Fabrizio Maltese - L'invitation

31 jan. 2024
Fabrizio Maltese - L'invitation

Article en Français
Auteur: Isabelle Debuchy

De la rencontre entre le Mauritanien Abderrahmane Sissako (César du meilleur réalisateur pour Timbuktu) et le Luxembourgeois Pol Cruchten, deux cinéastes, sont nées les bribes de scénario d’un film. La mort soudaine de Pol a laissé une telle absence pour l’artiste pluridisciplinaire Fabrizio Maltese qu’il a décidé, en 2022, de mettre en images le projet dont rêvait Pol. L’Invitation est à découvrir, dès ce soir sur nos écrans.

L'invitation

Partant de Saint-Louis du Sénégal en allant à Nouakchott en Mauritanie, en passant par Mata Moulana à Chinguetti, le réalisateur Fabrizio Maltese n’a eu pour seule boussole dans le désert, que quelques notes griffonnées sur le bout de papier que lui ont remis Abderrahmane Sissako et Pol Cruchten et une amorce de scénario : une invitation à boire le thé sur une dune. La nappe bleue sur l’immensité ocre, théière et verres, seules traces de présence humaine, rythment, de fait, le récit en abîme tout au long du documentaire. Ayant accepté de jouer le jeu avec Abderrahmane Sissako, le réalisateur s’est laissé happer par la fascination de Pol lors de son premier voyage en Afrique. Tapis, dos, pieds nus, rideau agité par le vent, autant d’images obsessionnelles, fils et trame de L’Invitation. C’est un documentaire hypnotique, une fiction douce et délicate rythmée par des rencontres qui ont dessiné le chemin, et ces plans fixes sur des visages attentifs et rêveurs, rencontrés au cœur du désert, espace paradoxal et des plus poétiques : une mise en images du rêve de Pol Cruchten.

Votre documentaire n’est-il pas en quelque sorte, un rallye dans le désert, imaginé par Abderrahmane Sissako?

Fabrizio Maltese : Nous étions au départ sur la même longueur d’ondes avec Sissako, mais le jeu aurait pu être dangereux, car il m’a posé sans cesse des lapins et, parfois, dans la brousse, la nuit. Ce voyage ne pouvait pas être simple et linéaire, car le cinéaste avait compris qu’il devait créer de l’instabilité dans une fuite, de l’insaisissable. Ma quête devait être marquée par des fissures et des incertitudes, afin qu’à un certain moment, le film se détache de Pol et devienne ma propre aventure dans le désert.

Avec l’Invitation vous retrouvez un espace cinégénique, qui vous est cher…le désert

Fabrizio Maltese : Le désert est un élément clé dans chacun de mes films, dans sa version réelle ou métaphorique, et est l’un des fils conducteurs utile pour interpréter mon travail. C’est un cadre idéal pour qu'un cinéaste trouve sa voie, raconte son histoire et joue avec ses personnages dans un maelström d'émotions et de conflits. Dans l'Invitation, le désert est un espace claustrophobe par son immensité. En étant placé face à un vaste néant, j’ai été contraint d’intérioriser ma quête et de trouver en moi la force de continuer. Les espaces infinis se sont transformés en un huis clos en redéfinissant les notions de vide, d'absence et d'isolement.

L'invitaion

"Que dire sur L’Invitation en quelques mots ? Voyage, absence, découverte, surprise, quête… "

Quelle est la nature de l’invitation faite aux spectateurs ?

Fabrizio Maltese : Voyager est une expérience qui doit permettre d'acquérir de nouvelles perspectives. Il faut la vivre les yeux grands ouverts. Ce désert est tout à fait à l’opposé de celui dans lequel j'ai grandi - l'Italie -, dans une nature abrupte. Dans la Bible et dans diverses mythologies, le désert est un espace où l’on se rend pour réfléchir. Après avoir été confrontés au néant, nous sommes conduits à interpréter l'apparition d'un ruisseau ou d'un rocher comme une vision prophétique. L'hostilité du désert appelle à une introspection. C'est un environnement qui permet de se recentrer sur l'essentiel et de cesser d'être à bout de souffle. Pendant le tournage de L’Invitation, chaque rencontre, chaque regard était une étincelle, une connexion intense, le regard de Pol qui était l’absent.

L'invitation

"L’Invitation propose un voyage, pas en touriste, un voyage de voyageurs en acceptant la rencontre, la surprise et la découverte, sans craindre de se perdre."

L’Invitation, après votre documentaire I Fiori persi, serait-ce le deuxième volet d’un dytique sur l’absence ?

Fabrizio Maltese : I Fiori persi est sorti avant l’Invitation, mais a été tourné après, au moment du décès de ma mère. Ces deux documentaires sont en quelque sorte concomitants et sont marqués par la pandémie. L’Invitation est un voyage introspectif et spirituel, d'une certaine manière, la géographie n'a pas beaucoup d'importance. Nous avons tourné en Mauritanie, mais cela aurait pu être ailleurs. Le fait est que ce pays nous a résisté, car les conditions de tournage étaient très dures. Ces deux films documentent un monde qui n’existe plus pour moi…J’ai découvert, ce que je ne savais pas.

L'invitation