04 juin. 2024Stéphan Roelants
Quelques perles sont encore à venir – le puissant et poétique Kensuke’s Kingdom s’apprête à sortir en salle le 5 juin prochain, tandis que Slocum et Moi vient d’être présenté à Cannes et est en compétition à Annecy –, mais Stéphan Roelants, le créateur et CEO de Mélusine Productions et de Studio 352, a annoncé en avril qu’après 27 ans à la tête des deux structures, il passait la main, pour « écrire, poursuivre (son) aventure documentaire et prendre soin de (sa) santé ». Nous sommes allés à sa rencontre pour revoir avec lui les différentes étapes de son fabuleux destin.
En 27 ans, quasiment autant de longs métrages et une cinquantaine de séries télé, Mélusine productions et Studio 352, deux structures grand-ducales spécialisées dans le cinéma d’animation, ont réussi à se créer une réputation internationale. Quatre nominations aux Oscars, deux aux Golden Globes, deux César remportés sur sept nominations, deux Emmy Awards et une ribambelle d’autres prix et sélections dans de grands festivals sont là pour le prouver. Au-delà des récompenses, la simple évocation de certains de ses films – Ernest et Célestine, Panique au Village, Song of the Sea, Extraordinary Tales, Ethel & Ernest, The Breadwinner, Les Hirondelles de Kaboul, Wolfwalkers ou encore Le Sommet des Dieux – font remonter auprès des cinéphiles non seulement de belles histoires, mais aussi le souvenir d’œuvres exigeantes, complexes, poétiques et aux choix artistiques souvent osés.
Derrière ces choix et cette politique éditoriale hors du commun, on retrouve Stéphan Roelants. Fondateur de Studio 352 en 1997 et de Mélusine Productions en 1998, le Montois a dirigé les deux structures jusqu’à cette année. « Aux membres historiques, je vous avais promis au moins 6 mois de travail à l’époque, 27 ans plus tard, sans jamais d’interruption, l’aventure continue… » écrivait-il, en avril dernier, sur les réseaux sociaux dans un message annonçant son départ et le rapprochement des deux entités avec le groupe français Superprod. Un court message duquel se dégage une certaine fierté du travail bien fait, mais aussi et surtout la joie de la poursuite de l’activité et de la sauvegarde des emplois – plus d’une quarantaine.
« Pour des raisons principalement de santé, je sentais que ça commençait à être difficile » explique Stéphan Roelants. À 58 ans, toujours accompagné de sa canne, ce grand gaillard franc du collier n’a jamais caché ses contraintes physiques. Celles visibles, dues à un grave accident de la route à peine majeur – « je me suis fait renverser sur un passage piéton par une voiture qui venait de faire un holdup » –, mais également ceux moins visibles – « J’ai une invalidité, j’ai une paralysie respiratoire » évoquait-il au journal Le Quotidien pendant la pandémie du COVID-19. Il complète désormais : « après une ou deux alertes et des moments compliqués, je me suis dit qu’il était temps de penser à ce qui se passerait si… La phrase reste là, suspendue, mais le message est clair. L’histoire du Studio 352 et de Mélusine Productions ne doit pas s’arrêter avec lui, elle doit au contraire poursuivre sa route même si le fondateur se retire. Ou plutôt, même s’il passe à un autre chapitre de son fabuleux destin.
« Je suis arrivé dans la production un peu par hasard » reconnaît-il sans détours. Né à Colfontaine, « dans le Borinage », un ancien site minier et, malheureusement, « un des villages les plus pauvres de Belgique » Stéphan Roelants est issu de ce milieu rude et populaire : « Ma grand-mère était directrice d'école, mais avant elle, depuis le XVIIe siècle, toute la famille travaillait dans la mine ». Mais ce n’est pas du genre à se plaindre, « j'avais mes parents et ma grand-mère qui prenaient soin de moi, on n'a jamais manqué de rien ». Au contraire, « j'ai vécu une belle enfance avec des copains de toutes origines : des Algériens, des Italiens, des Marocains… J’avais mon chien, je faisais de la bicyclette dans un petit bois tout près, j'avais une grande liberté ».
