14 déc. 2021Le fabuleux destin de Lynn Cosyn
Tomber dans l’illustration
Vous n’avez pas pu passer à côté du travail de Lynn Cosyn, que ce soit sur l'affiche publicitaire de la 677e Schueberfouer en 2017, celle du Ministère de l’Éducation, dans les pages du magazine Paulette, sur les murs du shopping center de la Cloche d’or, ceux de la Kulturfabrik, dans la CeCiL’s Box du Cercle Cité ou sur un avion Luxair… Son univers artistique s’installe partout, sans trop s’évader de ses codes stylistiques, que ce soit dans la commande pure, de la proposition d’intervention artistique ou dans ses projets personnels. Dans ce monde depuis seulement cinq ans, Cosyn a vite su imposer sa signature et tous viennent vers elle pour ça. La luxembourgeoise s’est même vu devenir une sorte d’ambassadrice du pays en signant pour sa première commande en 2016 une carte illustrée de la ville de Luxembourg pour Wonderfilled, clinquant magazine américain. C’est n’est pas rien et ce n’est pas passé aux oubliettes, car depuis l’artiste de 35 ans ne trouve presque plus le temps pour une interview, tant elle croule sous les demandes. Entre deux accalmies, son bébé dans d’autres bras et après avoir annoncé son grand projet avec Luxair dans le cadre Esch2022 | Capitale européenne de la Culture elle nous consacre tout de même un moment pour évoquer son parcours, ses aspirations et ses projets.
© Lynn Cosyn
Après l’obtention d’un diplôme d’architecte de l’Université d’Aix-la-Chapelle et quelques temps passé dans un bureau d’architecture de la capitale, vous réalisez que cet environnement ne vous permet pas d’exprimer aussi largement que vous le voudriez votre part artistique. En 2016, vous vous mettez à votre compte en tant qu'illustratrice autodidacte. Comment s’est faite cette transition d’un monde à l’autre ?
Ça a été une phase difficile dans ma vie. Après six ans d’études, j’ai tout remis en question. J’ai ressenti le besoin de partir en voyage au Vietnam pour me rafraichir les idées et réfléchir à mon avenir. Quand j’ai démissionné, il a fallu que je trouve une solution pour gagner de l’argent. J’ai donc commencé une formation pour faire des remplacements dans une école primaire et ensuite j’ai commencé des études pour devenir institutrice tout en débutant mon travail d’illustratrice. Un jour, après avoir partagé l’une de mes illustrations sur Instagram, j’ai reçu un mail du magazine Wonderfilled. Il faisait un sujet sur le Luxembourg et voulait associer à l’article une carte illustrée de la ville de Luxembourg. Quand ils m’ont proposé ce travail je n’y croyais pas au début… Pendant des semaines et des semaines, j’ai regardé des vidéos sur YouTube pour voir comment un illustrateur professionnel pouvait travailler et j’ai répondu le plus professionnellement possible à cette demande. Quand la carte a été publiée sur les réseaux sociaux, c’est devenu viral, si bien que deux semaines après j’ai reçu une nouvelle demande. C’est ainsi que je suis tombée dans le monde de l’illustration, sans que quoi que ce soit n’ait été planifié à l’avance.
D’un emploi à un autre, comme dans vos projets personnels, votre style reste le même. Comment décririez-vous votre processus de création et celui-ci diffère-t-il en fonction des demandes ?
Encore récemment, je ne me rendais pas compte que j’avais un « style ». Quand je me suis rendu compte qu’on venait vers moi pour mes personnages, mon coup de crayon, j’ai compris que les clients venaient vers moi pour aborder leur thématique par le prisme de mon univers. Je peux donc rester moi-même en tant qu’artiste tout en répondant aux impératifs des commanditaires. Ça fait maintenant un an que je me sens réellement bien dans mon travail et que je peux créer ce que je veux, sans me contraindre. Ce qui m’est important aujourd’hui c’est, autant que possible, faire de nouvelles choses pour attirer l’attention de nouvelles personnes. Quand je suis devenue maman par exemple, j’ai eu envie de travailler autour d’une imagerie de l’enfance. Ces expérimentations m’aident à évoluer dans mes travaux commerciaux comme personnels. Ainsi, mon procédé est presque toujours le même. Ce qui est important pour moi, c’est ce travail sur l’identité des personnes qui me contacte. Si je conserve mon style à chaque projet, je dois faire la part des choses et l’adapter au contenu en présence, aux couleurs… Même si j’aime toujours dessiner mes personnages de façon un peu exagérée. C’est une idée que je veux porter dans mon travail, car je veux que mes illustrations fassent sourire.
