Eric Schumacher, où l’art de la construction et de la déconstruction

05 avr. 2022
Eric Schumacher, où l’art de la construction et de la déconstruction

Article en Français
Auteur: Patricia Sciotti

Observateur du quotidien, immergé au Luxembourg dans le domaine de l’art dès son adolescence, Eric Schumacher s’engage dans un parcours traditionnel et ouvre son esprit et son horizon à travers des formations à l’étranger pendant plusieurs années. De retour au Luxembourg, il redécouvre ce pays qui n’est plus celui de son adolescence où l’obscénité du consumérisme et la circulation intensive ont transformé l’image quelque peu idéalisée qu’il en avait. Pourtant, il y trouve sa place, en tous les cas pour le moment car son âme vagabonde n’est jamais bien loin de l’Écosse où il envisage encore de vivre.

En toute humilité, avec presque une certaine naiveté, il semble comme surpris de bénéficier du soutien de l’état pour vivre et développer ses projets artistiques avec sérénité, lui qui a pendant de nombreuses années conjugué sa vie d’artiste et celle de freelance en installant dans des musées les créations d’autres artistes. Eric a les pieds sur terre, il est ancré dans le concret, dans le présent, dans la trivialité de la vie quotidienne. Il est aisé de penser que c’est également grâce, ou à cause de ce présent-là, qu’à travers son art, il élabore des arrangements composés d’éléments du réel et exprime ainsi une vision fragmentaire de la réalité qui éveille notre imagination et notre réflexion…

Thank You (come high go low) 2020 photo: David Brand

Eric Schumacher, Thank You (come high go low), 2020. Photo: David Brand

Quel est ton parcours ? As-tu toujours su que tu seras artiste ?

Tous les enfants sont d’une certaine manière des artistes. À un certain âge, je n’ai pas trouvé ma place dans le système scolaire classique, basé sur la performance notamment dans les matières scientifiques qui m’étaient étrangères. J’ai toujours fabriqué des choses, j’étais à l’aise avec le travail manuel. J’ai alors pris la décision, grâce également à ma mère, d’intégrer les arts et métiers pour faire les quatre ans des beaux arts à Luxembourg. Avant cela, ma vie ressemblait à celle d’un teenager classique, un individu légèrement déprimé avec un intérêt modéré pour les études…

Aux arts et métiers, je me suis littéralement épanoui, j’ai adoré ce que j’ai fait. Le niveau de formation était très haut et offrait une réelle variété mais je m’y suis vraiment retrouvé. Ensuite, il fallait faire un stage et je l’ai fait chez Moritz Ney, un artiste que je ne connaissais pas à l’époque et qui est un personnage extraordinaire ! Il m’a ouvert sur énormément de choses et m’a conforté dans la conviction que je devais continuer sur cette voie là. Comme j’aimais voyager et que j’avais une attirance pour les artistes britanniques, après deux années à Bruxelles, je suis allé à Édimbourg. J’ai intégré suite à un stage d’été le Edinburgh College of Art et j’ai navigué ensuite entre Berlin et Edimbourg pour étudier. J’y suis resté 12 ans et j’y ai encore un pied-à-terre.

 Joyrider 2020 photo: Tania Bettega / Nosbaum Reding

Eric Schumacher, Joyrider, 2020. Photo: Tania Bettega / Nosbaum Reding

Comment s’élabore ta démarche artistique, ces arrangements à la fois libres et structurés?

Ma vie quotidienne est une recherche visuelle perpétuelle, je prends beaucoup de notes, de photos des choses que je vois. Je suis surtout intéressé par l’intervention humaine dans l’espace. Ce que j’observe a un grand impact sur mon œuvre. Ensuite, mon travail dans mon atelier est essentiel, je ne pars pas d’un croquis. Entre la première idée et l’œuvre terminée, il y a une multitude d’étapes, j’essaye et je réessaye, je suis toujours en train de bricoler, de détruire ce que je fais, je construis et déconstruis sans cesse, pour parvenir à l’équilibre. Je travaille avec des matières quotidiennes, des déchets, des matériaux dédiés à la construction. J’ai une approche pragmatique, je pars d’une idée, je pense à une problématique et je dois trouver la solution, le parcours est long pour trouver la résolution…

Comment est née cette façon de concevoir tes œuvres d’art ?

Dès ma formation initiale j’ai compris que j’avais une appétence pour la 3D. Je suis entré dans l’art à partir du dessin mais j’ai toujours détesté le dessin académique et je me suis promis que je ne l’utiliserai jamais dans mon art, il était important pour moi de sortir de cette formalité. Aussi, à Bruxelles, les gens jettent beaucoup de choses dans la rue et il y a énormément de marchés aux puces, on peut y trouver toutes sortes de matières premières intéressantes et c’est parti de la nécessité de créer en collectionant les choses que je trouvais.

/11;11; 2019 photo: Olivier Minaire

Eric Schumacher, /11;11;, 2019. Photo: Olivier Minaire

Peut-on te qualifier de sculpteur au sens classique du terme ?

Techniquement j’ai un savoir-faire assez pointu, je ne suis pas non plus sculpteur, je me qualifierais plutôt d’artiste plasticien.

Comment nait une thématique ?

Je pense qu’il y a toujours un fil rouge entre toutes mes œuvres. Aujourd’hui, je travaille encore sur des réflexions, des idées que j’ai eu il y a de nombreuses années. C’est un questionnement perpétuel. Quand je commence un nouveau travail, je reviens toujours sur quelque chose d’ancien. C’est un peu comme en cuisine où une recette peut toujours être retravaillée pour être améliorée. L’utilisation de l’espace et la présentation d’un travail sont toujours des problématiques sous tendues, c’est un processus continu de réflexion. Il n’y a jamais de résolution finale…

Que représente l’art pour toi ? Le fait de créer, est-ce qu’on peut dire qu’il s’agit toujours d’un acte engagé ?

Je suis assez neutre sur ce que je fais, je ne veux pas faire d’activisme mais j’essaye de mettre en exergue la nécessité humaine, d’inclure des éléments qui font partie des besoins des êtres humains. Les besoins diffèrent selon leurs moyens et c’est pour moi un point de départ. Je m’intéresse au contraste qu’il peut y avoir dans la vie des personnes. Je travaille également sur le contraste de la relation qui existe entre quelque chose de commercial et ce qui est réellement une nécessité. J’essaye de démontrer aussi la dévolution artistique, c’est-à-dire le recyclage de quelque chose qui possède une authenticitée artistique vers quelque chose de décoratif, vers un design de masse ou d’une certaine manière des objets de consumérisme.

ALWS APRT 2018 photo: Rémi Villaggi

Eric Schumacher, ALWS APRT, 2018. Photo: Rémi Villaggi

Quel est le rôle de l’artiste selon toi ?

L’artiste est un peu dans sa bulle. Il tourne dans un contexte social, il donne un point de vue original et je pense qu’on a besoin de plus de culture pour sortir du consumérisme par exemple…

A propos de la notion du beau dans l’art, pourquoi une œuvre fonctionne-t-elle à un moment donné ? 

Le beau est relatif, cela dépend du point de vue de chacun, mais il y doit y avoir une certaine qualité dans les œuvres. Pour moi, une œuvre est terminée quand elle atteint un équilibre entre le message, son interpellation et qu’elle fonctionne visuellement. Si elle me touche émotionnellement. Cela a aussi à voir avec les connections qu’on veut mettre en place, garder une neutralité tout en mettant en exergue une certaine absurdité…

http://ericschumacherartist.com/

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