19 oct. 2021Le fabuleux destin d'Anne-Mareike Hess
Possédant la double nationalité luxembourgeoise et allemande, Anne-Mareike Hess est née au Grand-Duché en 1984. Après s'être initiée à la danse classique et moderne au Conservatoire de la Ville de Luxembourg, elle suit de nombreux workshops au Théâtre dansé et muet (aujourd’hui le TROIS C-L) et à l’étranger avant d'intégrer la Hochschule für Musik und Darstellende Kunst à Francfort de 2002 à 2006. De retour au Luxembourg, elle dispense des cours de danse classique au Conservatoire puis, après un passage en Hollande, retourne à Berlin pour suivre un Master en chorégraphie (2008-2010). Tout à la fois danseuse et chorégraphe, Anne-Mareike Hess vit aujourd'hui entre Berlin, la Suède et le Luxembourg, où elle est actuellement en résidence à neimënster.
Vous êtes danseuse, chorégraphe, mais aussi directrice de la structure indépendante utopic productions depuis 2018. Qu'est-ce qui a motivé la création de cette structure ?
La création de cette asbl était tout d'abord motivée par des raisons juridiques : cela me facilitait le travail et me permettait de poursuivre mon travail artistique dans un cadre professionnel. Mais au moment de sa création, il y avait encore peu de perspectives au Luxembourg pour une compagnie de danse. Depuis fin 2019, le ministère de la Culture a cependant ouvert une aide à la structuration qui permettrait d'aboutir, à moyen terme, à une convention. Les missions de cette asbl visent à encourager et à soutenir la recherche et la création chorégraphiques au Luxembourg et de promouvoir leur diffusion internationale. Car sans structure et sans moyens financiers, tout ce que nous effectuons reste limité.
© neimënster
Depuis 2020, vous êtes (la première) artiste associée à neimënster. Comment se passe une résidence de recherche aussi longue, étendue sur trois années (2020-2023) ? Qu'est-ce qu'on y fait et avec qui travaille-t-on ?
Être artiste associée signifie que j'ai un partenariat privilégié avec neimënster. Cela comprend un certain nombre de semaines de résidence par an. Je peux utiliser cette résidence pour la recherche, la création ou la rencontre avec d'autres artistes. Ces résidences sont rémunérées. On met à ma disposition des salles et un soutien logistique nécessaire à mes créations. En trois années de résidence, neimënster a coproduit au moins deux de mes pièces. On développe avec l'équipe de l'Abbaye une relation de confiance et de proximité, avec des échanges réguliers en fonction de mes besoins (techniques ou relatifs à la production et à la communication). Le temps de recherche est cet interstice disponible entre chaque création ; cela peut être par exemple un temps de lecture ou d'écriture sur un nouveau projet ou des discussions avec des partenaires. Je travaille sinon seule, en studio, huit heures par jour, comme si j'étais dans une bulle, à essayer d'approfondir des choses. J'ai aussi la possibilité d'inviter des collaborateur.trice.s pendant plusieurs jours comme le dramaturge avec lequel je travaille régulièrement, Thomas Schaupp, qui m'aide à concrétiser des projets et qui me donne son avis sur des sessions en studio qui serviront de base à de prochaines discussions.
Vous venez de présenter Warrior au Trois C-L le 3 septembre dernier lors du Aerowaves Dance Festival Luxembourg. Pouvez-vous nous parler de ce spectacle et de la façon dont vous avez conçu cette pièce ?
La première a eu lieu en décembre 2018 à neimënster. Fin 2016, début 2017, débutait le processus de création. C'était alors un temps de grande confusion : Donald Trump venait tout juste d'être élu, tandis que les protestations liées au mouvement Black Lives Matter ne cessaient de s'étendre aux États-Unis comme en Europe. Il en est de même dans ma vie privée, puisque, à la fin de l’année 2016, il y a eu un décès dans ma famille... J'étais donc entourée de choses instables, d'incertitudes. Beaucoup de gens se sentaient paralysés, partagés entre la volonté d'agir et la peur des violences qui sévissaient dans les manifestations... Voilà en ce qui concerne le climat dans lequel j'ai commencé mes recherches sur Warrior. Me sentant moi-même pétrifiée, j'avais envie de changer cet état d'esprit pour quelque chose de plus actif. Je remarquais au fil des mois que ce mot – « warrior » – était de plus en plus présent dans le langage, dans la sphère des loisirs comme en politique où l'on avait apparemment besoin de guerriers... On sentait une sorte de revival de l'archétype guerrier. L'élection même de Trump répondait à cette représentation de l'homme fort, puissant, etc. J’y ai trouvé ma source d'inspiration.
