Galerie Ceysson & Bénétière

02 mai. 2023
Galerie Ceysson & Bénétière

Galerie Ceysson & Bénétière, © Rémi Villaggi
Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Fondée, à Saint-Etienne, en 2006, par François Ceysson et Loïc Bénétière, rejoint par Bernard Ceysson, conseiller artistique, la galerie Ceysson & Bénétière s’est implantée par la suite au Luxembourg, à Paris, Genève et New York. Dès leur installation au Luxembourg, en juin 2008 – et même avant, recevant déjà beaucoup d'intérêt alors même qu’ils n’ont à l'époque qu'une galerie à Saint-Étienne –, le Luxembourg a toujours été pour eux un territoire accueillant de par sa vie culturelle et la curiosité et l'audace de ses collectionneurs, « ces derniers nous ont soutenus dès nos premières expositions, et nous avons très vite ressenti chez eux un intérêt sincère, une curiosité et un désir de bâtir des collections sans chercher à être dans le mainstream », expliquent les galeristes pour introduire. En 2014 – grâce à des collectionneurs –, le duo – ou plutôt quatuor avec Arlette Klein et Bernard Ceysson – a l’opportunité de tenter une implantation de leur galerie à un niveau monumental et le succès critique comme financier est au rendez-vous. Ainsi naissent, dès 2015, plus de 1 200 m2 d’espace d’exposition, logés au 13 rue d’Arlon à Koerich, à proximité de la frontière belge. Un tournant pour la Galerie Ceysson & Bénétière qui depuis offre l’un des espaces d’expositions les plus importants de tout le pays. Alors qu’ils montrent l’exposition événement « Ceci est mon corps ... Ceci est mon logiciel ... » de ORLAN, François Ceysson et Loïc Bénétière nous ouvrent les portes de leur histoire au Grand-Duché.

Exhibition ORLAN Ceci est mon corps Ceci est mon logiciel Wandhaff ©StudioRémiVillaggi Courtesy C&B
ORLAN; Ceci est mon corps Ceci est mon logiciel ©StudioRémiVillaggi Courtesy C&B

En 2015, avec pour exposition inaugurale le travail de Bernar Venet, vous ouvrez donc un espace d’envergure après plusieurs années rue Wiltheim, un lieu plus « traditionnel » et fidèle à l’image connue d’une galerie d’art contemporain. Pourquoi développer une telle situation au Luxembourg, sous ce cadre à dimension « muséale », plus que dans l’intimité qu’offre habituellement une galerie d’art ?

Avant tout, nous avons pu ouvrir ce lieu parce qu'il nous a été proposé. Début 2014, nous étions chez des amis collectionneurs en train d'accrocher une œuvre de taille conséquente et avons entamé une discussion portant sur la taille des œuvres que nous présentions et le fait que ce qui nous retenait était simplement le volume de nos galeries traditionnelles comme celles que nous avions à l'époque rue Wiltheim, et que si nous en avions la possibilité, nous étions en mesures de montrer des œuvres, notamment celles de Claude Viallat, beaucoup plus imposantes en taille. Même si elles n’étaient, à priori, pas faciles à vendre à des particuliers, nous rêvions de pouvoir les montrer.

Ces collectionneurs nous ont alors proposé de tester un lieu leur appartenant, resté vide quelques semaines entre deux locataires, pour une exposition temporaire, déjà situé au Wandhaff, mais dans l'autre moitié du bâtiment. Nous avons donc fait l'essai en 2014 d'une exposition d'œuvres monumentales de Claude Viallat, dont certaines n'avaient jamais été montrées. Ce fut un grand succès, tant au niveau des ventes que du nombre de visiteurs. Nous avons découvert que, même si notre localisation au marché aux poissons était idéale parce que très centrale dans la vieille ville, le fait d'avoir un accès facile ici au Wandhaff, proche des autoroutes et avec des places de parking devant, a encouragé les collectionneurs et visiteurs à se déplacer, que ce soit en semaine, un samedi après-midi ou même lors des vernissages.

Galerie Wandhaff vide
Galerie Wandhaff vide - Courtesy Ceysson & Bénétière 

Si nous avons accepté immédiatement cette proposition d'ouvrir un grand lieu, c'est que nous en rêvions depuis longtemps. Nous observions déjà, à l'époque de notre création en 2006, les mastodontes de ce milieu (Gagosian, Pace, Hauser & Wirth, Zwirner). Même si ces galeries n'avaient pas à l'époque l'envergure et les espaces qu'elles ont aujourd'hui, il se dessinait déjà cette tendance de montrer les artistes dans des espaces monumentaux. Nous rêvions de pouvoir les imiter, mais avec le dilemme de devoir, si nous devions avoir des espaces similaires dans des centres-villes, réaliser un chiffre d'affaires conséquent et donc nous limiter à des artistes déjà connus et, malheureusement, chers.

