Interview: Elise Schmit

21 avr. 2023
Interview: Elise Schmit

Article en Français
Auteur: Sarah Braun

Elise Schmit est une artiste totale. Non pas (seulement) parce que sa pratique l’incite à explorer tous les genres littéraires; mais surtout parce que ses œuvres protéiformes questionnent le processus créatif, le langage, voire la littérature en tant qu’objet. Rencontrée à quelques jours du début du festival, Elise Schmit nous a confié sa joie de participer à la seizième édition du Printemps des poètes, « une chance », et les coulisses de sa création.

Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec la poésie ?

C’est assez flou ; j’ai l’impression qu’elle a toujours été dans ma vie. Je pense que j’ai commencé à écrire vers six ou sept ans. La poésie a toujours occupé une place prépondérante dans mon travail, dans mon approche de l’écriture. Pourtant, j’ai toujours refusé de publier mes poèmes. J’allais même jusqu’à prétendre que je n’en écrivais pas !

Pourquoi ne souhaitiez-vous pas les publier ?

J’ai toujours pensé que les poèmes – ou les autres formats courts – que j’écrivais étaient une façon de dialoguer avec moi-même, quelque chose d’assez intime, dont je ne voyais pas forcément de prime abord l’intérêt de les faire lire. La poésie est véritablement pour moi un outil de réflexion. J’écris pour clarifier mes pensées.

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

L’écrivain luxembourgeois Jean Portante m’a sollicitée pour participer à une anthologie de poésie : Lignes de partage, parue aux éditions Bruno Doucey. Pour l’occasion, j’ai écrit une demi-dizaine de poèmes. J’y ai pris un vif plaisir ; cela m’a incitée à aller plus loin dans cette voie.

Qu’est-ce qui vous inspire ?

L’écriture, les limites du langage. Parce que la poésie peut tester les limites, mais elle ne se détache jamais complètement de ce qui relie l’écriture à l’autre, par le biais du langage. C’est vraiment ce qui nourrit mon attrait pour ce genre, qui, il faut le reconnaître, est difficile.

Difficile ?

Oui, résolument, la poésie est un genre à part, en marge. On ne vient pas à la poésie spontanément, on n’en lit pas comme on se plonge dans un roman. Il faut du temps, de la concentration, être tout à sa lecture. La poésie est un genre de l’effort.

Vous écrivez aussi bien en allemand, en luxembourgeois qu’en anglais. Comment choisissez-vous une langue plutôt qu’une autre lorsque vous rédigez un nouveau poème ?

Ce n’est pas un choix, je pense : la langue s’impose d’elle-même. Je me mets à écrire dans une langue, parfois c’est la bonne, parfois je change en cours de rédaction. C’est presque un réflexe instinctif. Et il en va de même pour les genres littéraires ! Je n’ai jamais l’impression d’arrêter un choix lorsque je me sers d’une forme littéraire plutôt qu’une autre. Une idée se présente toujours avec un potentiel formel. « Pas de forme sans contenu, pas de matière sans forme », disait Aristote. Mon expérience du processus créatif me pousse à lui donner raison.

Pouvez-vous me parler des textes que vous avez choisi de lire à l’occasion de la 16e édition du Printemps des poètes ?

J’ai d’abord choisi Sehnsucht, un petit livre paru chez Redfoxpress (Irlande), en 2021, fruit d’une collaboration avec le danseur et chorégraphe luxembourgeois Jean-Guillaume Weis, dans le cadre de la création d’un spectacle de danse pour le TNL. Je me suis dit qu’on pouvait faire quelque chose de ces textes ; j’en ai alors parlé à l’artiste-peintre Robert Brandy (Luxembourg). C’est ainsi que Sehnsucht a vu le jour.

Je l’ai choisi pour le présenter à l’occasion de cette édition du Printemps des Poètes parce que c’est certes un projet récent, mais bien plus parce qu’il reflète assez bien mon travail actuel. Il s’agit d’une série de textes miniatures que l’on pourrait qualifier de « poèmes en prose », autour de la « Sehnsucht ». C’est un mot difficile à traduire : en anglais ce serait « longing », quant au français… peut-être « nostalgie » ? Mais le terme allemand renvoie également à la notion de futur ou à celle d’un but idéal ou rêvé.

