LAGERKULTUR

23 déc. 2022
LAGERKULTUR

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Depuis que nous en avons entendu parler pour la première fois, le collectif LAGERKULTUR tient dans nos esprits une dimension très mystérieuse. Une personnalité assumée de pleine conscience par ses membre fondateurs, tant leur direction se tourne vers l’alternatif, l’underground, cette impénétrable « culture club », souvent virulente mais qui sait se faire discrète. Pour LAGERKULTUR, tout débute par des soirées organisées dans un hangar en Moselle. Au fur et à mesure, les événements grossissent et font germer un projet, puis, rapidement, la volonté de créer une association, pour structurer ces activités. Une nouvelle génération d’amateur de musique électronique cherche par ce biais à se créer son environnement club, avec l’idée au cœur de proposer une alternative dans les clubs existants pour s’y sentir exister. LAGERKULTUR née sous forme d’a.s.b.l, autour d’un premier événement au Kirchberg en 2019, se positionnant dès ses prémices, comme un véritable collectif de créateurs. Ainsi, LAGERKULTUR se défini très vite outre la musique, autour notamment du design et de l’architecture, et ainsi stimule la venue de personnalités et tempéraments porteurs pour la vision au long terme du collectif. Aujourd’hui ce sont quatre porteurs de projets qui tiennent les rênes du projet et guident une véritable communauté, soutenus par un nombre croissant de volontaires, partenaires et passionnés.

LAGERKULTUR, a pour objectif principal d'établir une scène musicale progressive au Luxembourg en proposant de nombreux événements pour faire entendre la musique électronique, alternative, et club. En bref, « faire avancer la culture club ». Mais alors, c’est quoi la culture club ?

De manière générale, on utilise ce terme pour mettre en évidence le fait que le clubbing est une culture à part entière avec ses codes, sa communauté et son contexte. C’est une manière de lui donner de l’importance, de lui rendre hommage aussi. Après, si on veut définir ce qu’on entend par culture club, c’est tout ce qui tourne autour du clubbing et de la musique électronique sans s’y limiter. C’est cet environnement qui nous permet de nous rassembler et de s’exprimer lors d’un événement, les relations et inspirations qui s’y créent, mais c’est aussi tout ce qui se passe avant et après, le travail visuel et scénographique lié à ces événements, la préparation des artistes, etc. On veut éviter une réduction du monde clubbing à une soirée de samedi soir. Cela va bien au-delà.

Partagée entre house et techno, la culture club d’il y quinze « pantouflardait » avant de voir émerger d’autres variations électroniques stimulant de nouvelles visions musicales, moins marginales, sans pour autant se concevoir comme mainstream… Alors, sur les cinq années d’existence de LAGERKULTUR, comment avez-vous vu évoluer cette « culture club » et en quoi votre collectif y a contribué ?

Cinq années restent peu pour imaginer voir une évolution concrète, mais avec le passage de la pandémie, on a quand même vu passer de gros changements. Au niveau musical, le plus gros changement reste la variation de style que les artistes se sont permise. Les sets sont de moins en moins linéaires et de plus en plus éclectiques, ce qui nous plait énormément et qu’on essaye de cultiver. Les artistes n’ont plus peur d’intégrer du rap après des tracks house et puis repartir sur de la techno à 150 bpm. Il n’y a plus vraiment de codes et ça rend les sets super riches et dynamiques. Parfois, on se surprend même à s’ennuyer après 1 heure de techno d’affilée. Pour notre part, sans pour autant être exclusif dans cette direction, c’est un mouvement qui nous plait. On a toujours essayé de ne pas trop se limiter au cadre house et techno mainstream. On considère que notre programmation a un caractère « éducatif » et on a la chance d’avoir un public qui nous fait toujours confiance, même avec des noms émergents ou des sons nouveaux pour la scène locale.

Suite à la pandémie, en juin et août 2020, pour répondre à vos objectifs originels, et en soutien aux artistes locaux impactés par la crise du COVID, vous sortez deux compilations Shared Distance 1 et 2. Au total, onze titres signés de producteurs de la communauté musicale luxembourgeoise, tels que /teɪp/, Aamar, Hirsto, Makadam, Plastic Pedestrian, Vantane, D.E.T., Kuston Beater, Obsoletetechnology ou encore Sensu. Votre « communauté musicale », très unie avant la pandémie, a-t-elle finalement vraiment survécu à cette crise ?

