Le fabuleux destin de Rhiannon Morgan

15 fév. 2022
Le fabuleux destin de Rhiannon Morgan

Article en Français
Auteur: Loïc Millot

Danseuse et chorégraphe inspirée par le multiculturalisme, Rhiannon Morgan est une enfant du pays, formée au Conservatoire et à « l'école » incontournable du Trois C-L, où elle vient de présenter la première de Clementine dans la section des Nouveaux.elles Créateurs.rices. En attendant de participer très prochainement à Esch 2022, la jeune femme évoque tant son approche de son art que son activité d'enseignante.

Comment le choix de la danse s'est-il imposé à toi, plutôt que le théâtre ou d'autres arts par exemple ?

J'ai commencé la danse assez tard, à l'âge de 15 ans. Avant je faisais du patinage artistique. Après deux années au Conservatoire de musique et de danse de la Ville de Luxembourg, j'ai débuté une année de droit à Londres, car je m'orientais initialement vers une carrière d'avocate... Au cours de cette année à Londres, j'ai eu la chance d'assister à une performance de Pina Bausch, Palermo Palermo, qui m'a révélé ce que je voulais véritablement faire dans la vie. A l'âge de 19 ans, j'ai donc opté pour une formation professionnelle de danse à Montpellier, puis un Baccalauréat à la Rambert School of Ballet and Contemporary Dance à Londres, suivi d'un Master en chorégraphie à la London Contemporary Dance School (2012-2014). Je suis maintenant engagée dans une carrière de danseuse et de chorégraphe depuis une dizaine d'années.

Peux-tu retracer les grandes lignes de ton parcours professionnel ?

J'ai travaillé à Londres avec la Compagnie de Henri Oguike, ensuite avec Akram Kahn pour l'ouverture des Jeux Olympiques de Londres en 2012. Je suis ensuite partie en Allemagne pour rejoindre la Cocoon Dance Compagny à Cologne, puis en Grèce, à Thessalonique, où je suis restée trois ans au Théâtre national de Grèce. Je suis allée à Lyon pour travailler avec la Compagnie La Baraka. Entre chacune de ces collaborations, je suis toujours revenue au Luxembourg pour mener des projets avec des chorégraphes, notamment Anu Sistonen, Jean-Guillaume Weis, ainsi que la Compagnie Corps In Situ. Depuis trois ans, je suis basée au Luxembourg. J'ai donc mis fin à l'itinérance pour revenir à la « maison », puisque je suis née et que j'ai grandi au Luxembourg. 

Hormis Pina Bausch, y a-t-il d'autres références fortes qui ont influencé ton travail ?

Il y en a beaucoup... Jean-Claude Gallotta, Anne Teresa De Keersmaeker... Au théâtre, Romeo Castellucci. Au cinéma, les films de Tarantino. Étant à moitié grecque, tout ce qui est musique folklorique grecque me plaît beaucoup, comme le rebetiko par exemple. Mais aussi les films d'Angelopoulos, ou des poètes grecs comme Yannis Ritsos... Ce qui est important, pour moi, c'est d'avoir une multitude de sources à partir desquelles il est possible de créer. Je crois que la danse a besoin de se mêler à d'autres formes pour vivre, y compris la peinture et la sculpture.

© Bohumil Kostohryz

© Bohumil Kostohryz

Tu es également la fondatrice de Lucoda, est-ce que tu peux me parler des missions de ce collectif et le constat à partir duquel a été impulsée sa création ?

Ce collectif a été créé suite à l'appel à projet Remix Culture, dans le cadre d'Esch2022. Comme nous sommes tous issus du Luxembourg, et que la plupart sont des amis d'enfance et exercent des métiers de chorégraphes-danseurs-pédagogues, on a décidé de se mettre ensemble et de fonder quelque chose en rapport avec cet appel à projets, d'autant plus que cette dynamique collective sans hiérarchie n'existait pas au Luxembourg. Cet appel à projet a été, pour nous, le déclencheur pour tenter de redéfinir et de redécouvrir sous un jour nouveau la danse afin de la faire sortir de son contexte traditionnel de théâtre. On a donc créé trois grands projets pour Esch2022, axés sur des performances in situ – dans des arrêts de bus par exemple, mais aussi créer des pièces pluridisciplinaires (peinture, vidéo) ou encore un bal dansant avec des bénévoles et des associations qui n'ont aucun rapport avec la danse. Notre mission principale consiste surtout à faire exister la danse, qu'elle puisse vibrer de différentes manières, de faire en sorte qu'elle soit accessible à tous et présente dans l'espace public afin qu'elle ne soit plus considérée comme un art élitiste.

Tu as créé, pendant le confinement, en 2020, AdH(A)rA, ta première pièce solo qui est imprégnée de philosophie orientale. Est-ce que, pour toi, c'était une façon de te rechercher, d'être en quête de toi-même ?

