’était ce que je voulais faire de ma vie, il n’y avait rien d’autre. C’est comme quand on écoute une chanson qu’on adore, tout votre corps vibre…

Après mon bac, je me suis inscrite en fac de droit à la Sorbonne, mais mon rêve était d’aller au Conservatoire de Lisbonne. C’est une école publique et comme mes parents ne comprenaient pas mon choix, je me suis dit, comme ils sont portugais, « Lisbonne » tempèrerait un peu les choses. J’ai passé le concours du Conservatoire de Lisbonne, face à 700 candidats pour 12 places… J’ai bossé comme une malade tout l’été et j’y suis entrée en septembre 2009. Après deux années à Lisbonne, j’ai fait un Erasmus au Conservatoire de Madrid, puis une année supplémentaire au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique de Paris. Je viens d’une formation on ne peut plus classique, infusée de Shakespeare, de Molière, de Tirso de Molina, Tchekhov… Et pourtant, bizarrement, un mois après ma sortie du Conservatoire de Paris, j’ai signé sur la plus grosse chaîne de télévision du Portugal pour travailler deux ans sur une télénovela. Même si j’avais tenu quelques rôles auparavant, ça a été mon premier véritable job en tant qu’actrice.

© Paulo Lobo

© Paulo Lobo

Vous sortez donc du conservatoire de Paris en 2014 pour vous envolez au Portugal et intégrer le casting des séries Mar Salgado et surtout de la télénovela à succès Coração d’Ouro, où vous jouerez dans 300 épisodes, regardés par 1,8 millions de téléspectateurs chaque soir. Pouvez-vous nous raconter cette incroyable période dans votre carrière ?

Entre septembre 2014 et juillet 2016 j’ai travaillé sur ces séries au Portugal, à Lisbonne. Il y’a pire comme premiers jobs. Une telenovela c’est un format particulier. Ça n’a rien à voir avec Plus belle la vie ou Les feux de l’amour, une telenovela a un début et une fin, ça passe en prime time et c’est plutôt dramatique. Du haut de mes 31 ans en regardant en arrière je me dis que ma vie a changé après ça. Je ne m’attendais pas du tout à ça. Je ne connaissais pas les telenovela quand j’étais petite. Quand j’ai passé l’audition, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre et ils m’ont choisie. Je me souviendrais toujours lors de la première répétition de la série, j’étais entouré de « vétérans » du métier, des comédiens très connus à Lisbonne qui font de la télé depuis 10 ou 15 ans. Une de mes collègues très bienveillante m’a dit, « Hana, je te préviens, quand la série sera diffusée, ne tape pas ton nom sur Google ».

Trois mois plus tard, la première chose que j’ai faite, c’est taper mon nom sur Google et j’ai terminé en sanglots dans les toilettes. C’était violent. Quand on part sur ce genre de projet, il faut savoir à quoi s’attendre. Il y a une forme de starification, il faut être prête pour quelque chose comme ça. Une fois j’étais à un enterrement dans le village de ma famille et dans l’église une femme s’est approchée de moi pour faire un selfie… Ça explique à quel point c’était de la folie cette série. Rien ne te prépare à quelque chose comme ça, surtout quand tu viens d’une formation hyper classique. Il faut vraiment avoir un désir profond de célébrité pour aborder cela avec sérénité. Si un jour j’en refais une, je prendrai les choses différemment. Je me sens plus mature, je me connais mieux, j’assume plus les choses, à 25 ans quand c’est ton premier boulot tu ne comprends pas très bien ce qui se passe. Aujourd’hui, c’est différent, les projets que je fais me procure une autre pression, peut-être pire, car il n’y a pas de marge d’erreur.

