Hélène Walland

27 mai. 2024
Hélène Walland

© SMITH
Article en Français
Auteur: Loïc Millot
Foto: © SMITH

Après un cursus universitaire à Bordeaux et Paris, qui s’est achevé par un semestre d’échange aux États-Unis, Hélène Walland s’installe au Luxembourg pour intégrer Amour Fou, puis créer, au côté de son associé, Christian Neuman, la société de production Wild Fang Films, en 2019. Depuis le Festival de Cannes, the « Place to Be » pour tout producteur et productrice de cinéma, la jeune femme nous accorde un moment pour mener ensemble cet entretien.

Vous avez rejoint la société Amour Fou sur le volet des coproductions internationales. Comment s’est passée cette expérience professionnelle dans le secteur de la production ?

J’ai tout d’abord beaucoup travaillé pour des festivals en France ainsi qu’à Paris quelque temps ; Amour Fou m’a proposé ce poste ensuite ; je connaissais son équipe puisque nous nous étions déjà rencontrés lors de festivals précédents. J’ai donc rejoint cette société de production et je me suis installée au Luxembourg. J’y suis restée depuis, avec de nouveaux projets toutefois.

Après Amour Fou, vous avez fondé en 2019 la société Wild Fang Films. Qu’est-ce qui vous a incité à créer cette société de production et comment définirez-vous la ligne esthétique des films que vous produisez ?

En termes de ligne éditoriale, de façon générale, ce qui m’intéresse dans la production, ce sont des thèmes et des sujets qui me tiennent à cœur et des personnes avec lesquelles j’ai envie de travailler. Embodied Chorus, par exemple, est un très bon exemple de film qui m’importe, avec une forme hybride, à la frontière du documentaire et de la fiction, qui évoque de façon très poétique les infections sexuellement transmissibles (IST) et les maladies sexuellement transmissibles (MST) ainsi que tous les tabous qui gravitent autour de la sexualité. J’aime les films qui ont un « social impact », même si je n’aime pas vraiment employer cette expression.

Un travail prononcé sur la forme, c’est quelque chose qui compte particulièrement pour vous ?

Cela s’y prêtait bien pour Embodied Chorus, car il y avait toute une partie sur un journal filmé qu’avait déjà tourné la co-réalisatrice, et à laquelle on a ensuite ajouté des éléments fictionnels. Mais cela dépend en fait de chaque projet, si celui-ci le nécessite ou non, et aussi de chaque sujet, si celui-ci se prête ou non à la XR ou à un documentaire seulement… Il faut retenir la forme qui permettra de mieux exprimer tel ou tel sujet.

Embodied Chorus © madame le tapis / heartwake Films / Wild Fang Films 

En tant que pays bénéficiant d’un très faible bassin de population, le Luxembourg ne dispose pas d’un marché intérieur important en termes de consommation cinématographique. Comment faites-vous pour dépasser cette limite démographique, quelle stratégie adoptez-vous pour pallier cette difficulté ?

Cela se joue plutôt au niveau international. Il se trouve que tous les projets dont je m’occupe sont des coproductions internationales. On a déjà des pays coproducteurs et un marché qui est présent ou pas, selon les cas. Ce n’est pas parce qu’un pays est plus grand qu’un film est plus vu. Il peut y avoir plus d’offres aussi, comme c’est le cas en France notamment qui produit énormément de films par an. Après, le Luxembourg dispose d’une belle visibilité également en Europe, avec des festivals permettant de bien mettre en valeur des films.

La production est un aspect encore peu connu des spectateurs. Comment définiriez-vous votre profession et quelles sont les activités principales d’une productrice en ce début de XXIe siècle ?

Il est vrai qu’il peut être difficile, de l’extérieur, de comprendre ce que fait un producteur. C’est un métier de l’ombre. Dans un premier temps, concernant le modèle européen en tout cas, c’est-à-dire celui que je connais et que je pratique, cela part généralement d’une idée ou d’un projet que j’ai envie de produire. Après, il y a la recherche de financements et des bons « ingrédients », le développement du scénario. Une fois les financements trouvés et que vous avez des financeurs étrangers, car c’est quasiment impossible de faire seul une production luxembourgeoise, vous entamez la production à proprement parler, avec beaucoup de coordination logistique (le recrutement des équipes, des bons techniciens et des bons acteurs et actrices), des aspects comptables et juridiques, comme des contrats de coproduction et d’acteur à remplir par exemple ; puis viennent enfin le tournage, la postproduction, après quoi vous essayez de trouver des vendeurs et des distributeurs.

Y a-t-il des aspects auxquels vous êtes particulièrement attentive afin de s’assurer de la qualité artistique et du potentiel commercial d’un film ?

C’est comme tout, c’est à chaque fois une nouvelle aventure ! Il n’y a malheureusement pas de recette. Il y a tellement de choses à prendre en considération. Parfois, il y a un petit projet qui devient un grand succès, sans que l’on en connaisse vraiment les raisons. Ce peut être l’esprit du temps, le momentum ; évidemment, il y a d’autres critères : s’il y a des noms d’acteurs ou d’actrices connus, le film sera sans doute plus « bankable ». Pour autant, ce qui m’importe, c’est de bien m’entendre avec les personnes avec lesquelles je travaille ; ce sont des collaborations sur plusieurs années, surtout dans le secteur de la production, et donc l’aspect humain est très important. Et puis il y a l’intérêt que je porte aux sujets.

