Interview avec Marlène Kreins

08 nov. 2023
Interview avec Marlène Kreins

© Ville de Dudelange/Marc Lazzarini
Article en Français
Auteur: Loïc Millot

Actrice importante du secteur culturel luxembourgeois, Marlène Kreins a en charge la programmation de plusieurs structures pour la municipalité de Dudelange. A côté de ses occupations nombreuses, la jeune femme est aussi une passionnée du patrimoine industriel de la région. Retour sur sa formation, son parcours, et bien sûr les deux projets d’exposition de Letizia Romanini (5 km/heure) et Suzan Noesen (How to cut an Apple?) qui se tiennent actuellement jusqu‘au 12 novembre.

Pouvez-vous présenter votre formation artistique et votre parcours professionnel, dans les grandes lignes ?

Diplômée de Master en arts visuels à l'Université Marc Bloch à Strasbourg (aujourd’hui l'Université de Strasbourg), j’ai travaillé pendant 6 ans au ministère de la Culture au service d'animation culturelle régionale. J'ai rejoint l'équipe du service culturel de la Ville de Dudelange en 2018 où je suis depuis en charge de la programmation des Centres d'art ainsi que de la programmation théâtre, danse et littérature au Centre culturel régional opderschmelz à Dudelange.

Qu'est-ce qui vous apporte le plus de joie dans votre profession ?

La découverte des univers artistiques me passionne le plus et puis l'échange régulier avec l'artiste qui partage ses recherches et ses idées avec moi et le public. Ses réflexions nous donnent l'impulsion de sortir de nos sentiers et peuvent nous emballer et nous toucher profondément.

Comment concevez-vous le rôle d'un.e galeriste aujourd'hui ? Comment définiriez-vous la ligne esthétique du Centre d'Art Nei Liicht par exemple ?

En tant que responsable de la programmation artistique de deux Centres d'art (Nei Liicht et Dominique Lang), je me vois plutôt comme un support pour l'artiste. Soutenir ses idées et l’aider à créer un univers artistique afin qu'il/elle puisse transmettre les messages qui lui tiennent à cœur. Je travaille pour un service public d'une commune qui s'est donné la mission de soutenir la création.

Comment choisissez-vous les artistes que vous programmez ?

Les propositions artistiques qui m'intéressent le plus sont celles qui racontent des histoires et qui ont un message à transmettre. Ceux qui posent des questions sur la société, la vie, notre manière de faire, nos habitudes, notre histoire, entre autres, sans nécessairement proposer des solutions, mais qui ont le mérite de provoquer une réflexion chez le spectateur. Les Centres d'art offrent un bon mélange entre artistes émergents et confirmés, nationaux et internationaux.

Êtes-vous sensible à la production de NFT ou à des œuvres réalisées par des intelligences artificielles ?

Lors du Mois Européen de la Photographie (EMOP) de cette année, Mike Zenari a proposé dans son exposition « Humain » une recherche sur l'identité en combinant des portraits avec des images générées par une intelligence artificielle. Un exercice très intéressant parce que les photos ne se distinguent guère des vraies photos ; en revanche, l'AI ne sait pas saisir la complexité émotionnelle d'une personne réelle, ni le regard et le point de vue d'un artiste...

Pouvez-vous présenter cette part du travail qui échappe au spectateur : comment conçoit-on une exposition, son accrochage, le choix des œuvres, en somme le processus de conception d'une exposition jusqu'à sa réalisation concrète, dans ses grandes étapes ?

Je suis beaucoup d'artistes et j'essaie d'en découvrir le plus possible en visitant des expositions au Luxembourg ou à l'étranger. Lorsque le choix d'un artiste est fait, j'échange avec lui concernant le projet qu'il est en train d'élaborer. Après avoir défini des détails plus pragmatiques (les dates de l'exposition, la durée, le contrat, etc.) on peut se concentrer sur le contenu. Pendant toute sa procédure de création, je peux l'épauler si elle/ s’il le désire. Le choix des œuvres se fait d'habitude en concertation et parfois, il y a encore des changements pendant le montage. Lors du montage, mon équipe et moi sommes sur place pour aider et pour conseiller. Le tout se fait en s'échangeant et nous essayons, le plus possible, d'assouvir toutes ses envies.

