Sophie Meyer

17 nov. 2023
Sophie Meyer

Article en Français
Auteur: Isabelle Debuchy

Parmi les 77 artisans qui exposeront leurs œuvres dans le cadre de la 4e biennale « De Mains De Maîtres », les créations de Sophie Meyer costumière, créatrice et artiste indépendante vivant au Luxembourg, nous ont interpelées.

Le « geste et le territoire », comment avez-vous interprété ce thème de la 4e Biennale De Mains de Maîtres ?

Le territoire du Luxembourg - son histoire, ses légendes, sa littérature, sa nature …- a été ma source d’inspiration dans mes créations « Melusina » et « Renert ». Quand le thème a été annoncé pour cette édition de la Biennale, ma première pensée a été de concevoir un projet en hommage à ses quatre régions. Des Terres rouges du sud aux vignobles nichés dans le paysage vallonné de la Moselle, en passant par les pentes de schistes et les vastes forêts du nord : le petit pays du Luxembourg et toute sa diversité.

Musel

Votre création « Melusina » tient de la légende de Mélusine et à travers elle de la libération des femmes dans la société moderne. D’autres travaux éclairent t’ils ce thème ?

L’émancipation des femmes a joué un rôle majeur, non seulement dans mes premières œuvres comme « Melusina », mais aussi dans des productions plus récentes comme « E Roude Fuedem duerch de Rouden Buedem » dans le cadre de MASKéNADA.(1)  Mon travail d’artiste est différent de celui de costumière, et ce n’est pas une coïncidence, si j’ai choisi le corset comme pièce d’exposition pour « De Mains de Maîtres ». Considéré jusqu’à aujourd’hui comme un vêtement qui contraint, le corset, s’il est fabriqué correctement et notamment sur-mesure, peut-être au contraire une expression de liberté. La durabilité est un sujet qui me tient à cœur et qui définit mon processus créatif. Le gaspillage lié au secteur de la mode et du costume est ce que j’essaie de contrecarrer, en utilisant des matériaux recyclés comme de vieux vêtements, des chutes de tissus, du plastique et bien d’autres éléments qui finiraient stockés sur des sites d’enfouissement.

Corset

Qu’attendez-vous de votre présence pour cette Biennale ?

C’est la deuxième fois que j’ai l’honneur de participer à l’exposition. Mon plus grand souhait est de mettre en valeur le savoir-faire artisanal qui entre dans la fabrication de costumes ou de vêtements. Cette année, je présente trois corsets montrant la précision et les détails dans la création de telles pièces. Dans notre société de consommation, la mode doit être toujours rapide et bon marché et les vêtements sont souvent jetés après une saison, ce qui fait de la mode l’une des industries les plus polluantes de la planète. J’espère que cette exposition permettra d’accorder un peu plus d’attention à l’art et à l’artisanat dans la création d’un vêtement.

Possédant les connaissances du tailleur et du couturier, vous êtes souvent chargée de la création des vêtements de scène. Est-ce que vous créez vos costumes comme une seconde peau ?

Mon travail de costumière est dans cet esprit. Pour l’acteur, le costume est un outil de travail et d’expression. Une seconde peau est généralement considérée comme ce qui vous permet de vous sentir à l’aise et protégé, voire de vous cacher. Dans ma démarche artistique, je ressens les choses différemment. J’aspire plutôt à ce que mes costumes mettent en valeur l’individualité. En plus d’être une seconde peau, ils peuvent être en effet vus comme une armure ou une œuvre d’art portative, mais ils doivent surtout permettre à celui qui les porte d’exprimer ses émotions et ses désirs. Le fait que ce soit une seconde peau dépend donc uniquement de celui ou celle qui les porte.

Musel

Quelle place a l’opéra dans la création de vos costumes ?

Lorsque vous allez voir un opéra, vous êtes souvent transporté dans des mondes somptueux avec des costumes extravagants et élaborés, ce qui permet d’échapper à la réalité. Mes créations, influencées par ma formation de costumière historique en ont donc les allures. J’aime créer des costumes opulents aux détails raffinés et les utiliser comme élément narratif, explorer en quoi ils peuvent être un centre d’attention dans le spectacle. Un vêtement est une pièce d’art en soi, un costume somptueux est une « touche » d’opéra dans la vie quotidienne.

Qu’est ce qui rend votre travail si différent de celui des autres designers ?

Mes créations artistiques se veulent durables. Je suis toujours à la recherche de nouvelles techniques pour créer mes propres matières et pour utiliser des matériaux non conventionnels et recyclés, en utilisant au maximum tous les morceaux de tissus d’autres créations. Je me sens plus exploratrice que designer, car ce sont les matériaux qui me guident vers un nouveau design. C’est une expérience très gratifiante.