L'idée était donc de pouvoir proposer à des artistes plus jeunes ou à des artistes en « redécouverte » les mêmes espaces que ces grandes galeries, mais sans la charge financière et la pression qui les accompagne. Nous devions donc trouver des lieux dans des endroits un peu excentrés, mais dont la qualité en ferait une destination.

Il est donc essentiel de saluer l'audace de ces collectionneurs qui nous ont soutenus et aidés dans notre installation au Luxembourg. Sans eux, notre présence dans le pays n'aurait pas eu la même importance. Grâce à leur soutien, nous avons pu trouver un lieu capable de séduire de nouveaux artistes tels que Frank Stella ou Bernar Venet, mais aussi de permettre à des artistes déjà présents dans notre « écurie », tels que Roland Quetsch ou Robert Brandy, de montrer leurs plus grands formats. Leur confiance et leur soutien ont été déterminants pour l'évolution de la galerie.

À l’été 2018 vous fêtiez vos 10 ans au Luxembourg. L’occasion pour vous de retracer une décennie d’un modèle de galerie assez unique au Luxembourg, dans son fonctionnement, comme dans ses possibilités de curation, tournées principalement vers les scènes française et nord- américaine. Pourriez-vous nous instruire de votre « façon de faire », signature Ceysson & Bénétière ?

Nous ne savons pas si nous avons réellement une façon de faire... Il est vrai qu'avec désormais quelques années de fonctionnement, nous en savons un peu plus sur ce que nous savons faire, ce que nous aimons faire, et ce que nous n'aimons pas ou ne réussissons généralement pas. Nous pensons que ce qui caractérise la galerie, au sens de l'équipe en général, c'est que nous aimons travailler dans une ambiance quasi familiale, avec une vision au long terme pour tous nos projets, et en règle générale, rester à l'écart des tendances passagères et des modes. Nous aimons particulièrement mettre en avant des artistes dont l'importance est sous-estimée. Et accueillir de jeunes artistes avec la perspective de réaliser de nombreuses expositions ensemble, quelles que soient les fluctuations passagères du marché autour de leurs œuvres.

Nous accordons aussi de l'importance à l'avis de chacun. Quasiment toutes les décisions sont prises de manière collégiale. Maëlle Ebelle et Loïc Garrier, nos directeurs depuis maintenant dix ans, participent à toutes les décisions stratégiques et artistiques. Mais chacun peut aussi proposer des artistes à exposer ou représenter. Maëlle a proposé, par exemple, Stephané Conradie, tandis que Loïc Garrier a proposé Marinella Senatore. Ces derniers temps, à chaque fois que nous avons accueilli de jeunes artistes, nous étions en concurrence avec l'une des cinq plus grandes galeries du monde... Nous ne gagnons pas toujours, mais c'est bon signe !

Enfin, Arlette Klein et Bernard Ceysson nous aident toujours à la fois ici pour les expositions, dans la relation quotidienne avec les artistes, notamment ceux de Supports/Surfaces et ces derniers temps avec les artistes anglais (Phillip King, Alan Charlton, David Tremlett) et sur la stratégie en général. Nous pensons que cette collaboration au quotidien porte ses fruits.

Aujourd’hui, plus que jamais, ouvert au monde via sept lieux d’arts aux caractéristiques bien distinctes, situés à New York, Koerich (Luxembourg), Paris, Lyon, Genève, Saint-Étienne et Pouzilhac (Domaine de Panéry), Ceysson & Bénétière est un empire. Alors, après une pandémie ayant paralysé la planète sous toutes ses strates, et évidemment les galeries d’art contemporain, quels ont été vos rapports avec les pouvoirs publics face à cette crise et comment avez- vous su vous renouveler et surtout survivre à cet événement d’ampleur ?