Porto Première telenovela CORACAO DOURO avec le comedien Miguel Guilerme

Porto Première telenovela CORACAO DOURO avec le comedien Miguel Guilerme

En 2014, le réalisateur Marco Serafini vous remarque sur scène dans Le Mariage de Figaro et vous propose un rôle dans son prochain long métrage Toy Gun. Dans ce film, vous tenez le rôle féminin principal aux côtés de John Hannah, Anthony LaPaglia et Julian Sands pour être nominée en tant que meilleure actrice lors du Lëtzebuerger Filmpräis en 2018. Pouvez-vous nous raconter cette expérience charnière dans votre carrière ?

En 2012, je tourne avec Vicky Krieps dans Sexual Healing, un biopic sur Marvin Gaye. Quelques années plus tard, elle me conseille à Marco Serafini qui cherchait une comédienne pour son film Toy Gun. À l’époque je suis encore au Conservatoire de Paris. Je rencontre Marco devant la Sorbonne, comme un symbole pour moi. Il vient me voir jouer le soir dans Le mariage de Figaro et me propose le rôle. La production a pris un peu de retard et on a finalement tourné en 2016.

Dans Toy Gun je jouais entourée d’un casting impressionnant, j’étais complètement terrorisée d’être le seul personnage féminin consistant de l’histoire, à jouer en anglais et devant Julian Sands… Je ne faisais pas la maligne. Mais j’ai beaucoup appris grâce à cette équipe. Je me considère comme chanceuse d’avoir pu apprendre de tous ces grands comédiens et comédiennes. Entre leur expérience et leur talent, quand tu les vois travailler, tu es happé par leur niveau de professionnalisme. Alors, je les observais, sans jouer les victimes, mais plutôt pour absorber et évoluer.

Tournage TOY GUN avec l'acteur Julian Sands © Etienne Braun

Tournage TOY GUN avec l'acteur Julian Sands © Etienne Braun

Pendant deux années, vous trouvez plusieurs beaux rôles au cinéma, notamment dans le film belgo-espagnol Escapada réalisé par Sarah Hirtt, pour néanmoins mettre de côté la scène mais grandir en tant qu’actrice sous l’œil de la caméra…

Oui et Escapada a été un projet charnière dans ma carrière et également bourré de symboles. Quand on m’a annoncé que j’avais le rôle, on m’a expliqué que María León serait également au casting. C’est une grande actrice du cinéma contemporain espagnol que j’ai découverte dans La voz dormida, un film de Benito Zambrano qui m’a bouleversé quand j’étais au Conservatoire de Madrid. J’avais complètement flashé sur ce film et sur María qui pour moi crève l’écran. J’ai été honorée de travailler avec elle.

Et puis, Sarah Hirtt a fait un boulot incroyable sur ce film, en plus des mémoires de tournage qui me sont chères. On a tourné trois semaines près de Barcelone, dans un petit village où Salvador Dalí allait souvent, près de Figueras. Le film parle d’une bande de jeunes qui occupent une vieille maison abandonnée et dans le casting il y avait de vrais ocupas, des anarchistes en quelque sorte. Ils faisaient également partie du casting… On vivait tous là et j’ai essayé de m’intégrer à tout ça, comprendre leur idéo politique, leurs combats. J’ai un souvenir impérissable de ce tournage.

Ensuite, en 2018, vous tournez Dreamland sous la direction de Bruce McDonald aux côtés de Juliette Lewis (Tueurs nés de Oliver Stone), Stephen McHattie (Orphan Black) et Henry Rollins (Sons of Anarchy). Dirigé par un cinéaste décrit comme un faiseur de « curiosités filmiques » (après Pontypool, par exemple), vous décrivez ce tournage comme « un souvenir dément ». Vous pouvez nous en parler ?

Un de mes grands rêves s’est réalisé sur ce tournage. J’ai pu travailler avec Juliette Lewis que j’admire énormément. Quand j’avais 15 ans je suis allé voir Juliette and the Licks à l’Atelier. Un groupe que je ne connaissais pas à l’époque. Avec mon amie, on s’est mise tout devant comme des groupies et j’ai été sidérée par la chanteuse. Elle avait une telle énergie sur scène, quelque chose de presque animal… À partir de ce moment-là je suis devenue la plus grande fan au monde de Juliette Lewis.