Une enfance dynamique en somme, mais aussi une enfance faite de lectures nombreuses et variées ; au point que, quand, en fin de primaire, la maîtresse lui demande ce qu’il veut faire plus tard, le gamin lui répond : « je veux être Joseph Kessel ». Il s’explique : « Je voulais être grand reporter, écrivain, un peu révolutionnaire, etc. ». II y parviendra presque puisque, avant même d’entamer des études de journalisme et que, encore élève à l'Athénée royale de Mons, il commencera à écrire des nouvelles et à gagner quelques prix littéraires.
Si la passion pour la littérature lui vient principalement de sa grand-mère, celle pour le cinéma, elle, il la doit aussi à son grand-père paternel. « Il m'emmenait souvent au cinéma, notamment à l'Ambassador à Bruxelles (…) J'ai eu la chance de regarder très jeune encore pas mal de films anciens comme les Renoir ou les Clouseau et puis j’aimais beaucoup Kubrick, Coppola… ». « Le premier film sans mes parents, en salle, c'était Star Wars, se rappelle-t-il, mais la séance la plus marquante de ma jeunesse, ça a été Pink Floyd : The Wall d’Alan Parker ». L’animation déjà ; une histoire complexe, pour adultes, qui n’est pas sans rappeler la politique éditoriale future du Studio 352 et de Mélusine Productions.
Mais tout cela restait au niveau de l’entertainment, rien ne destinait Stéphane Roelants à diriger un studio d’animation et une société de production audiovisuelle pendant 27 ans. Pas sa famille – son père était directeur de banque –, pas son année de fac droit à Bruxelles – « que j’ai brillamment échouée puisque j'ai passé mon année entre les salles de concert de rock et le musée du cinéma » – « mais j‘ai réussi mon bac de droit (2 ans en un) l’année qui a suivi » tient-il à préciser – pas non plus ses études, réussies cette fois, en sciences économiques appliquées. Enfin, ces dernières, si, un peu, tout de même. « Pour l’obtention de mon master, j'ai fait un mémoire sur le cinéma, l'investissement et le Tax shelter en Europe » précise-t-il.
Un sujet pas tout à fait venu de nulle part puisque le directeur du festival de Namur et de Mons était un de ses professeurs et que, l’encore tout jeune Stéphan Roelants a fait pas mal de petits et grands boulots dans ces deux manifestations. Une première porte professionnelle vers le 7e Art ; la seconde lui sera proposée par plusieurs copains de l’époque qui étaient en fac de cinéma et ont voulu adapter l’une ou l’autre de ses nouvelles pour leurs travaux de fin d’année. De l’écriture de nouvelles, Roelants passe alors à celle de scénarios, puis il se démène pour trouver les autorisations de tournage et faire un peu de production pour ses copains. Bref, c’est la production qui s’est imposée à lui ! Et s’il dit aujourd’hui avoir détesté ses études, ses connaissances en sciences économiques et en droit lui ont malgré tout été bien utiles.
Mais Studio 352 et Mélusine Productions ne se sont pas faits en un jour. Jeune professionnel, Stéphan Roelants travaillera chez Lipping SA en Belgique où il se lance dans la production et la réalisation de films d’entreprise principalement et de documentaires. Par ailleurs, il cumule des jobs d’appoint : il fera office d’attaché de presse pour des événements et deviendra photographe d’agence. En 1993, il quitte la Belgique et fait une première incursion au Grand-Duché pour travailler, pour la télé anglaise, sur des documentaires sur la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, le secteur audiovisuel luxembourgeois était encore balbutiant, le Belge ne s’y attardera donc pas, préférant s’installer un temps à Londres pour travailler chez FILMS, « des gens qui assuraient le financement et suivaient la production de films de studios américains ». « J'ai appris beaucoup là-bas, ça m'a permis d'avoir les deux cultures, celle d’un cinéma européen plus créatif et de voir l'approche américaine » ajoute-t-il. Mais la vie y était compliquée. « Je travaillais sur des films qui rapportaient des millions, mais n’étais pas sous contrat stable, j’avais du mal à prendre ne serait-ce qu’une semaine de vacances et je vivais dans des pensions vraiment très limites, dans des chambres minuscules ».
