Fabienne Elaine Hollwege

15 fév. 2023
Fabienne Elaine Hollwege

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Fabienne Elaine Hollwege est une véritable sommité dans le champ des arts du spectacle vivant au pays, comme sur les scènes germanophones voisines. Tout débute pour elle au début des années 90, en lieu et place qu’est le Conservatoire de Luxembourg autour des enseignements du solfège, du violon et du piano, pour que s’en suivent plusieurs années de formation de Trèves à Berlin en passant par Hambourg, couplés à des rôles, aventures et projets dans la musique, au théâtre, à la télévision, comme au cinéma… Dans une logique de découverte et de professionnalisation, Hollwege cherche à associer ses fascinations pour les arts du théâtre, de la littérature, de la musique, et des arts plastiques et s’accomplit alors dans des études d’art dramatique, celles-ci étant pour elle, « un élément de liaison entre les différentes disciplines artistiques ». Au sortir du Hamburger Schauspiel-Studio Frese, elle travaille deux ans à Stuttgart, en tant que comédienne permanente au Theaterhaus entre 2006 et 2008, mais la luxembourgeoise ressent le besoin de trouver de la liberté dans son travail artistique et s’installe alors à Berlin. Là, elle s’intéresse au cinéma, continue d’enchainer les rôles au théâtre et se trouve encore de l’espace et du temps pour stimuler des projets interdisciplinaires avec différents artistes. Puis, sa fille née, et c’est pour elle une expérience des plus marquantes dans sa vie. Un évènement qui la déroute et la pousse à remettre en question beaucoup de ce qui fondait sa vie, tout en se sentant reconnaissante d’avoir pu faire cette expérience « d’être parent, malgré le stress, le manque de sommeil et le fossé entre la famille et le métier d'artiste indépendante ». Un bref résumé d’un parcours amenant des situations différentes donc des sentiments divers également qui logiquement prennent place ou se reflètent dans son dernier projet en date, tiré de son livre To LIVE heißt Leben und Liebe heißt LOVE (éd. Guy Binsfeld, 2022), une pièce baptisé Live, Love and Fragments que Fabienne Elaine Hollwege nous narre en cinq réponses, tel son propre « Kintsugi » japonais…

Formé à l’interprétation théâtrale à Hambourg, tu complètes ton parcours académique par une formation complémentaire axée cinéma, à la Tankstelle Berlin, pour finaliser ton apprentissage théorique et pratique dans le travail de la voix à l'Université des Arts pour Angewandte Stimmanthropologie. Si ta formation d’acting est très complète, jouer c’est aussi incarner et situer donc dans un rôle son propre soi. À quel point ta personne se glisse dans les différents rôles que tu as pu tenir tout au long de ta carrière ?

Ce sont plutôt les rôles qui m'apprennent à être la personne que je suis. Je considère cela comme un privilège de pouvoir me redécouvrir sans cesse à travers d'autres rôles, et donc d'autres modes de pensée, d'autres modèles de comportement, d'autres physiques à travers d'autres époques, de rencontrer des circonstances qui élargissent physiquement et psychiquement mes points de vue et ma compréhension. Incarner quelqu'un d'autre, c'est aussi élargir son propre spectre, être toujours à la recherche de nouveautés, d'une autre expression, d'une volonté de compréhension, d'empathie. Situer son propre soi dans un rôle, peut-être dans ce sens : où sont mes vérités dans le rôle, où sont les éléments qui me relient et comment puis-je comprendre ce personnage dans toutes ses actions, même s'il était le contraire de moi-même ? Ne jamais se sentir « arrivée » est donc un défi passionnant, de sorte que l'on a toujours l'impression de continuer à apprendre, bien que je sois moi-même enseignante.

Après deux années au Theaterhaus de Stuttgart entre 2006 et 2008, ton engagement à la Landesbühne de Wilhelmshaven, et de nombreuses expériences scéniques et cinématographiques, à partir de 2017, tu pars en tournée en Allemagne avec le groupe de cabaret KaTSong. Une façon d’ancrer plus encore ta personnalité artistique dans cette interstice transdisciplinaire mêlant théâtre, musique et cinéma. Une dynamique de création évidemment présente dans ton prochain spectacle Live, Love and Fragments. Créé d’après ton ouvrage To LIVE heißt Leben und Liebe heißt LOVE, publié aux éditions Guy Binsfeld en 2022, peux-tu nous raconter la genèse de ce nouveau spectacle ?

Ce sont des chansons consacrées aux thèmes de l'amour, de la nostalgie, du désir et de la perte que je souhaite mettre en scène, alliés à des textes dont l'accent est mis sur un quotidien avec une famille et qui abordent des sujets peu présents, comme la grossesse, la naissance. Des thèmes qui concernent de nombreuses personnes, mais qui ne trouvent guère de place dans le public. Par le médium « théâtre », j'aimerais combiner ces éléments performatifs de musique, de texte et de vidéo afin de montrer des fragments thématiques et artistiques que le spectateur peut et doit assembler pour lui-même, sous la forme d'images.