Les textes que je lirai vendredi 21 avril pour l’ouverture du festival font partie d’un projet que je nomme « wortwuchs », un néologisme que je traduirais par l’expression « mots poussés », pour garder la métaphore botanique. Ce sont des poèmes qui me permettent de réfléchir sur ma pratique et sur des sujets qui me poussent vers l’écriture : la solitude comme condition humaine. J’ai construit ces textes autour d’un duo de métaphores, le monde minéral d’une part ; le monde végétal de l’autre. J’ai d’ailleurs été inspirée, pour ce projet, par le poème de William Carlos Williams « A sort of song ».

Les premiers textes sont issus de Lignes de partage, l’anthologie de Jean Portante. Le principe de ces textes s’est d’ailleurs avéré être un bon moyen de réflexion par la suite. Je travaille d’ailleurs toujours sur l’écriture, ce projet n’est pas terminé.

Que vous inspire « Frontières », le thème de cette édition ?

J’aime son ambivalence, sa dualité. Une frontière peut être une limite, mais elle implique également qu’on la franchisse à un moment ou à un autre. Elle est synonyme d’ouverture. J’espère vivement y faire de belles rencontres et y trouver de nouvelles idées.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez été choisie pour représenter le Luxembourg ?

Une certaine fierté et beaucoup de joie que l’on me fasse confiance alors que la poésie est, pour le moment, le genre dans lequel j’ai été le moins prolifique ! Contribuer à cette nouvelle édition du Printemps des Poètes est une superbe opportunité de confronter mon travail au regard des lecteurs, de voir ce qu’en pensent mes pairs. Et je me réjouis d’autant plus de rencontrer des gens : le public, mais aussi d’autres poètes, et notamment Fiston Mwanza Mujila, que je connais un peu et dont j’apprécie énormément le travail. Il a notamment écrit un recueil particulièrement fantastique, Le Fleuve dans le ventre, que je vous conseille de lire !

Qu’est-ce qui vous a particulièrement touchée chez cet auteur ? Dans ce recueil ?

Il est doué ; il écrit particulièrement bien. Et, surtout, il possède une force et une énergie qui m’impressionnent !

Que lisez-vous ?

Je suis omnivore, je lis de tout (rires) ! En ce moment je suis plongée dans les Essais de Margaret Atwood.

Quel est le rôle de la poésie dans un monde où la guerre et l’obscurantisme s’installent ?

La poésie ne sert à rien comme l’art d’ailleurs. La question est plus vaste : quel est le rôle de l’art ? C’est difficile à résumer en une seule phrase, mais je dirais que l’art, et donc la poésie, est le seul lieu où l’être humain peut être lui-même, véritablement. Et ceci est vrai pour toutes les situations, tous les cas de figure. Donc l’art est un soulagement, une trêve. On peut se réfugier dans l’art ; on peut encore espérer y sauver ce qu’il y a de plus humain et de plus fragile à notre condition.

On vous connait beaucoup pour vos récits narratifs ; on vous découvre à travers le genre poétique. Y a-t-il une autre forme littéraire qui pique votre curiosité ?

J’ai toujours été fascinée par un genre littéraire plutôt à part : les listes. J’en ai publié quelques-unes, notamment dans le cadre de la brochure publiée par le CNL quand j’ai reçu le prix Servais, en 2019 -, mais Stürze aus unterschiedlichen Fallhöhen - Kurze Geschichten (le livre grâce auquel Elise Schmit a reçu le prix Servais, ndlr.) débute lui aussi par une liste !

Quels sont vos projets ?

J’en ai mille (rires) ! Mais je travaille notamment sur un projet dont j’espère vraiment qu’il aboutira : un recueil de récits. En 2018, j’avais publié un premier recueil qui marquait le début d’un questionnement sur l’art, sur les relations et le langage. C’est un travail que je souhaite vivement poursuivre.

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