17 fév. 2022Entretien avec William Cardoso
Alors qu'il vient de présenter sa dernière pièce, Raum, au Trois C-L, le danseur luxembourgeois William Cardoso évoque son parcours, partage ses coups de cœurs chorégraphiques et évoque avec nous les projets auxquels il est en train de travailler.
William, comment t'est venue l'idée de t'engager dans la voie chorégraphique ?
Honnêtement, je n'ai pas de réponse concrète. Je me souviens que lorsque j'étais enfant, pendant que mes parents cuisinaient, je m'enfermais dans la cuisine pour danser sur de la musique commerciale. J'avais pour habitude, en dansant, de poser un tissu sur ma tête pour me fabriquer une longue chevelure... Il y avait aussi un film – je ne me souviens plus de son titre – avec un super-héros aveugle, en costume rouge, qui jonglait avec des épées avant de combattre, sur une musique d'Evanescence. J'étais fasciné par ce personnage, dont j'essayais d'imiter les mouvements et la façon de se mouvoir rapidement dans l'espace.
Je crois que la danse a fini par habiter progressivement mon corps et ma tête. Mes parents, aussi, aimaient beaucoup danser, notamment le rock and roll, à l'occasion de mariages auxquels nous étions invités, et je crois avoir hérité de cette passion. Je pense avoir la danse dans le sang. Après, je crois que tout le monde a un certain sens du rythme en soi. Sauf que, de mon côté, j'ai fait le choix de développer cet art professionnellement.
Peux-tu décrire s'il te plaît ta formation artistique ?
J'ai débuté la danse assez tard, bien que, comme je l'ai précédemment expliqué, cette pratique était déjà bien ancrée dans ma famille. Néanmoins, j'ai dû me battre pour imposer ce choix de faire carrière dans la danse. Je me suis donc inscrit au Conservatoire d'Esch-sur-Alzette pour suivre une formation jazz et classique. J'avais 16 ans lorsque j'y suis entré, et j'y suis resté 4-5 ans. J'ai pris ensuite une année sabbatique pour travailler afin de financer mes études de danse, après quoi je suis parti à Montpellier à Epsedanse chez Anne-Marie Porras.
J'y ai passé un examen d'aptitude technique en danse contemporaine, puis la troisième et quatrième année j'ai intégré la Compagnie Junior de l'école où l'on a pu suivre des workshops avec de grands chorégraphes comme Pina Bausch, Akram Khan, mais aussi toucher au répertoire de la Compagnie dirigée par Anne-Marie Porras. Il y avait aussi des intervenants dont on partageait les créations et avec lesquelles on se produisait à Montpellier. Je suis resté à cette école trois années (2015-2018). Grâce à Anne-Marie Porras, j'ai pu intégrer pendant trois mois la Compagnie d'Olivier Dubois en tant que stagiaire, sur la création de Tropisme en 2019. Si cette expérience n'a pas duré longtemps, car je remplaçais un danseur qui s'était blessé, celle-ci fut tout de même très enrichissante. Partager ce moment de résidence avec ce grand chorégraphe fut un moment exceptionnel.
Puisque tu évoques Olivier Dubois, dont les pièces très originales exigent de la part des danseurs beaucoup de précision, peux-tu nous parler davantage de ton travail à ses côtés ?
Au départ, on ne fait qu'observer. Ce n'est qu'un peu plus tard que l'on apprend les mouvements en rapport avec la pièce. J'ai appris surtout de Dubois, qui est très strict, proche mais aussi distant de ses danseurs, la rigueur du travail, le dépassement des limites... Quand quelque chose ne fonctionne pas lors du processus de création, il le jette et construit aussitôt quelque chose de nouveau. C'est cette façon de créer qui m'a beaucoup inspiré pour mes propres créations. Avec cette forme de rigueur mêlée au plaisir de pratiquer.
© Marco Pavone
Quelle pièce de Dubois t'interpelle en particulier ?
J'adore Tragédie. La nudité des corps, la façon dont ils se touchent. Cet engagement physique et dynamique des danseurs, dans Tragédie, est très militant, ça manifeste quelque chose. C'est sec, dur, lourd à la fois. Il est d'ailleurs en ce moment en train de chercher douze danseurs pour reprendre Tragédie cette année et j'y ai justement postulé... Espérons que ça marche.
Peux-tu retracer les grandes lignes de ton parcours professionnel ?