Warrior © D. Matvejev
C'était donc, pour vous, une façon de réagir par rapport à l'actualité, de prendre position politiquement par rapport à un contexte incertain...
Sûrement. Mais c'était aussi une façon d'exprimer cette ambiguïté, ces deux énergies que je sentais en et autour de moi. Je dirai même que toutes mes créations sont une réaction par rapport à ce qui se passe autour de moi. L'art en général est politique et s'inscrit toujours en réaction par rapport à quelque chose. Tel est selon moi le devoir de l'art, même si tout le monde ne le voit pas comme ça...
Autre création solo qui sera prochainement dévoilée au public : Dreamer, dont la première aura lieu le 17 décembre à neimënster. Cette pièce, c'est aussi une façon de prendre position par rapport au patriarcat et aux revendications féministes de ces dernières années ?
La première de Dreamer, qui aurait dû avoir lieu en décembre 2020, a malheureusement été reportée. Son processus a donc été interrompu et nous le reprendrons dans deux semaines pour pouvoir le mener à son terme. Dreamer est en quelque sorte une réaction par rapport à Warrior, qui traite des stéréotypes masculins et de l'archétype du guerrier. J'avais une fois de plus envie de faire une pièce en solo : non seulement j'avais eu précédemment une excellente expérience en ce sens, mais j'avais l'impression que mon travail pouvait « grandir » de cette façon. Cette fois-ci je me penche sur le corps féminin et les inscriptions patriarcales que nous avons tou.te.s dans nos corps. Dans Dreamer, il s'agit d'utiliser le monde des rêves pour parler de ces fantaisies et idées que l'on projette sur le corps féminin, de toutes ces demandes, injustices et cruautés que l'on fait au corps féminin. Peut-être que mes séjours à neimënster ont été une inspiration pour Dreamer. Ici, je regarde le Bockfiels tous les jours et je me souviens de l'histoire de la Mélusine, qui a dû cacher sa sexualité et sa nature intérieure... Quelle histoire cruelle.
Dreamer © Martine Pinnel
Quel regard portez-vous sur la scène choréographique luxembourgeoise aujourd'hui ?
Elle est vraiment en pleine expansion, je suis très heureuse qu’elle se développe : il y a beaucoup plus de danseurs et danseuses, de créateurs et de créatrices qui ont envie de s'investir sérieusement dans cette voie. Quand j'ai commencé, ce type de carrière, à plein temps, n'était pas encore envisageable au Luxembourg. Depuis, les choses ont changé positivement : il y a désormais beaucoup d'opportunités pour montrer son travail. Cette scène luxembourgeoise a fleuri, grâce à une réelle volonté politique de faire avancer les choses et d'investir dans la danse contemporaine. C'est vraiment une chose rare, surtout lorsque l'on voit ce qui se passe autour dans les autres pays qui tendent plutôt à faire le contraire... Même si je partage mon temps entre plusieurs endroits et que je voyage beaucoup, j'essaie vraiment de me connecter et de garder le contact avec les créatrices du Luxembourg pour faire partie de la communauté.
Quelles sont vos perspectives et les autres projets sur lesquels vous allez prochainement travailler ?
Étant en partenariat avec neimënster, je vais préparer mon travail pour ma prochaine création, intitulée Weaver, qui paraîtra en mars 2023. L'année 2022 sera donc consacrée à la recherche et à son processus de création. L'idée de cette pièce, qui viendra thématiquement clôturer un triptyque entamé par Warrior, m'est venue de la technique du tissage : le tissu, c'est très poétique et fondamental. Il y a aussi dans la mythologie grecque beaucoup d'histoires où le fait de tisser est en relation avec la vie et la mort. Chaque tissu est déjà en soi un network, une collaboration entre différents fils. C'est une idée tellement belle ! C'est à l'image de la vie. Si cette activité est aujourd'hui associée aux femmes principalement, elle était au départ une activité familiale que l'on pratiquait ensemble et qui permettait de transmettre des histoires d'une génération à l’autre. C'est un cosmos que je trouve fascinant.
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