Dix ans plus tard sur Dreamland, il y’a Juliette Lewis au casting. Je n’ai qu’un regret c’est qu’à cause d’une tempête de neige, la scène que j’aurais dû jouer avec elle a été coupée. Finalement, je ne suis pas à l’image avec elle, mais je l’ai côtoyé sur le tournage. Je crois beaucoup aux symboles, aux énergies, ces choses-là, et quand je repense au fait que j’ai été auditionnée par hasard pour ce film, je me demande quelle était la probabilité pour que ça arrive, pour que mon rêve se réalise ? C’est pour cette raison que je me dis souvent que dans la vie, tout est possible.

© Christine Eckhardt

© Christine Eckhardt

En 2017, vous faites donc un retour remarqué au théâtre dans Les sorcières de Salem (The Crucible) d’Arthur Miller, mis en scène par l’anglais Douglas Rintoul. Puis, en 2018, en tenant le rôle principal dans Intranquillités de Fernando Pessoa, créé par Rita Bento dos Reis, au Théâtre d’Esch-sur-Alzette au Luxembourg. Dans ces deux pièces, comme dans l’ensemble de votre parcours, vous passez d’une langue à l’autre, parmi les sept langues que vous pratiquez ou avez pratiqué dans votre carrière. Comment appréhendez-vous ce rapport aux langues dans votre travail de comédienne, ô combien exigeant sur ces aspects linguistiques et langagiers ?

Je suis née au Luxembourg donc ce plurilinguisme c’est quelque chose d’inné pour moi. Mon cerveau est habitué à switcher d’une langue à l’autre. Maintenant il y a une grande différence entre parler et jouer dans une langue et une autre. J’ai débarqué en 2009 à Lisbonne pour entamer ma formation, je parlais portugais, mais il fallait que j’apprenne à parler portugais comme une portugaise. Il fallait qu’un lisboète ne puisse pas se rendre compte que j’ai passé 25 ans de ma vie hors du pays. C’est là où je voulais arriver. Un rôle d’étrangère qui vit au Portugal ne m’intéressait pas. Pour arriver à ce non-accent, ça a été un travail très difficile.

Maintenant si je tourne au Portugal, je pars quelques jours avant pour m’imprégner de la langue et sa musicalité. Après, quand ça m’est impossible, comme récemment pour un projet entre le Théâtre National de Luxembourg et le Théâtre National de Porto, je dois me mettre dans une condition de concentration très différente. Je remarque être un peu crispée, forcer certaines choses par moment pour avoir une diction plus claire et limpide en portugais. Je ne me pose pas cette question en français, par exemple. Après, en gardant le focus là-dessus je suis plus relâchée sur d’autres choses, cela dépend de beaucoup de choses…

Pièce INTRANQUILITÉ au théâtre d'Esch

Pièce INTRANQUILITÉ au théâtre d'Esch

En 2020, le metteur en scène Michel Didym vous fait confiance pour incarner le rôle d'Hanele dans la pièce de théâtre Habiter le temps aux côtés d’Irène Jacob, Jérôme Kircher, Eric Berger et Julie Pilod. Sous le coup d’accusations et de déboire judiciaire, Michel Didym s’est retiré d’Habiter le temps pour permettre au spectacle de survivre et continuer à tourner malgré les obstacles. Sans parler de la polémique en question, comment se vit une telle production théâtrale par ceux qui la porte aujourd’hui ?

Nous sommes les victimes collatérales. En tant que groupe, nous trinquons, nous subissons les conséquences de tout ça. La pièce a été montée en décembre 2020 et montrée en première à Nancy, c’est donc aujourd’hui un spectacle qu’on est capable de faire seuls. Pour moi, c’est une pièce exceptionnelle avec des personnages aux multiples facettes, de nombreux points de vue vers lesquelles se tourner et tellement de densité. Ça parle à tout le monde, des traumatismes familiaux, ceux de l’enfance et jusqu’à quel point ils t’influencent en tant que personne. Et tous les soirs je remarque à quel point ça touche les gens. Je tiens un monologue à la fin de la pièce et je vois à chaque fois au moins cinq ou six spectateurs pleurer comme des bébés devant moi. Ça touche vraiment les gens. C’est pourquoi je regrette de ne pas pouvoir la jouer plus.

