Le fabuleux destin de Laurent Witz

08 mar. 2024
Le fabuleux destin de Laurent Witz

Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti
Sur la photo : Guy Daleiden - directeur du Film Fund, Laurent Witz et Mickale Coedel, superviseur d'animation sur Mr Hublot

Ce dimanche 10 mars se tiendra la 96e cérémonie des Oscars, sans aucun doute, la plus importante cérémonie de remises de prix cinématographiques au monde. Il y a dix ans, pour la première – et, pour le moment, la seule fois –, un film luxembourgeois remportait la célèbre statuette. C’était Mr Hublot, co-réalisé et produit par Laurent Witz qui repartait, ce soir-là, malgré un budget rikiki, avec l’Academy Award pour le meilleur court métrage d’animation au nez et à la barbe des favoris, parmi lesquels le géant Disney. À l’occasion de ce 10e anniversaire du prix, nous sommes allés trouver le producteur et réalisateur français installé au Grand-Duché, Laurent Witz, pour en savoir plus sur son fabuleux destin.

C’est dans une zone industrielle du Sud du Grand-Duché que nous avons rendez-vous avec Laurent Witz. Dans les locaux de sa société Zeilt Productions. Rien de clinquant ici, rien d’ostentatoire, rien d’Hollywoodien. Des bureaux anonymes, similaires à ceux des sociétés voisines. Le bureau du responsable est petit, encombré de dossiers, de projets. Là encore, pas la peine de chercher l'Oscar, rapporté de Los Angeles en mars 2014, le producteur et réalisateur l’a mis dans un coffre, à la banque. « Je n’ai pas besoin de le voir tous les jours. Il est bien présent dans ma tête », explique le natif d’Haguenau, en Alsace.

Quand on lui demande de résumer ses premières années, il explique laconiquement : « Pour des raisons familiales, j’ai vécu dans plusieurs villes, dans des régions et des pays différents. » Niveau études, pour rassurer ses proches, il opte pour les matières scientifiques, mais : « J'ai toujours aimé l’art. Depuis toujours, on me mettait un crayon dans la main et j’avais envie de dessiner. Même quand je travaillais mes maths, mon anglais, il fallait que j'aie toujours une feuille à côté pour dessiner. » Il dessine donc très tôt, il peint aussi – plus tard, il s’intéressera même à la photographie – et participe à des expositions artistiques dès l’âge de 12 ou 13 ans. Son secret, il n’a pas besoin de beaucoup de sommeil, du coup : « La journée, j'étais à l’école et la nuit, je dessinais ».

Vient ensuite l’adolescence. « Le tournant, je pense, c’est l’année de mes 16 ans. J’ai eu un accident de moto, en tant que passager, et ça a donc été une année très difficile avec un long moment à l’hôpital, beaucoup de rééducation, etc. », reprend-il. « Je pense que ça m’a fait pas mal réfléchir, du coup, tout en continuant le lycée, j’ai décidé de faire ce que j’avais vraiment envie de faire. Après le bac scientifique, j’ai fait les beaux-arts, pendant 5 ans, à Metz ». Il poursuit : « Les beaux-arts m’ont appris la peinture, le dessin, la sculpture, la photo, bref, les arts classiques, et ça a été une super formation, vraiment intéressante ; mais de mon côté, je voulais apprendre aussi d’autres choses, comme l’animation sur 3d Studio 4 ».

L’accident de moto lui permettra de toucher un peu d’argent des assurances. Cet argent, « m’a permis de m’acheter mon premier ordinateur et d’acheter la licence pour un logiciel d’animation. J’ai alors commencé à faire mes premiers court-métrages tout seul. » Le voilà lancé, en autodidacte, « avec des bouquins, car il n’y avait pas encore YouTube ou des tutos à l’époque ». Ses courts métrages gagnent alors quelques compétitions amateurs, ce qui permet au réalisateur en herbe de gagner d’autres logiciels d’animation et de poursuivre sa propre formation.

