Luxembourg, un paysage architectural très éclectique

16 déc. 2022
Luxembourg, un paysage architectural très éclectique

Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

2022 restera comme une année à part pour le luca, le Luxembourg Center for Architecture, entre la célébration de ses trente ans, son déménagement d’Hollerich à Clausen et l’arrivée à sa tête d’Eline Bleser et Maribel Casas, la première en tant que directrice administrative et la seconde en tant que directrice scientifique. Rencontre avec le duo à la tête de la structure dans ses nouveaux locaux, l’ancienne usine d’embouteillage de la brasserie Clausen.

C’est une année particulière qui s’achève pour le LUCA. Est-ce un hasard que les 30 ans de la structure, le déménagement et votre arrivée soient arrivés de manière aussi rapprochée ou est-ce que chaque changement est lié à l’autre ?

Eline Bleser : Le luca cherchait de nouveaux locaux depuis 2018. Nous étions locataires dans des locaux appartenant à Paul Wurth à Hollerich et il fallait déménager car le propriétaire voulait récupérer le bâtiment qu’il nous avait loué pour un montant symbolique. Il a fallu deux ans de travaux dans ces nouveaux locaux pour que nous puissions déménager. C’est un hasard que toutes ces choses se soient passées en même temps ; il y a eu le départ d’Andrea Rumpf, l’ancienne directrice, une période de transition avec l’intérim de Séverine Zimmer et puis notre prise de fonction en octobre.

Maribel Casas : On peut dire que les planètes se sont alignées.

Eline Bleser : Mais c’est vrai que le lieu est plus dynamique. Et que la direction que nous avons proposée est en accord avec les nouvelles possibilités que nous offre ce lieu.

Revenons en arrière, le luca c’est quoi ? Que fait-il ?

Maribel Casas : Le luca est une fondation privée qui a été créée avec pour principal but de promouvoir la qualité architecturale. C’est quelque chose de difficile à définir, parce que l’architecture est une discipline qui, à la différence des autres arts, a une part esthétique, mais aussi une grande composante technique et c’est le seul des arts qui a une finalité utilitaire.

Eline Bleser : Le luca a développé ces trente dernières années, des activités qui permettent justement de parler de tous les sujets en lien avec la qualité architecturale : que ce soient des aspects esthétiques, techniques, pratiques, mais aussi écologiques, de la rénovation, de l’économie circulaire, pour n’en citer que quelques-uns, à travers des expositions, des conférences, des tables rondes, des ateliers, des visites guidées, des promenades à l’extérieur, etc. Et puis nous avons travaillé sur la question de l’archivage, à savoir comment archiver ce qui se fait, au Luxembourg mais aussi ailleurs. Nous avons une bibliothèque spécialisée avec plus de 7.000 livres et des archives contenant plus de 40.000 documents. Notre but est aussi d’amener l’architecture internationale ici et de faire connaître ce qui se fait ici à l’étranger.

Tout cela est plus tourné vers les professionnels ou le grand public ?

Eline Bleser : Les deux !

Maribel Casas : Nous avons une mission qui s'adresse à différents publics. Pour les professionnels nous invitons des experts internationaux, pour parler de matériaux, montrer des choses qui sont faites ailleurs qui pourraient servir de « best practices » à promouvoir ici, etc. Ensuite, nous avons une mission auprès du grand public, parce qu’un client qui n’a pas une certaine compréhension de ce qu’est l’architecture et qui n’est pas sensibilisé aux grands enjeux écologiques et environnementaux va peut-être avoir des demandes qui ne sont pas nécessairement en phase avec le contexte. Par ailleurs, nous avons pour ambition de créer un centre de documentation afin de pouvoir accueillir dans nos archives des chercheurs et rendre encore plus accessible notre bibliothèque – qui fait partie du réseau de bibliothèques de Luxembourg – aux étudiants et au grand public.

Eline Bleser : Nous avons aussi un programme jeune public et nous commençons avec les tout petits, en proposant des ateliers pédagogiques, pour les sensibiliser le plus tôt possible à l’architecture, à l’urbanisme et au patrimoine.

Et l’urbanisme dans tout ça ?

Maribel Casas : L’architecture et l’urbanisme sont deux choses qui fonctionnent ensemble. Elles sont indissociables. L’architecture fait la ville, et la manière dont on planifie la ville – la manière dont on va circuler, comment on veut disposer de l’espace qui ne sera pas bâti, etc. influe sur l’architecture.

« Il y a un grand besoin de construire plus mais aussi un grand besoin de construire mieux »

Du coup, que peut-on dire de l’architecture et de l’urbanisme au Luxembourg ? Quelle est leur qualité architecturale ?

Maribel Casas : C’est une question délicate… Le Luxembourg est depuis plusieurs décennies dans une croissance économique et démographique qui engendre une pression très forte sur le foncier et génère une grande demande de logement. C’est devenu un des points névralgiques ici. Il y a un grand besoin de construire plus mais aussi un grand besoin de construire mieux.

Et le niveau de culture architecturale au Luxembourg, comment est-il ?

Eline Bleser : Ceux qui viennent chez nous ont déjà une certaine connaissance en la matière. Mais parmi le grand public, certains n’ont clairement aucune notion d’architecture. Les gens voient souvent architecture comme un simple bâtiment et ne comprennent pas que c’est beaucoup plus que ça.

Il y a-t-il des spécificités luxembourgeoises au niveau de l’architecture et de l’urbanisme ?