Comment vous êtes-vous laissée habiter par le personnage d’Hanele ?

Ce spectacle m’a marqué en tant que comédienne c’est certain. Pendant quatre ans, j’étais sur des films, je n’ai pas fait de théâtre. Mais c’est au théâtre que ça a commencé pour moi. Quand j’ai passé le casting pour Habiter le temps, je savais à quel point c’était difficile de rentrer dans le théâtre français, mais je voulais vraiment faire cette pièce. C’est une pièce qui m’a vraiment touchée personnellement. Je suis vraiment une old soul et justement cette pièce elle parle de ça, et mon personnage me ressemble énormément. Quand j’ai lu cette pièce je me suis vraiment dit que la personne qui aurait la chance de jouer ce personnage-là tiendrait un rôle en or dans les mains. J’ai rencontré Michel Didym, j’ai fait le casting et sur le moment, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir raté l’audition, mais finalement j’ai été prise.

Au début, ça a été compliqué parce que j’étais de loin la plus jeune du groupe, entourée de comédiens et comédiennes avec beaucoup d’expérience, un environnement où il n’y a pas de marge d’erreur. Si je n’avais pas eu l’année à Paris, je ne pense pas que j’aurais pu encaisser ce rôle. Mais je n’ai jamais autant évolué en tant que comédienne et toutes les équipes des projets que j’ai fait après Habiter le temps s’accordent à dire que j’ai beaucoup évolué et pris en maturité grâce à ce projet. Je suis très fière du travail qu’on a fait sur cette pièce. Je trouve que le spectacle est magnifique et ce malgré la malédiction Covid qu’il y a eu dessus et ces histoires qui concernent Michel Didym. Et, en même temps, après avoir survécu à autant de pression sur un tel projet, je me sens prête pour tout.

Habiter Le Temps © Éric Didym

Habiter Le Temps © Éric Didym

A partir du 22 février vous ferez partie du casting de la deuxième saison de la série luxembourgeoise Capitani qui sera, dans un premier temps, diffusée sur RTL Luxembourg, puis à l’échelle mondiale sur Netflix. En tant qu’actrice, comment entre-t-on dans ce genre de projet encensé et regardé à l’international ?

J’ai eu une période avec beaucoup de tournages pour ensuite faire beaucoup de pièces de théâtre et maintenant la roue tourne à nouveau et je cumule les tournages à nouveau. Le premier de la série a donc été la seconde saison de Capitani, qu’on a tournée en 2021. Je connaissais déjà la plupart des gens de l’équipe, que ce soit le casting ou l’équipe technique. L’ambiance sur le tournage était donc naturellement super et après le succès de la première saison je pense que les gens ne seront pas déçus de la seconde. C’est très bien écrit et c’est tout autre chose. J’ai hâte moi-même de voir le résultat final.

Après, je dois préciser que je n’ai pas un gigantesque rôle dans cette seconde saison. Les rôles principaux sont restés ceux de la première saison et les grands rôles de la deuxième saison sont des rôles masculins. Mais je suis heureuse d’avoir participé à cela. D’autant qu’on m’en parle tout le temps. Les gens sont vraiment dans l’attente... C’est un symbole pour le pays cette série, avec le succès qu’elle a eu dans le monde et sa production quasi essentiellement luxembourgeoise.

Cette saison, vous êtes également dans la distribution de deux productions des Théâtres de la Ville Luxembourg : dans Medea, mis en scène par Raphael Kohn (mars), et la reprise de Hedda Gabler, mis en scène par Marja-Leena Junker (avril), et courant 2022 vous interprèterez Nilde dans L’arrivée de la jeunesse de Marcello Merletto et Fabio Bottani. Vous passez donc d’un projet à l’autre en à peine quelques mois. Après plusieurs tournages, comment encaissez-vous ce bouillonnant rythme de travail ?