De quoi lui ouvrir, ensuite, les portes d'Ex Machina, à Paris, société d’animations à la pointe au niveau européen, et dont sont depuis sortis de nombreux responsables actuels de sociétés d’animation. Animateur, il y passera trois ans avant de revenir dans la région et de travailler pour différents studios d’animation au Luxembourg, comme Studio 352 ou Oniria Pictures, où il prendra part à de beaux projets de séries, comme T’choupi et Nouky & Friends, ou des films, comme Le Roman de Renart.

« À un moment, j’ai commencé à vouloir créer mes propres projets, raconter mes histoires, inventer mes personnages… » se souvient-il. « J’ai donc proposé les concepts que j’avais en tête à différentes sociétés, mais certaines n’étaient pas intéressées à développer des concepts originaux, d’autres ne croyaient pas à ce que je leur proposais.  Naturellement, j’ai alors créé une société et je fais moi-même le job de producteur. » C’est comme ça qu’est né Zeilt production, en 2007, avec, déjà, Mr Hublot dans les cartons.

L'équipe de Zeilt Productions

Mr Hublot est inspiré de l’univers visuel du sculpteur belge Stéphane Halleux, dont on peut régulièrement admirer le travail à la galerie Schortgen de Luxembourg. « Quand j’ai vu le personnage, mon cerveau s’est mis en ébullition », raconte le réalisateur. « C’était un coup de cœur. Je me suis dit tout de suite qu’il fallait faire quelque chose avec ce personnage et cet univers. » Si d’autres projets de films estampillés Zeilt ont été présentés au comité de sélection du film fund, Mr Hublot est le premier qui a été financé.

Les 12 petites minutes de film demanderont 3 ans de travail et verront une quarantaine de professionnels se succéder aux différents postes. Le budget du film s'élève à 250.000 euros. « Pour un film d’animation de 12 minutes, avec un tel souci du détail, avec ce nombre de personnages, de décors, etc., ce n’est vraiment pas grand-chose » note le producteur qui a dû mettre 20% du budget de sa poche pour finir le projet. « Je croyais tellement à ce projet que je devais absolument aller au bout. Il a donc fallu être malin, être très efficace, ne rien jeter et, à la fin, que je le finisse tout seul. » Et d’ajouter : « C'était un pari sur l’avenir. Mais honnêtement, je ne me suis même pas posé la question. Je suis juste allé au bout de mon idée. »

Grand bien lui a pris ! Le film est présenté à des festivals aux Etats-Unis, gagne quelques prix et entre dans la pré-liste des 10 candidats possibles à la nomination aux Oscars – « c’était déjà incroyable » – puis vient la nomination officielle ; « C’est comme une explosion atomique dans ma tête » et là, tout s’emballe. Le téléphone et Skype commencent à sonner sans arrêt, on conseille au petit franco-luxembourgeois de prendre un publiciste à Los Angeles – ce qu’il ne fera pas –, car pour gagner aux Oscars, c’est bien connu dans le milieu, il faut faire campagne, faire la tournée des festivals, rencontrer les professionnels du secteur, les responsables de l’académie, les grands noms des studios… D’autant plus quand il s’agit d’une première nomination et qu’on sort, plus ou moins, de nulle part. Laurent Witz fera alors trois aller-retours aux États-Unis et restera de longues semaines sur place. Mais contrairement aux possibilités de Disney, également nommé dans la catégorie du court métrage d’animation pour son Get a Horse! — « Je pense que leur budget marketing et de promotion de leur film devait être plus grand que le budget de production de mon film », s’amuse Laurent Witz aujourd’hui —, le budget promotion pour Mr Hublot est nul, ou presque.

Arrive le jour de la cérémonie, le 2 mars 2014. Si le monde retiendra le célèbre selfie de la maîtresse de cérémonie, Ellen DeGeneres, la victoire de Twelve Years a Slave dans la catégorie meilleur film, d’Alfonse Cuaron en tant que meilleur réalisateur pour Gravity, de Matthew McConaughey en tant que meilleur acteur dans Dallas Buyers Club, de Cate Blanchett en tant que meilleure actrice pour Blue Jasmine ou encore de Frozen en tant que meilleur film d’animation (devant Ernest et Célestine d’ailleurs, coproduit par Mélusine Productions), le milieu du cinéma grand-ducal retiendra surtout le lauréat du prix du meilleur court métrage d’animation : Mr Hublot.