© Lynn Cosyn
Vous faites votre première exposition solo en 2017 au Kulturhaus de Niederanven sous le titre Lynn's Little Luxembourg comme un hommage au Grand-Duché. Quelle importance tient votre pays d’origine, son histoire, ses mythes et légendes, dans votre travail artistique ?
Quand on m’a proposé cette exposition, j’avais déjà une certaine visibilité. Et dans ce court laps de temps, j’ai vite remarqué que les gens adorent parler de la ville de Luxembourg ou du pays et apprécient de voir cela en illustration. Je voulais aller plus loin, toucher les gens et en même temps décliner plus encore mon style. Je voulais concerner les luxembourgeois sur leur quotidien et le monde qui les entoure avec des illustrations poétiques et naïves, tout en adressant celles-ci aux adultes comme aux enfants. C’est ce qui m’a motivé à faire cette exposition.
Cette première exposition vous a offert une certaine reconnaissance au pays et en 2018 vous êtes sélectionnée par l'ambassade du Luxembourg à Tokyo pour participer au programme de résidence au Youkobo Art Space à Tokyo au Japon. Quelles étaient vos ambitions pour ces deux mois de résidence là-bas et comment se sont-elles finalement concrétisées dans votre exposition Wild Calmness ?
L’artiste Sumo y était allé avant moi et me comparer à cet artiste si reconnu était juste impossible pour moi. Ça a été un honneur qu’on me demande cela et en même temps une grande surprise. Je n’ai jamais pensé voyager au Japon un jour et je n’avais donc pas idée de ce qui m’attendait là-bas. En arrivant, on retrouve les images qu’on connait de ce pays avec le stress, le monde, etc. Mais pour y avoir vécu pendant plusieurs mois, j’ai vraiment remarqué qu’un certain calme régnait en eux-mêmes et j’ai voulu garder tous ces moments de calme qui m’ont inspiré à Tokyo et les mettre dans mon exposition.
Vous expliquiez à l’époque concevoir un « journal visuel » de votre vie à Tokyo, cette ville que vous décrivez comme « sauvage et dynamique, avec un côté paisible ». Votre travail prend en effet pour influence principale les situations du quotidien et ce que vous décrivez comme « l’interdépendance des objets, personnes et architectures ». Cette ligne d’inspiration vous suit encore aujourd’hui et si oui pourquoi ?
Oui absolument, c’est vraiment quelque chose qui m’est resté. Je me suis beaucoup préparée pour cette résidence, j’ai refusé de travailler sur d’autres projets parce que je voulais vraiment me concentrer sur moi-même, développer mon style d’avantage et trouver une ligne à mon dessin. J’ai remarqué à quel point les couleurs pouvaient me fasciner et que je pouvais faire des choses encore plus poétiques et jouer avec les proportions notamment. Au Japon, l’architecture et les objets d’échelle sont très différents et ça m’a poussé à réduire mes formes, à réduire tout ce qui peut se réduire. Du Japon, j’ai ramené avec moi une forme de minimalisme et ce jeu avec les couleurs.
Début septembre dernier vous inauguriez UKIYO, une œuvre développée pour la CeCiL’s Box du Cercle Cité. L’Ukiyo dans ses origines bouddhiques désigne initialement le monde présent, un monde illusoire empli de peines et de souffrances selon cette pensée. Que vouliez-vous retranscrire visuellement par cet UKIYO ?
Le titre m’est venu après cette période très intense, faite de moments chaotiques et de solitude. Je n’avais plus envie de continuer, j’avais du mal à rester positive et finalement j’ai reçu cette demande. J’ai donc voulu créer quelque chose de positif, tout en conservant mon style qui se définit par la positivité. J’ai eu beaucoup de difficulté, mais en réfléchissant bien j’ai finalement trouvé une facette positive à toute cette situation. De mes rencontres avec des gens dans la forêt en promenant mon chien, j’ai imaginé une nouvelle sociabilité et un nouveau rapport à la nature et de fait le besoin de douceur dans nos vies quotidiennes, de tout simplement décélérer. Quelque chose que j’ai dû me répéter souvent et que je voulais mettre en image dans cette vitrine, comme une sorte de pense-bête autour de ces idées adressé à moi-même mais aussi aux autres.