Les compilations n'étaient pas un remède pour survivre à la pandémie, l'idée était avant tout de créer un format qui ne serait pas affecté par les réglementations Covid. De façon très intuitive, on cherchait juste à continuer, à faire entendre les artistes et à donner de l'espoir aux jeunes. Le but était de montrer, autant à la scène et qu’à ceux qui n’en font pas partie, qu'on resterait fortement unis. Au final, bien que la pandémie ait été une grande épreuve pour maintenir nos objectifs, notre communauté n'a pas seulement survécu mais elle s'est même agrandie, et beaucoup de nos relations existantes sont devenues plus fortes qu’auparavant. Dans l’ensemble, les compilations ont fait partie d’un plus grand processus. Après les deux premiers confinements, nous avions rassemblé toute l’énergie pour construire, avec une équipe jeune et très engagée, notre premier lieu pluridisciplinaire, nommé MALL, et plus tard pour organiser notre premier festival, STAU 2021. Cela nous stimule certainement aussi à établir dans un avenir proche un label luxembourgeois pour la musique électronique club et expérimentale.

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Dans un entretien pour l’Observatoire paru en 2019 (#53), Cédric Dujardin, directeur du Sucre, haut lieu des soirées club à Lyon, expliquait que la musique électronique, à l’origine underground, alternative, voire cachée, était de tradition jouée le plus tard possible dans les clubs. Ainsi, il formule les questions suivantes, que nous vous adressons également, « les musiques électroniques peuvent-elles se passer de la nuit ? Les artistes de musique électronique ont-ils besoin de la nuit pour exister ? »…

« La seule fois que jai visité le Sucre à Lyon, c’était en été 2021 en plein jour, et ça ressemblait plutôt à une friterie. Forcé de fermer les portes du dancefloor et dadopter un nouveau format de jour, le club était devenu une simple terrasse servant des repas et latmosphère était loin de la musique club. Les nuits nous manquaient beaucoup », explique Philippe, membre de LAGERKULTUR. La culture club a commencé dans la nuit, non pas pour se cacher mais pour permettre aux gens de prendre un rôle à part de leur propre vie quotidienne. C'est un loisir formatif permettant l'exploration de ses propres identités. Même si notre travail n'est plus juste un loisir, la culture club commence par celui-ci. Ce travail d'établir une vraie scène au Luxembourg est devenu le plus grand projet de nos vies pour certains d’entre-nous. C'est pourquoi, avec nos artistes, nous avons besoin de la nuit pour exister. Cependant, en partie grâce à la pandémie, nous avons appris à créer des formats alternatifs et nous considérons que notre activité ne devrait pas se limiter uniquement à la nuit. Nous sommes certains que les formats journée peuvent être développés encore plus.

Les ambitions du collectif sont également tournées vers d’autres formes d’art, et se veut « plateforme créative aux artistes de tous les domaines ». Pourriez-vous nous expliquer comment a évolué ce volet de votre activité au fil des années ?

Dès ses débuts, le projet ne s’est jamais uniquement limité au domaine de la musique électronique. Ce dernier se comprenait plutôt comme un point de départ pour notre exploration créative et plaçait ainsi la scénographie, la vidéographie et le design graphique aussi au premier plan. La dimension de ce travail varié n’était pas encore mesurable, mais plus le projet gagnait en maturité plus l’enthousiasme pour la création contemporaine se faisait sentir chez chacun de nous. Par la suite, les formats d’événements de musique se sont transformés en espaces d’exposition pour jeunes artistes du monde de la mode, de la peinture ou du design et les collaborations avec des créateurs numériques se sont multipliés. C’est de cette manière qu’on a développé une vision de la culture club progressive, incluant une approche pluridisciplinaire. À notre propre surprise, tout ce travail nous a appris à affronter de nombreux domaines artistiques sans devoir les séparer les uns des autres. Il s’agit donc plus d’une méthodologie ou d’une approche fondamentale plus que d’un simple volet du projet.

Dans la série « il parait que », j’ai entendu dire que vous déposiez un dossier pour monter un tiers lieu… Vous nous racontez cette nouvelle histoire que dessine le collectif LAGERKULTUR ?

C’est top secret ! Ce projet de tiers-lieu culturel est en fait la raison principale à la suspension de nos activités depuis plus d’une demi année. Pendant l’été, notre équipe s’est mobilisée à faire des recherches sur de sites inoccupés à Luxembourg-ville afin de compléter notre dossier de candidature pour un appel à projets de l’Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte. Constituant la vision la plus aboutie de notre collectif, ce projet phare redessine en quelque sorte une histoire déjà commencée, celle de notre lieu à Sandweiler entre 2020 et 2021, intitulé MALL. À partir de 2023, notre collectif vise la mise en place d’un centre culturel contemporain pour une nouvelle génération de créateurs, mêlant performances, workshops et expositions. Il ne nous reste que quelques semaines avant l’annonce du résultat de l’appel à projet.

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