« Pendant la cérémonie, c’était un peu stressant », reconnaît Laurent Witz, accompagné à l’occasion par Stéphane Halleux, par le coréalisateur du film, Alexandre Espigares, et par le directeur du film fund, Guy Daleiden. « Guy semblait très détendu, il pensait probablement qu’on allait rester spectateurs tout au long de la cérémonie », se rappelle Witz, qui, prévoyant, au cas où, avait tout de même prévu un discours de remerciements. Kim Novak rappelle les nommés, puis Matthew McConaughey lance la célèbre phrase : « And the Oscar goes to… », ouvre l’enveloppe, et ajoute « Mister Hublot ». À ce moment-là : « C’est l’explosion ! Je pense que les émotions qu’on ressent quand on réussit sont liées aux efforts, à l'investissement, à la douleur… Ça a été très douloureux d’accoucher de ce film. Les émotions étaient donc à la hauteur de tout le travail. » Dans leur loge, les quatre hommes se sautent dans les bras, puis Laurent Witz et Alexandre Espigares montent sur scène pour recevoir la statuette convoitée par toute la profession. « I feel it’s an American dream », dira au micro le lauréat, visiblement ému.

Une petite minute sur scène qui va pourtant tout changer pour Laurent Witz. Il y a quelques propositions pour rester travailler sur place, mais « toujours pour développer les projets des studios avec les gens des studios, pas pour développer mes propres projets avec les personnes avec qui je travaille depuis des années ». L’homme ne répondra donc pas aux sirènes d’Hollywood, mais cette statuette démontre « qu'on sait faire des choses qu’on pense impossible. Ça crée de la crédibilité ». Une décennie plus tard, il assure que, « depuis, à l’international, quand je présente un projet, c’est sûr, il va être regardé et étudié sérieusement et c’est beaucoup plus simple d’avoir des rendez-vous avec des personnes qui comptent. L'Oscar continue de me permettre de développer des projets et d’imaginer de nouvelles choses. »

Point de nouveau film sur Mr Hublot - « Revenir sur Mr Hublot, avec ce format non dialogué, ce serait compliqué » souligne-t-il avant de rappeler que l’univers de Stéphane Halleux est à la base d’un projet de long métrage qui est en train de se développer du côté de La Fabrique d’Images (NDLR The Defects réalisé par Federico Milella) - mais, si Nächst Statioun!, série où deux petits extraterrestres viennent découvrir les merveilles du Luxembourg, fait un tabac dans toute l’Amérique latine ou si Deep in the Bowl, qui s’intéresse à la vie de poissons dans un petit aquarium, est coproduit par un géant chinois de l’internet, c’est aussi, en partie grâce à Mr Hublot et à son Oscar.

Revers de la médaille, à cause du succès et de tout le travail de production et de développement de nouveaux projets, Laurent Witz a dû, temporairement du moins, laisser tomber la réalisation. Son dernier projet, qui a reçu le feu vert du film fund le 16 février dernier, 3,2,1,Go, est une série d’animation de 26 épisodes de 7 minutes sur le sport, « mais pas sur la gagne » précise le producteur. La série mettra en avant « la première finalité du sport qui n’est pas forcément d’être le meilleur, mais de prendre du plaisir, de se construire, d’apprendre des valeurs comme l’esprit d’équipe, le dépassement de soi, à surmonter les échecs… ». Un projet qui va l’occuper lui et sa structure pendant « un an et demi ou 2 ans ». En attendant, des long métrages produits par Zeilt devraient également être finalisés : Benjamin Bat et Into the Wonderwoods.

Tout en espérant, un jour, retourner à la réalisation, Laurent Witz continue son travail qu’il résume de la sorte : « Imaginer de nouvelles histoires, faire vivre des émotions aux gens, passer des messages. À travers mes projets, on peut faire tout ça. On a une chance énorme, on a un impact sur le public. Et ça, c’est amplement suffisant pour se lever le matin ».

 

https://www.zeiltproductions.com