Eline Bleser : Ce qui est aussi une spécificité ici c’est qu’on n’a jamais eu d’école d’architecture au Luxembourg et que tous les architectes se forment donc à l’étranger. Ils vont en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, en Angleterre et reviennent avec des influences très différentes. Il n’y a donc pas vraiment un style luxembourgeois, mais à l’inverse une richesse d’influences et un paysage architectural très éclectique. Depuis 6 ans, l’Université du Luxembourg propose un Master en Architecture. À terme, il permettra peut-être de mieux analyser l’existant dans le pays.

Maribel Casas : Au niveau de l’urbanisme, il faut dire qu’il y a, au Luxembourg, un attachement culturel à la voiture, ce qui influence pas mal de décisions des élus sur nos villes. C’est aussi quelque chose sur lequel on travaille beaucoup, en rappelant que les villes pourraient aussi être très agréables à vivre avec moins de voitures. Et puis, on a, dans beaucoup d’endroits, une certaine perméabilité entre les espaces ruraux et boisés et les espaces urbanisés. Il y a une proximité qui crée un environnement très spécifique au Luxembourg.

« On a de plus en plus d’exemples qui montrent qu’on peut très bien rénover et utiliser des lieux préexistants »

Et le patrimoine, comment s’intègre-t-il dans toutes ces réflexions ?

Maribel Casas : Pendant longtemps, les Luxembourgeois ont regardé d’un œil un peu dépité la destruction de beaucoup de bâtiments, mais ces dernières années l’Institut National pour le Patrimoine Architectural s’est renforcé et a mené des actions pour mieux protéger le patrimoine.

Eline Bleser : Du coup, on a de plus en plus d’exemples qui montrent qu’on peut très bien rénover et utiliser des lieux préexistants, que ce soient nos locaux, mais aussi le 1535°, le Banannefabrik, les Rotondes… ça demande aux architectes d’être extrêmement créatifs, puisqu’ils ne peuvent pas partir de zéro, mais c’est une démarche qui parle de plus en plus aux nouvelles générations.

Depuis le 1er octobre vous avez pris la codirection du LUCA, Eline en tant que directrice administrative, Maribel en tant que directrice, non pas artistique comme c’est le cas dans de nombreuses institutions culturelles, mais scientifique. On est plus dans la science que dans la culture au LUCA ?

Maribel Casas :  Cette appellation répond en partie à mon profil qui se situe plutôt dans les Sciences humaines avec un doctorat en Histoire de l’art. Mon rôle n’est pas de trouver la manière de véhiculer des messages mais de donner de la profondeur aux thématiques que nous abordons au luca. L’idée d’avoir une directrice scientifique était aussi liée à l’ambition qu’une partie du centre devienne, à terme, un lieu de recherche.

Eline Bleser : C’est une grande question que nous nous sommes posées au moment de présenter notre candidature, en sachant que nous postulions un poste, mais à deux. Quand nous nous sommes demandé quels titres nous allions nous donner, ces termes nous ont finalement semblés logiques parce que, même si nous proposons des activités qui peuvent ressembler à celles d’un centre culturel, nous sommes plus qu’un centre culturel.

Le LUCA est désormais installé dans l’ancienne usine d’embouteillage de la brasserie Clausen. Vous avez dit plus tôt que ce lieu vous donne de « nouvelles possibilités ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

Maribel Casas : Ce lieu dispose espace d’exposition assez généreux qui nous permet d’envisager des expositions d’une certaine envergure et, en même temps, d’organiser un programme cadre pour accueillir pas mal de public. C’est clairement un des grands avantages de ce bâtiment. Un bâtiment, par ailleurs, qui nous offre une grande flexibilité, selon les besoins de chaque évènement.

Eline Bleser : Ce qui change tout c’est aussi sa localisation. Nous devons encore améliorer la signalétique, mais nous sommes vraiment au cœur des grandes institutions culturelles du pays, nous profitons de la vue sur le Mudam et neimënster n’est pas loin, ce qui crée une certaine proximité avec ces institutions avec lesquelles nous travaillons. Ce nouveau bâtiment sort un peu le luca de l’ombre et le remet dans la Ville et aussi dans le parcours d’un circuit touristique. Tout ça fait que nous profitons de beaucoup plus de passage que par le passé, avec une augmentation considérable du nombre de visiteurs.

Stadtrand
©luca

Le 22 novembre vous avez inauguré l’exposition « Stadtrand - Portrait d’un lieu en devenir » du photographe Yann Tonnar. Un travail sur la périphérie de la capitale. Que dit-elle, au niveau architecturale et urbanistique de nous ?

Maribel Casas : Ce que montre bien cette exposition c’est l’énorme pression qui existe sur les espaces non-bâtis au Luxembourg, mais aussi que, parfois, nous planifions le territoire sans tenir compte de tous les éléments. Ce qui donne des superpositions, comme celle de la photo que nous avons utilisée pour la promotion de l’exposition, avec cette maison qui se retrouve sous une infrastructure hypermassive. C’est pour nous une manière d’appeler à réfléchir sur ce territoire à la marge de la ville où le bâti et la nature se rencontrent parfois de manière chaotique au fur et à mesure de la croissance de la ville.

Stadtrand
©luca

Exposition « Stadtrand - Portrait d’un lieu en devenir », photographies de Yann Tonnar, jusqu’au 13 janvier 2023.

luca – Luxembourg Center for Architecture, 1, rue de la Tour Jacob, L-1831 Luxembourg-Clausen.

Ouvert du mardi au vendredi de 12 h à 18 h. Samedi de 14 h à 18 h.

www.luca.lu

 

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