Vous accueillez en ce moment une exposition de Letizia Romanini : pouvez-vous présenter dans les grandes lignes les pièces que vous exposez en ce moment, les raisons de ce choix et nous dire ce que vous appréciez en particulier dans son travail ?

J'ai découvert le travail de Letizia en 2012 lors de ma première exposition à la Galerie Beim Engel, et depuis ce moment, je suis sa recherche et sa carrière artistique. Il m'était une évidence de montrer cette artiste très professionnelle et très fine en même temps qu'extrêmement douée manuellement. Elle est curieuse et mène une recherche très intelligente qui me fascine. De plus, c'est une personne adorable et très conviviale, c'est toujours un plaisir de travailler avec elle.

© Mike Zenari
© Mike Zenari

Même question concernant le choix de l’exposition de Suzan Noesen qui se tient en parallèle ?

Pour Suzan, c'est un peu pareil, une artiste très attentive qui nourrit sa recherche avec des références artistiques et philosophiques. Elle pose des questions et anime le visiteur en l'invitant à se refléter et à se poser des questions. C'est une artiste brillante avec des convictions qui analyse nos manières de faire, nos gestes et nos habitudes.

Y a-t-il d'autres artistes luxembourgeois dont vous souhaitez valoriser le travail ?

Je suis à la recherche de nombreux artistes et je souhaite aussi les montrer à différentes étapes de leurs carrières.

Y a d'autres projets curatoriaux sur lesquels vous êtes en train de travailler en ce moment et que vous souhaiteriez évoquer à cette occasion ?

Les prochaines expositions sont celles d'Anna Krieps et de Marc Soission (Vernissage le 25.11.2023). Après, je me réjouis de vous faire découvrir les travaux de Pit Riewer et de Julien Hübsch en début d'année prochaine puis les propositions de Lise Duclaux et de Golnaz Afraz.

Enfin, pouvez-vous présenter votre fonction de présidente au CNCI, les missions de cette association, le constat de départ qui lui a donné naissance et la façon dont vous souhaitez y répondre ?

Le CNCI s’engage depuis 2019 dans la création et la fortification d'un réseau d'organismes muséaux et autres consacrés à la valorisation du patrimoine industriel au Luxembourg. Parmi les adhérents, l'association ne compte pas seulement des experts et des passionnés de la culture industrielle, mais aussi un réseau d’institutions partenaires. Le CNCI élabore aussi des concepts de réaffectation. Dans ce contexte, il travaille sur plusieurs dossiers et accompagne différents projets en coopérant avec les responsables des institutions (Halle des Soufflantes à Esch-Belval, Metzeschmelz à Esch-Schifflange, Dommeldange, Roud Lëns à Esch, Cheminées sur le site Belval). De plus, nous nous engageons dans l'organisation d'actions de sensibilisation pour les valeurs du patrimoine industriel via la pédagogie et des conférences.

Les activités actuelles de l'association Industriekultur-CNCI ne se concentrent pas seulement sur la conservation des bâtiments industriels historiques (tiers-lieux), mais visent aussi à élaborer des concepts de réaffectation afin de réutiliser ces anciens édifices protégés de manière innovante et créative. Les cathédrales de fer portent en elles l'histoire de la sidérurgie, de la manufacture du travail. Elles nous racontent les luttes sociales et les mutations sociologiques qui ont bousculé toute une société. Elles nous expliquent les transformations économiques d'un pays auparavant rural. Elles font preuve des mutations provoquées par les industries minières et sidérurgiques dans la région du bassin minier. Elles nous rappellent les mœurs et coutumes qui continuent de laisser des empreintes dans nos manières de faire d'aujourd'hui. Donc, les tiers-lieux étaient toujours des endroits remplis de vie, notre mission est de faire revivre ces endroits par des réaffectations appropriées pour qu'ils ne finissent pas en tas de pierres, ni en monuments.

Je perçois l’IK-CNCI comme un lieu de référence pour la culture industrielle au Luxembourg, une institution décentralisée à vocation nationale avec des missions pédagogiques et didactiques dans le but de passionner et de sensibiliser un grand public.