Ah, si c'est un empire, pourvu que cela dure ! Nous pensons que si nous avons relativement bien traversé cette période, c'est parce que nous sommes loin d'être un empire, mais plutôt quelques petites implantations locales réunies sous une même enseigne. Comme pour beaucoup d’entrepreneurs j’imagine, les premières semaines ont été difficiles. Nous pensions que c'était la fin, que cela avait été une belle aventure, mais que malheureusement, la galerie Ceysson & Bénétière s'arrêtait là. Finalement, plus que les aides des différents États – appréciables et essentielles – où nous sommes installés, ce sont surtout les premiers appels des collectionneurs qui nous ont rassurés après quelques jours ou semaines de panique. La vie a repris et les dossiers que nous continuions à envoyer aux collectionneurs faisaient leur effet. On a même ressenti chez certains collectionneurs une volonté de nous soutenir et de ne pas désespérer, avec l'idée que des jours meilleurs étaient à venir. Donc, finalement, entre les ventes qui ont continué – bien qu'elles aient évidemment diminué – et un peu d'aide, selon les pays, nous avons réussi à faire une année quasiment à l'équilibre.

En revanche, c'est vrai que pour le moral, ça a été un peu difficile. Nous étions habitués à avoir une vie très active en termes de déplacements et de rythme des événements auxquels nous participons : foires, expositions, etc. Finalement, nous nous y sommes habitués. Aujourd'hui, c'est presque le fait de devoir repartir en voyage aussi souvent qui apparaît pénible. Avant le Covid, nous étions arrivés à un maximum d'une vingtaine de foires par an. Aujourd'hui, nous pensons que toute l'équipe serait d'accord pour dire que si nous pouvions en rester à cinq ou six, ce serait vraiment l'idéal, notamment certaines comme la Lux Art Week, qui, bien qu'elle se joue à domicile pour nous, nous donne chaque année l'occasion de rencontrer de nouveaux collectionneurs.

Donc, si on devait analyser ce qui nous a sauvé pendant le Covid, c'est probablement la relation solide et sincère que nous avons nouée avec les collectionneurs et les institutions, et qui les a incités à nous soutenir pendant cette période. L'enjeu serait alors, même si cela peut sembler cliché, de revenir à ce qui fait le cœur de notre métier, et ce qui a probablement convaincu nos clients : organiser des expositions d'envergure, de qualité, avec du temps et des moyens, et bien sûr dans des espaces qui servent vraiment les artistes et leurs œuvres. Le tout en offrant un service maximal aux collectionneurs.

Vous expliquez qu’il n’y pas d’obsession ou de but à multiplier les espaces d’exposition mais qu’« il s’agit de mieux servir nos collectionneurs ». Dans ce sens, comment se ficelle la/les relation/s entre l’artiste, le curateur et le collectionneur au regard de votre programmation passée ?

Nous parlons ici d'espace. Supposons que les fondamentaux qui font d'une galerie une bonne galerie soient à peu près acquis – compétence des équipes, services offerts aux artistes et aux collectionneurs, etc. –. Ce que nous pouvons faire de mieux pour les artistes, les commissaires d'expositions et les collectionneurs, c'est leur offrir un espace à la hauteur de leurs ambitions et, pour les collectionneurs, de leurs attentes. C'est-à-dire que lorsque vous les invitez à se déplacer, c'est pour voir une exposition d'envergure, qui a demandé un travail et un investissement considérable de la part de l'artiste ou du commissaire. Et, en conséquence, offrir aux visiteurs un aperçu, peut-être pas exhaustif, mais en tout cas assez complet du travail de l'artiste, du moins pour la série présentée dans l'exposition. Ce n'est peut- être pas très modeste de le formuler ainsi, mais nous croyons que les dernières expositions consacrées à Frank Stella, Nancy Graves, Yves Zurstrassen ou Phillip King ont rempli ce contrat.

Pour décrire les artistes que vous représentez, vous mentionnez « l’ultime avant-garde de la modernité », comme celle qui aura « ouvert la voie aux artistes des générations suivantes ». Cette jeunesse artistique, française, ou américaine, constitue pour vous « une nouvelle modernité qui ne s’apparente en rien au “modernisme“ achevé ». Qui sont ces jeunes artistes que vous mettez en avant et que présagent-ils pour cet art « d’après » donc ?

Il est très difficile de répondre à cette question. En effet, le texte de présentation de la galerie sur notre site internet a été écrit Bernard Ceysson. Il a réussi, en quelques mots seulement, à définir la ligne de la galerie et à placer des références qui demanderaient certainement dix pages pour pouvoir les expliquer en profondeur, notamment avec la phrase qui suit, où il fait référence à l'exposition d'Harald Szeemann en 1969 à la Kunsthalle de Berne. Ce texte a été écrit dans un contexte où, il y a 10 ans, nous souhaitions mettre en perspective le travail des jeunes artistes américains des années 2000 et 2010, qui cherchaient à sortir d'un art trop sophistiqué, trop design, trop bien exécuté et donc fermé, avec la naissance du mouvement Supports/Surfaces en réaction notamment à l'école de Paris et au groupe BMPT.