Après être sorti de l'école, j'ai décroché mon premier contrat auprès de deux performers de Londres, Florence Peake et Eve Stainton, dans le cadre d’une exposition féministe au sein du Centre régional d’art contemporain à Sète (France). Ensuite, il y a eu l'expérience avec Olivier Dubois, puis je suis revenu au Luxembourg, où j'ai travaillé avec Giovanni Zazzera, Jill Crovisier, Sarah Baltzinger. Je suis allé l'année dernière à Madrid pour intégrer la Compagnie d'un ancien danseur de Sidi Larbi Cherkaoui. Dernièrement, j'ai rejoint une compagnie queer, qui défend les droits LGBT, pour le projet Him, Her and It Productions au Danemark. Alors que j'y suis allé pour remplacer un danseur, je me suis vu nominer pour le prix du meilleur danseur au Danemark ! J'ai par ailleurs été engagé dans une ancienne pièce de la Compagnie d'Anne-Marie Porras.
Bientôt va commencer Esch22, capitale européenne de la culture. Qu'as-tu prévu dans le cadre de cette manifestation ?
En tant qu'artiste associé au Trois C-L, je vais présenter, avec Giovanni Zazzera et Sarah Baltzinger, une pièce qui se déroulera dans les Hauts Fourneaux de Belval, à tour de rôle avec trois autres artistes lituaniens associés à la manifestation. On va aussi créer ensemble des workshops afin d'inviter des personnes âgées à mettre en représentation des moments de leurs vies. C'est un projet similaire que l'on mettra en œuvre en Lituanie, toujours dans le cadre de cette coopération artistique entre ces deux pays.
Où en es-tu aujourd'hui avec tes projets personnels ?
Début décembre, j'ai présenté au Trois C-L la première d'un duo (avec Cheyenne Vallejo), intitulé Raum, qui sera repris les 19 et 20 février au côté d'un solo. Raum est né pendant le premier confinement et fait partie de la cellule « Nouveaux Créateurs » du Trois C-L. Je me suis pour cela beaucoup inspiré d'un tableau, Le Cauchemar (1781) de Johann Heinrich Füssli. Sa première ébauche pendant le confinement me déplaisait cependant. Je ne me sentais pas assez proche de ma pièce. Alors j'ai tourné la question différemment en me demandant quels étaient mes peurs, mes propres démons. A l'occasion d'une résidence en Pologne avec le Trois C-L, ce travail a été poursuivi à travers toute une série des questionnements : sur la mort, la dépression, etc. Je crois que, dans la vie, il faut affronter le négatif aussi bien que le positif. Comme je vois la danse comme une sorte de thérapie, il fallait que je parle de ces aspects obscurs de l'existence et c'est ainsi qu'est né Raum, qui est une sorte d'évacuation émotionnelle de ce qui ne va pas dans la vie.
© Marco Pavone
Comment le public a-t-il été réagi ?
Beaucoup de gens m'ont dit avoir eu peur, ce qui se comprend bien par rapport aux thèmes qui y sont développés. J'en suis satisfait, dans la mesure où la peur est une émotion. Quant aux professionnels de la danse, ils m'ont dit avoir appréciés la structure de la pièce, et son rythme. C'est une pièce très engagée, du début jusqu'à la fin. Je suis aussi content que l'on ait pu vendre cette pièce à un Festival de Berlin.
Le Trois C-L a joué un rôle important dans ta carrière ?
Tout à fait. Cette pièce a été réalisée grâce à une bourse qui a été mise à ma disposition. J'ai beaucoup d'amis à l'étranger qui connaissent de grandes difficultés pour produire leurs œuvres. Le Trois C-L est selon moi un excellent tremplin pour aller vers l'extérieur.
Aujourd'hui, ta carrière, tu la vois plutôt au Luxembourg ou à l'étranger ?
Le problème, c'est qu'il est très difficile de vivre en tant qu'artiste au Luxembourg car la vie y est chère. J'ai songé à vivre ailleurs, en France notamment, mais peu importe. Car le principal, pour moi, est de rester connecté à d'autres pays, à d'autres cultures. L'art est synonyme de risque et de lâcher prise, et on ne l'a pas si on demeure toujours au même endroit.
Avant de nous quitter, veux-tu envisager certains de tes projets en cours de réalisation ?
Les 19 et 20 février, je présente un duo et la première de mon solo, Dear Mum. Il y est question des difficultés qui entourent un coming out, de la difficulté à s'accepter. C'est toujours des histoires personnelles que je mets en scène pour que les spectateurs puissent facilement s'y identifier. J'ai essayé d'en faire un documentaire, en rapport avec le système éducatif au Luxembourg. Je trouve qu'il manque en effet des dispositifs de soutien et d'aide concernant la non-hétérosexualité. Avec ce projet, j'aimerais venir en aide aux jeunes – ou aux gens, peu importe l'âge – qui vivent cet isolement.
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