Noé Duboutay est-il un héros ?

13 mar. 2024
Noé Duboutay est-il un héros ?

Article en Français
Auteur: Sarah Braun

Performeur prolifique, l’artiste luxembourgeois Noé Duboutay vient d’être choisi comme lauréat 2024 de la résidence à la Cité internationale des Arts, à Paris. Son projet « what a hero » a en effet été largement salué par le jury, non seulement pour sa qualité, mais également pour les questions soulevées par ses recherches autour de la notion de héros, mais plus largement, celle de l’identité.

À quel moment se sent-on artiste ? Vaste sujet. Même s’il confesse qu’iel a toujours baigné dans l’art – une forte sensibilité parentale pour l’exercice - Noé Duboutay, lui, parvient à un moment à fixer ce moment décisif. Celui où iel a compris que l’art deviendrait sa façon d’être au monde en même temps que sa profession. « Le sentiment d’être un artiste naît dans le regard de l’autre, et, surtout, dans sa reconnaissance. En ce qui me concerne, cela a commencé à apparaître au moment de mes études à l’université, lors de mes premières expositions. Mais c’est une fois sorti du cursus que je me suis vraiment senti artiste. J’avais toujours eu cette prescience que l’art jouerait un rôle prépondérant dans ma vie ; je ne m’imaginais pourtant pas que j’en ferais un métier. »

Sa pratique – que l’on peut qualifier de totale, tant elle mêle le corps et la voix – est largement influencée par son quotidien, la façon dont iel appréhende le monde et les gens qu’il croise. La lecture, la musique, mais également la politique, fondent le socle de sa matière. D’une manière presque compulsive, Noé accumule les témoignages, les savoirs, se documente – détail que le jury a largement salué : « avoir un background de recherches est primordial pour moi, afin d’éviter les contresens, et aussi de comprendre l’origine et la portée de chaque chose ». 

Repenser les héros

« what a hero », le projet sur lequel il travaillera lors de sa résidence à la Cité internationale des arts de Paris part d’un questionnement à travers les âges. « Il s’agit de mettre en perspective nos héros contemporains, par rapport aux héros médiévaux. Ces derniers font d’ailleurs l’objet d’une véritable curiosité – voire d'une tension – artistique depuis quelque temps. Cela m’a beaucoup intrigué.

Je me suis demandé d’où cette tendance venait, et je me suis rendu compte que les partis de droite utilisaient cette vision médiévale pour leurs programmes. C’est en ce sens qu'il est indispensable de bien se documenter en amont pour utiliser ces courants de pensée à bon escient. » Ainsi faisant, iel questionne la figure du héros et par extension celle de « l’homme idéal », en me fondant sur Le Roman de Silence, une œuvre singulière qui se passe dans le royaume d’Ébain en Angleterre. Les femmes n’ont plus le droit d’hériter depuis le jour où deux comtes mariés à des sœurs jumelles se sont disputés jusqu’à la mort, un droit de succession. Aussi Cador, pour préserver le droit d’héritage de sa fille Silence, l’habille-t-il et l’éduque-t-il en garçon : ainsi pense-t-il transgresser la loi.

Arrivéx à la puberté, l’hérosïnx vit une crise identitaire ; iel s’enfuit avec des jongleurs. Douéx de qualités artistiques et guerrières, iel fascine toutes les cours. La Reine elle-même, abusée par sa mise, tente vainement de la séduire. Humiliée par son échec, blessée dans son amour propre, cette dernière fomente une implacable vengeance en suggérant au Roi d’ordonner à Silence de capturer Merlin. La jeune personne parvient à ramener à la cour le Mage qui, selon sa propre prophétie, ne saurait être capturé que par une femme. Merlin révèle alors aux yeux de tous les secrets de deux personnes : celui de Silence, et celui de l’amant de la Reine, en tenue de nonne. Le roi ordonne l’exécution de la Reine, puis abolit la loi qui empêchait les femmes d’hériter avant d’épouser Silence. « La façon dont nous lisons cette histoire peut en dire beaucoup sur notre époque. D’ailleurs, les traductions de cette œuvre – qui longtemps a été considérée comme non majeure – ont souvent été très binaires. Cela m'amène à souligner que la façon dont nous lisons et interprétons une histoire, la façon dont nous la traduisons, est le reflet de nos propres valeurs et positions dans une société patriarcale et suprématiste blanche. » Iel travaille d’ailleurs actuellement sur une nouvelle traduction de cette œuvre, plus proche de son sens intrinsèque.

Plus que l’objet littéraire, le fond a également été source de réflexion pour Noé Duboutay, pour lequel la question du genre est une notion primordiale. « C’est en effet important, pour moi, de trouver une lignée dans laquelle je peux m’identifier. De trouver des héros qui sortent des standards érigés par la société patriarcale. Ainsi, je crée une nouvelle figure du héros, plus en adéquation avec ce que je suis. Je pense fondamentalement que le rôle de l’artiste est de s’emparer des questions sociétales, politiques et de prendre part à cette discussion. »

Un portrait de Noé Duboutay ne serait, enfin, pas complet sans évoquer la douceur et la gentillesse qui émaillent tous ses projets. « Quand je crée, j’essaye à chaque fois de trouver de nouvelles manières de vivre ensemble qui soient gouvernées par la non-violence. Le monde dans lequel nous vivons actuellement est tellement violent ; il repose tellement sur l’oppression et la haine. La gentillesse, la douceur sont des façons de nous mouvoir dans une société avec un cœur léger. Le chevalier est souvent comparé à un escargot, dont la maison sur le dos représente l'armure du chevalier. Je veux essayer de prendre l'armure et d'être vulnérable, doux comme un escargot. »

 

Son actualité

Noé Duboutay participe également au projet ArtMix, un programme d’échange de la Ville de Luxembourg et la Ville de Sarrebruck, qui offre aux artistes plasticien·nes une plateforme de rencontre et leur permet de découvrir les scènes culturelles des pays voisins avec pour objectif la mise en réseau régional de scènes artistiques voisines et de différentes disciplines. Vernissages : 02.05.2024 Stadtgalerie Saarbrücken et 03.05.2024 Cercle Cité

 

liste des livres : 

  • JJ Bola -  Mask Off: Masculinity Redefined (2019)
  • kari edwards - dôNrm’-lä-püsl, Punctum Books (2017)
  • Tyler Bradway - Queer Experimental Literature, The Affective Politics of Bad Reading (2017)
  • andriniki mattis - Quiet Fires (2023)