J’espère survivre à cette année. C’est génial d’avoir des projets quand tu es artiste indépendante, mais il faut aussi savoir mettre des limites pour se protéger soi-même parce qu’à un moment donné ton corps et ton esprit dans un job aussi prenant sont impactés. Si je me mettais à dire oui à tout, je travaillerais 16 heures par jour, toute l’année. C’est aussi une façon de préserver les projets sur lesquels je travaille, histoire de ne pas être lessivée en répétition ou sur le tournage. Et puis, il s’agit de conserver un minimum de vie. Personnellement, à partir de fin août jusqu’en juin, j’ai cinq jours off, alors, j’essaye de conserver une vie en dehors de mon job, ce qui est une chance. J’ai trouvé des trucs qui me font du bien, je me suis tournée vers la spiritualité, le yoga, la méditation et le sauna, pour conserver un certain équilibre.

The lost beginning © TNL

The lost beginning © TNL

C’est aussi votre force que d’être capable de passer d’un projet à l’autre, et surtout dans des registres très différents. Des choses qui n’ont rien à voir les unes avec les autres mais qui vous permettent un épanouissement total dans votre métier…

C’est vrai. J’ai commencé la saison par une coproduction avec le Théâtre National de Luxembourg et le Théâtre National de Porto. Une pièce un peu conceptuelle, mise en scène par Pedro Martins Beja, un metteur en scène de Berlin. C’était une déconstruction théâtrale totale, je suis passée ensuite à Habiter le temps, qui est une sorte de thriller psychologique assez classique, et maintenant j’enchaîne avec Medea, une tragédie grecque en anglais. Ça va être un nouveau défi. Je suis au deuxième jour de répétition et je pense qu’un tel projet n’a pas souvent été fait au Luxembourg, surtout dans la façon de travailler du metteur en scène qui est très intéressante, inspirée de la technique d’interprétation de Sanford Meisner. Je n’ai pas retrouvé ça depuis le conservatoire. C’est fantastique de pouvoir prendre le temps de chercher, de s’exercer, de développer un laboratoire, d’essayer de trouver une autre énergie, voir ce qui marche, ce qui ne marche pas. C’est un cadeau d’arriver à prendre le temps.

J’adore passer d’une chose à une autre. J’ai l’impression de recommencer à zéro. Et puis j’aime surprendre les gens. On ne peut pas me mettre dans une case, je travaille devant des publics complètement différents, dans des projets différents, avec des gens qui ont des idées très différentes. La recette pour réussir à s’intégrer à chaque fois, c’est de comprendre quel ingrédient je suis là-dedans. Le travail de comédienne est d’essayer de mettre en pratique la vision du réalisateur ou du metteur en scène, même si ce n’est pas comme ça que je le vois personnellement. Et souvent quand je sors de scène, je vais voir le ou la metteur*e en scène et la première chose que je lui demande c’est « are you happy ? », parce qu’en définitive c’est tout ce qui importe.

Et justement dans votre parcours hyper pluriel en tant qu’interprète, vous n’auriez pas envie un jour de diriger des projets ?

Non, pas encore. Peut-être que ça viendra un peu plus tard, mais pour le moment j’aime vraiment ce que je fais. Et puis, jongler entre tous les projets, d’un pays à l’autre, c’est déjà quelque chose de très prenant. J’ai peu de moments pour respirer. Et ça m’énerve que les gens emploient l’expression « la vie d’artiste » avec une connotation péjorative. Car c’est tout le contraire. Aujourd’hui, par exemple, il est 18h15, j’ai mangé un croissant et enchainé toute la journée. Donc pour l’instant, je veux rester focus sur mon travail de comédienne. Aujourd’hui, je me sens vraiment prête pour entamer de gros défis. Il faut un timing pour tout et là je me sens prête pour tout.

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