Exactement. Et c'est encore quelque chose qui me préoccupe aujourd'hui. AdH(A)rA va devenir une pièce de longue durée, car elle avait jusque-là un format court (30 minutes). Je vais donc continuer à la développer car la découverte et l'expression de soi-même – qui sommes-nous ? Où se trouve la ligne de démarcation entre l'être et le paraître ? – est pour moi une véritable obsession. Comment retirer ses couches qui s'enchevêtrent au cours de notre trajet de vie pour appartenir à la société ? Où est ma voie personnelle là-dedans, existe-t-elle ou est-elle un amalgame de toutes ces choses qui constituent mon identité ? C'est un débat philosophique, psychologique, spirituel, qui trouve une résonance particulière avec mon histoire, étant moitié grecque, moitié anglaise, habitant au Luxembourg après avoir voyagé partout en Europe. Étant mêlée à de nombreuses cultures, je me suis toujours demandée qui j'étais. Cette quête de simplicité, je crois, contribue à être plus sincère, plus réelle. AdH(A)rA est quelque chose qui me travaille depuis toujours.

Le confinement, qui a entraîné une suspension des flux et contribué à nous isoler, a donc paradoxalement favorisé la création de cette pièce ?

Le fait d'être coupée du monde extérieur m'a permis en tout cas de prendre le temps d'en parler avec d'autres personnes, d'échanger autour de ces problématiques existentielles. Le confinement, en cela, a représenté une excellente opportunité en effet. Toutefois, j'ai aussi éprouvé des difficultés à rester seule pendant le premier confinement, alors on a créé Lucoda Stays Active pour conserver une dynamique de groupe. Ainsi tous les jours, pendant six semaines, nous dispensions des cours « live » via notre page Facebook – jusqu'à 150 cours dispensés au cours de ce premier confinement !

© Bohumil Kostohryz

© Bohumil Kostohryz

Outre ton activité chorégraphique, tu mènes également une activité d'enseignement :  quelle approche pédagogique de la danse privilégies-tu pour enseigner l'art chorégraphique ? J'ai vu par exemple qu'il était question de Directing Circularity : peux-tu présenter cette méthode s'il te plaît ?

Tout cela a commencé avec AdH(A)rA, qui est fondé sur la philosophie bouddhiste et la façon dont le corps y est perçu, enveloppé de différentes couches circulaires et spécifiques. De là, cette idée de circularité m'a fortement influencé pour trouver le sens de la totalité, de l'infini, sans début et sans fin, car tout est pris dans un mouvement perpétuel. Dans une approche pédagogique, il s'agit d'apprendre à créer des liens entre des mouvements, mais aussi d'être attentif au moment où l'on s'abstient d'en créer afin de réunir les deux opposés : les mouvements circulaires continus et les mouvements que l'on scande, avec un début et une fin précise. Cette méthode affecte notre façon d’interagir avec le monde. Ce que j'essaie de promouvoir dans mes cours, ce sont de tels outils, afin de faire germer une plus grande conscience du moment où l'on entre dans un schéma de circularité ou de dualité. Ces principes sont mêlés à des techniques de danse contemporaine (Graham, Cunningham...) et à une relation pédagogique basée sur l'échange et le partage avec les participants.

Quel rôle a joué le Trois C-L dans ton parcours de chorégraphe ?

Le Trois C-L, c'est comme ma « maison ». J'ai une attache émotionnelle énorme pour le travail de Bernard Baumgarten. Grâce à Bernard, à sa vision, à sa passion, son enthousiasme et son humanité, il y a de la danse contemporaine au Luxembourg. Je l'ai connu quand j'étais étudiante au Conservatoire, puis quand j'ai fait mes premiers pas en chorégraphie. L'équipe du Trois C-L a toujours été là pour moi. Elle a toujours été ouverte à la discussion et a permis que j'intègre le réseau Grand Luxe il y a deux ans ainsi que le projet Nouveau Créateur du Trois C-L qui a abouti, cette année, à un duo. Sans le Trois C-L, je ne serai pas là. Tout simplement.

Quel regard portes-tu enfin sur la scène chorégraphique luxembourgeoise ?

Pour moi, la scène chorégraphique luxembourgeoise est extrêmement riche. On a cette possibilité énorme d'avoir des séances de recherche sans avoir à produire quelque chose. On a cette chance de collaborer avec d'autres d'artistes de pays limitrophes (France, Allemagne, Belgique). C'est une scène passionnante, qui grandit à une vitesse phénoménale et son niveau est aussi légitime que Berlin, Bruxelles ou Paris, avec de belles pièces et des créateurs incroyables, inspirants, bosseurs, motivés. Il règne aussi entre les artistes luxembourgeois une forme de bienveillance. On s'entraide, et tout cela nous donne la possibilité de grandir ensemble.

https://www.rhiannonmorgandance.com/

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