Quelles sont les différentes sources de financement auxquelles vous pouvez avoir recours ?

Au Luxembourg, ce sont principalement des financements publics, comme en Europe de façon générale. Le Film Fund Luxembourg, le ministère de la Culture et ses équivalents européens comme le CNC en France, pays qui bénéficie aussi de l’aide des régions. Au Luxembourg, c’est quasiment exclusivement le Film Fund Luxembourg. Cela dépend des projets ; s’ils sont plus expérimentaux, il y aura peut-être une aide du Ministère de la culture, mais si vous avez de l’argent du Ministère, vous ne pouvez pas en recevoir de la part du Film Fund....

Pour le privé, c’est compliqué ; c’est plus un modèle en vogue aux États-Unis, où il n’y a pas d’aide publique. Pour ma part, je ne travaille pas sur cet aspect de la production. Cela dépend des conditions, mais dans tous les cas, ce n’est pas un système qui se pratique particulièrement en Europe, hormis pour des pays qui ne disposent pas de fonds de soutien.

J’imagine que vous avez affaire à des marchés différents en fonction de ce que vous produisez, s’il s’agit de films, de séries ou de XR ?

Tout à fait. Mon associé à Wild Fang Films s’occupe de la partie des séries, et moi de la XR. Vous avez des marchés et des festivals spécifiques, avec des logiques différentes. C’est un dispositif avec d’autres besoins et qui s’adresse à un autre public que celui du cinéma. Cette année, le film The Roaming (2024) de Mathieu Pradat, que nous avons produit, a été sélectionné dans le cadre de la Compétition Immersive organisée par le Festival de Cannes. Nous en sommes très fiers ! D’autant plus que c’est la première année que le Festival de Cannes organise une compétition pour la XR. Il s’agit d’une co-production entre la France, le Canada et le Luxembourg. C’est une œuvre immersive en multi spectateurs — plusieurs personnes pouvant en faire simultanément l’expérience — inspirée d’un film en noir et blanc des années 1960, qui parle de la violence des armes aux États-Unis.

The Roaming © la Prairie production / Wild Fang Films / normal studio 

Quelles sont vos réalisateurs et réalisatrices préféré.e.s aujourd’hui ? Et celles et ceux dont vous souhaiteriez produire les films, même dans vos rêves les plus fous ?

C’est difficile à dire. En moyenne, actuellement, je regarde 2 à 3 films par semaine, et lorsque j’étais étudiante, il m’arrivait d’aller au cinéma une fois par jour. Il y a un certain nombre de réalisateurs et réalisatrices que j’apprécie parce qu’ils influencent mon travail. Je pourrais citer Agnès Varda, que j’ai découverte à 16 ans, à une époque où l’on ne parlait pas du tout de réalisatrices. A l’université, lorsque j’y étais tout au moins, ce sont des noms que l’on n’évoquait jamais ­­­— Agnès Varda, Alice Guy, sans oublier Jacqueline Audry... Il était temps d’exhumer ces femmes qui sont passées derrière la caméra ! La première dont j’ai entendu parler est Agnès Varda et j’aimais beaucoup sa manière singulière de raconter les histoires. Aujourd’hui, j’aime beaucoup le cinéma de Céline Sciamma ; j’adore Todd Haynes et sa productrice, qui est un véritable modèle pour moi. Elle a contribué à produire ou à coproduire les films de Tod Haynes, qui ont inauguré les tout débuts du New Queer Cinema au début des années 1990. Tout cela s’inscrit dans le contexte du cinéma indépendant new yorkais, de la scène queer : c’est assurément une référence pour moi !

Vous êtes par ailleurs curatrice du ciné-club queer loox, dédié au cinéma queer et féministe. Est-ce que la création de ce ciné-club part du constat d’un manque de visibilité de cette forme de cinéma au Grand-duché ?

Cette initiative a débuté au Luxembourg il y a dix ans autour d’un petit collectif. À l’époque, deux cofondatrices de queer loox venues de grandes capitales européennes disaient qu’il y avait un manque au Luxembourg concernant ce type de cinéma. Ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. J’ai intégré ce collectif en 2017 et nous avons créé une association dédiée à ce cinéma, à la fois pour demander des subventions, mais aussi pour faire une programmation à l’année, à raison d’une projection tous les deux mois environ aux Rotondes, notre partenaire historique. Le public, qui était initialement un petit noyau dur de féministes ou de personnes bisexuelles principalement, s’est ensuite vraiment diversifié. On a en moyenne une trentaine de spectateurs à chaque séance, ce qui est vraiment bien pour un pays comme le Luxembourg. On organise aussi des événements « Hors les murs » en juin, lors du mois de la Pride notamment, en collaboration avec la Cinémathèque de Luxembourg. Une manifestation est prévue dans ce cadre, au cours de laquelle sera invitée une personnalité importante du cinéma queer. À cette occasion, nous projetterons Celluloid Closet (1995) de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, qui est un documentaire génial sur l’histoire LGBT, et particulièrement sur l’histoire des homosexuel.le.s. Le ciné-club Loox est un bon moyen de montrer des films rares, expérimentaux, de diverses époques, avec pour critère majeur des films qui ne sont jamais sortis au Luxembourg et que nous souhaitons replacer dans leurs contextes de production respectifs.