© Cercle Cité. Photographe: Mike Zenari
De votre point de vue, l’art peut-il être une échappatoire aux maux de notre société voire une solution pour résorber certains d’entre eux ?
Je pense que l’être humain est très sensible aux images. Dans certaines réflexions importantes on se fait en quelque sorte notre petit cinéma dans la tête. Je pense que l’art peut faire ressortir des pensées, juste en regardant une œuvre on peut se sentir bien. Par mes illustrations j’ai toujours eu envie que les gens se sentent bien en les regardant. Mon travail est en quelque sorte un reminder pour prendre les choses plus positivement et j’espère vraiment qu’il peut avoir un effet bénéfique sur l’esprit.
Malgré les lignes thématiques sérieuses qu’aborde votre travail, il s’agit dans votre approche de toujours trancher le débat avec une dynamique amusante dans vos œuvres. Pourquoi attachez-vous autant d’attention à la multiplication des genres narratifs ?
J’essaye toujours d’ajouter une touche humoristique à n’importe quel sujet, ça m’est important pour appréhender le monde. Une fois, on m’a demandé de travailler sur une thématique si lourde que j’ai dû refuser. C’était quelque chose que je n’aurais pas pu retranscrire positivement par mes dessins. Ça n’aurait pas fonctionné avec mon style et mes aspirations. J’aime travailler sur des thématiques par lesquelles je peux transmettre des images légères. Si c’est trop politique, trop lourd, je me tire…
© Luxair. Photographe: Robin de Nys
Récemment, dans le cadre de Esch2022 | Capitale européenne de la Culture, vous déclinez un énorme projet pour la compagnie aérienne Luxair Luxembourg Airlines. Sous le signe de la diversité, de la créativité et de l'inclusif, on vous confie l’avion LX-LBA pour en faire une œuvre d’art volante. Vous nous racontez l’histoire derrière ce grand projet ?
Nancy Braun, directrice d’Esch22, m’a contacté en août dernier pour me proposer un projet. Il s’agissait d’exposer une de mes œuvres sur un avion Luxair. J’étais sans voix. Sans hésiter, je me suis lancée dans cette aventure assez excitante, même si les délais étaient très courts. J’ai eu cinq semaines pour travailler sur ce projet, le design devant être finalisé pour début septembre pour qu’ensuite les techniciens puissent travailler sur l’avion directement. L’idée était de montrer la diversité émanant de Esch22. De là, j’ai essayé d’intégrer dans mon projet, les quatre piliers de la manifestation culturelle européenne, c’est-à-dire « remix yourself », « remix art », « remix culture » et « remix nature ». C’est vraiment ces quatre points de diversité que je voulais mettre en avant. Il y avait aussi cette contrainte de taille, qui était que le dessin soit visible du ciel. J’ai donc mis le focus autour de personnages sur lesquels on peut s’identifier, même si les proportions de leur corps sont toujours un peu bizarres. J’ai évidemment conservé mon style et pour les couleurs, j’ai essayé d’intégrer la couleur turquoise du logo Luxair et la couleur rouge qui est symbolique dans le sud du Luxembourg avec ses terres rouges. Finalement, je pense avoir réussi à donner à voir quelque chose de très positif qu’apprécieront les passagers au moment de partir en voyage.
Voilà cinq ans que vous vous êtes lancée dans cette voie d’artiste, un cap dans une carrière. Comment espérez-vous le futur et avez-vous des objectifs ou projets au moyen terme ?
Je travaille sur un projet d’animation avec le studio d’animation Doghouse Films. Pour la première fois mes dessins seront animés. C’est encore un projet en cours sur lequel je ne peux pas trop en dire, mais c’est quelque chose que j’aimerais faire davantage dans le futur. Entrer dans le monde de l’animation est un rêve qui se réalise. Et l’un de mes autres rêves est de créer un livre pour enfants. J’aimerais m’y consacrer prochainement, trouver du temps pour faire cela de la meilleure des façons.
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