Entre théâtre et musique, sous des airs de monologue dramatique et de performance de cabaret, Live, Love and Fragments raconte le quotidien d’une femme traversant narrativement ses bonheurs comme ses malheurs. Que voulais-tu raconter dans ce spectacle, non loin du voyage introspectif pour nombre de spectateurs tant il aborde des thématiques assez universelles ?

Il ne s'agit absolument pas d'une autobiographie scénique, mais plutôt de différents thèmes de diverses femmes qui, reliés par des chansons, peuvent éventuellement devenir un récit. Mais il s'agit peut-être aussi de morceaux de mosaïque, de fragments, d'aperçus de thèmes que le public peut assembler pour former sa propre histoire, son propre « tableau de Kintsugi » – Le Kintsugi est l'art de la résilience, ndlr –.

Il s'agit de désirs et de questions, « comment vivons-nous, où et quoi ? », « qui sommes-nous dans toutes les définitions de rôles et dans les images que nous nous donnons ou auxquelles nous sommes exposés ? » Des thèmes comme la grossesse et la naissance, qui trouvent rarement leur place dans l'espace public et qui concernent pourtant tant de femmes, de familles, sont abordés. Au lieu d'échanger des idées et de transmettre un vécu, des expériences parfois traumatisantes sont répétées, presque taboues, les peurs sont attisées et les insécurités sont renforcées au lieu d'être réduites.

Je ressens le besoin de parler de la vie quotidienne avec les enfants. Peu importe que vous ayez des enfants ou non, la question est de savoir comment nous pouvons trouver de l'espace dans cette vie quotidienne contraignante pour être « libre » ? Et cela, non seulement pour réagir, mais pour agir activement et façonner la vie, en tant que famille, en tant que personne dans une société.

Pour la création au sens propre de ton Live, Love and Fragments, tu t’entoures du compositeur et multiinstrumentiste Pol Belardi, du guitariste Sven Sauber, à la création musicale, du comédien Jonas Vietzke qui signe la mise en scène, et du chanteur Serge Tonnar, qui t’apporte son conseil artistique. Peux-tu nous parler de tes liens avec les membres de l’équipe de création et pourquoi t’être entouré d’eux pour monter ta pièce ?

Il était important pour moi de travailler avec de la musique en direct pour cette production. Comme Sven Sauber et moi nous connaissons du théâtre, et que j'avais vu Pol Belardi sur scène et j'apprécie beaucoup leur travail, je leur ai demandé à tous les deux de m'accompagner dans la représentation. J'avais déjà travaillé quelques fois avec Jonas Vietzke en Allemagne, en tant qu'invité de son théâtre à Hanovre. Il était également mon partenaire de jeu lors de la soirée musicale Love in the Gears, que nous avons jouée au Kasemattentheater, à Stuttgart, Hanovre et Berlin, entre autres. Il est important pour moi de travailler avec des personnes de confiance, que j'apprécie artistiquement, et dont je connais le langage visuel. Jonas travaille de manière pluridisciplinaire et apporte son expérience de réalisateur à l’œil extérieure. Serge Tonnar était déjà là avant que tout le projet ne « naisse » et en tant que membre de la compagnie Maskénada qui a soutenu le projet. Un soutien artistique et une personne de contact pour moi qui était là avant même que le livre ne soit réalisé avec les Editions Guy Binsfeld. J’ai toujours pu aller vers lui avec des questions sur la mise en place des différentes étapes, ce qui est un énorme soutien. Il y a aussi le travail vidéo de Ted Kayumba et la danse de Piera Jovic sous ma propre mise en scène, et mon texte qui a donné lieu à « Maja », un court métrage inspiré de ce projet qui a été tourné spécialement pour cette performance, est intégré comme un fragment thématique.

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Dans ton Live, Love and Fragments, tu poses cette question centrale : « être une femme, être libre, comment ça marche ? ». Cette pièce t’a-t-elle apporté des réponses concrètes, ou peut-être, t’a-t-elle amené vers de nouveaux questionnements ?

La pièce veut ouvrir des espaces, et aborder des problèmes plutôt qu'apporter des réponses. Comme je suis personnellement plus soucieuse de faire une recherche et de poser des questions, j'espère créer des points d'interrogation plutôt que de fournir des réponses. Mais il y a certainement des expériences dont on peut tirer des soi-disant réponses, une forme de sagesse de vie. Néanmoins, je vois dans mon travail artistique des sujets qui ne cessent de s'ouvrir, de remettre en question les conventions sociales, d'examiner les normes, de remettre en question la « normalité » et je serais très heureux si le public pouvait s'immerger dans des images, des éléments performatifs, de la musique, des textes et des vidéos, pour mieux se trouver, et ce afin de constituer un Kintsugi de leurs propres fragments de vie.

 

www.fabienne-elaine-hollwege.de

Au revoir Monsieur

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