En septembre 1995, il arrête donc tout et part travailler pour une banque, à Bruxelles, jusqu’à ce qu’un chasseur de tête aille le chercher pour devenir directeur financier et producteur pour une société luxembourgeoise d’animation, de communication, de pub… Malheureusement, il s’aperçoit rapidement que si les idées fusent, la situation financière de la structure n’est pas des meilleures. C’est clair, ça ne peut pas durer. Assez rapidement, grâce à l’argent de l’assurance de l’accident, il crée une nouvelle société, réengage la quinzaine de salariés de l’autre et lance le Studio d’animation 352, pensé comme un studio de prestations de services.
Et pour trouver ses premiers clients, il n’hésite pas à s’envoler pour New York et Los Angeles, à prendre rendez-vous avec la Walt Disney Television Company – « Ils m’ont regardé comme un fou » –, tenter un coup de bluff et à proposer de travailler à moindre cout ; « à l’époque, un épisode de série d’animation de vingt-six minutes coutait 61.000 dollars ; Moi, j'ai dit, "je vous le fais pour 55.000" ». On lui commande alors 4 épisodes, puis six. De quoi lancer le Studio 352 et assurer 6 mois de travail à ses collaborateurs. L’aventure débutera officiellement le 1er avril 1997.
De là naitront, Seahorse Productions à Paris, un bureau de représentation, Neptoon Incorporated, à Los Angeles, – tous deux revendus depuis –, Mélusine Productions… et des dizaines d’heures de séries, de courts et de longs métrages d’animation, mais aussi quelques documentaires. Autant de projets avec toujours le scénario au centre du projet, un graphisme qui amène un plus au récit et une envie de raconter des histoires différentes, qui ne se contentent pas d’amuser, mais ouvrent les horizons et donnent à réfléchir sur des sujets complexes. Tout cela avec, en externe, le succès pré énoncé, et en proposant, en interne, une ambiance familiale.
Certes, Mélusine a principalement travaillé en tant que coproducteur minoritaire avec des réalisateurs venus d’ailleurs, mais est néanmoins parvenue, en 27 ans, à créer sur son nom une sorte de label de qualité reconnu au niveau international. 27 ans pendant lesquels Stéphan Roelants a en grande partie mis de côté ses projets artistiques personnels.
Oh certes, pas totalement, puisqu’il y a tout de même publié, en 2010, Fables de nuit, un recueil de courts récits, puis, en 2017, les recueils de contes fantastiques Les Secrets du Sombre et Le Jugement dernier, en 2018, le roman historique Les Cendres des Dieux et puis, en 2019, le policier Sans sauvage. Il a aussi écrit et enregistré les textes de l’album audio Minotaure avec le musicien Laurent Vichard ou encore participé à l’écriture de I fiori persi qui servira de prologue au film documentaire éponyme de Fabrizio Maltese.
« J'ai passé 30 ans à me consacrer aux autres, aux œuvres des autres. Je l’ai fait sans aucun regret, mais à un moment j’ai voulu retourner à l'écriture » explique-t-il. « Là, j’ai trois autres projets en cours, dont une espèce d’autobiographie pleine de dérision sur le monde de la musique et du cinéma » s’amuse-t-il. Et comme si cela ne suffisait pas, il écrit un projet de série documentaire sur le monstre d’un point de vue sociétal, un documentaire sur le street art, un autre sur un écrivain suisse et un sur l’artisanat d’art au Luxembourg.
Même en quittant Studio 352 et Mélusine Productions, Stéphan Roelants ne semble pas parti pour s’ennuyer. « J'ai organisé mon temps, je me lève assez tôt, j'écris le matin, l'après-midi je me repose un peu, je prends soin de moi et je travaille un peu dans le jardin, et puis le soir, je suis avec mon épouse, on regarde un film, on discute, on lit et puis on retravaille un peu ; avec mon épouse qui est chercheuse en littérature antique, on se remotive l'un et l'autre ». Et de conclure : « Bref, c'est parfait. J'ai vraiment beaucoup de chance ».
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