Pour le dire avec des mots plus simples, nous sommes sensibles chez les artistes à la volonté de se réinventer, de trouver des portes de sortie ou des nouvelles voies avec le monde qui est le leur, l'Histoire qu'ils ne peuvent pas ignorer, mais avec le droit, peut-être, de reprendre, de citer, voire même de remettre en question le travail des artistes qui les ont précédés plus ou moins lointainement dans le temps. Aujourd'hui, l'affiliation avec Supports/Surfaces des plus jeunes artistes que nous représentons n'est pas forcément évidente et n'est d'ailleurs plus forcément prépondérante dans notre choix d'artistes. Mais chacun d'entre eux nous rend très enthousiastes sur les perspectives que leur inventivité et leur créativité laissent entrevoir. Ils travaillent dans des domaines très différents... Nous pouvons en citer quelques-uns : Lionel Sabatté, Sadie Laska, Rachael Tarravechia, Aurélie Pétrel, Nicolas Momein...

Jusqu’au 13 mai prochain, en votre galerie luxembourgeoise, vous montrez « Ceci est mon corps ... Ceci est mon logiciel ... », une exposition autour des œuvres de la plasticienne transmédia et féministe française ORLAN. Sous le prisme de cette exposition, comment travaille-t-on à la monstration du travail d’artistes « monuments » de l’art contemporain, tel.le.s que l’est ORLAN ?

Le défi avec les artistes de l'envergure d’ORLAN est de réussir à présenter, dans des expositions de galerie – c'est-à-dire sans les moyens et les équipes d'un musée –, toute la diversité, l'antériorité et l'importance de leur travail. Dans cette exposition, nous présentons son travail de 1965 à nos jours, avec des œuvres qui sont pour beaucoup devenues emblématiques et iconiques dans des domaines tels que l'émancipation de la femme, le corps comme sculpture et la technologie. ORLAN a déjà exposé dans nos galeries de Lyon, Paris et New York, et sur nos stands dans les foires de Basel Miami et Frieze London, ce qui a permis à la plupart des membres de notre équipe de bien connaître son travail et aussi de bien connaître Orlan elle-même. Cela fait que, associé aux talents de Bernard Ceysson pour l'accrochage, à l'énergie d’ORLAN, et aux qualités techniques qu'offre ce lieu, il y a tous les ingrédients pour une exposition percutante.

Autour de la success story bientôt bi-décennale de Ceysson & Bénétière, qu’augure le futur pour la Galerie ici au Grand-Duché, comme à l’international ?

Pour le Grand-Duché, nous avons la certitude que nous voulons y rester. Cependant, il n'est pas toujours facile de savoir si les pouvoirs publics ont vraiment envie de favoriser le marché de l'art. Le Luxembourg est souvent perçu comme un paradis fiscal, mais pour nous, c'est actuellement le pays le plus complexe en matière de taxes, notamment sur la TVA à l'importation des œuvres d'art. Nous pourrions développer la galerie de manière conséquente si la législation était plus claire et moins protectionniste dans ce domaine.

Dans le domaine artistique, nous sommes très fiers d'avoir accueilli des artistes historiques tels que Phillip King, Frank Stella ou Nancy Grave. Pour Stella, c'est un rêve de longue date qui se réalise. Il y a sûrement d'autres artistes de la même importance que nous pourrions accueillir dans la galerie. Nous travaillons actuellement sur ce projet et espérons dévoiler de bonnes surprises dans les mois à venir. Au niveau international, nous avons un projet d'ouverture en cours en Asie et espérons qu'il se concrétisera. Nous souhaitons également nous développer davantage aux États-Unis.

Très prochainement, nous inaugurerons notre galerie au domaine de Panéry avec une exposition consacrée à Frank Chalendard. L’événement de l'été dernier était une préfiguration, mais l'espace d'exposition n'était pas terminé. Ce sera donc une véritable galerie qui proposera quatre expositions par an et sera ouverte du mercredi au samedi. En plus de la programmation régulière, les visiteurs pourront découvrir les sculptures installées progressivement dans le parc de 500 hectares. Des œuvres de Noël Dolla, Bernard Pagès, Aurélie Pétrel et Bernar Venet y sont déjà installées. La prochaine exposition accueillera les œuvres de Gloria Friedmann.

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