Dräi Eechelen, 10 ans de forteresse, d’histoire et d’identités

02 nov. 2022
Dräi Eechelen, 10 ans de forteresse, d’histoire et d’identités

Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

Interview avec François Reinert

Le Musée Dräi Eechelen – Forteresse, Histoire, Identités fête ses 10 ans à travers une exposition anniversaire « Collect10ns 2012-2022 ». À l’occasion de cette célébration, Culture.lu est allé à la rencontre, dans les couloirs du Fort Thüngen, de François Reinert, le conservateur délégué à la direction du Centre de documentation sur la Forteresse qui gère le Musée Dräi Eechelen. Un homme passionné et intarissable sur son musée, sa collection, sa nouvelle exposition, mais aussi plus largement sur la forteresse, l’histoire du Luxembourg et les identités grand-ducales.

Le Musée Dräi Eechelen a été ouvert le 13 juillet 2012, il vient donc de fêter ses 10. En tant que Conservateur du musée, que représente cet anniversaire ?

François Reinert : Ça représente beaucoup. On se souvient que le projet a été très disputé au début. Il y a eu toute une polémique qui ne nous concernait pas directement – c’était au sujet de notre voisin, le Mudam qui était censé occuper tout le Fort Thüngen –, mais qui a duré un certain temps. Il y a eu ensuite un mouvement populaire demandant la création d’un musée de la Forteresse. Le M3E (NDLR : diminutif de Musée Dräi Eechelen) est donc né à partir de la section « armes et Forteresse » du Musée National d’Histoire et d’Art qui comprenait des plans et des objets historiques de la Forteresse déjà collectionnés à partir du milieu du XIXe siècle, mais surtout à partir du démantèlement de la forteresse (NDLR : 1867). Il y avait déjà une conscience historique à ce moment-là sur l’importance de cette forteresse. Ça a servi de fond de départ, mais il y avait aussi tout plein de manques, des choses en mauvais état ou redondantes, de mauvaises copies, etc. On a fait le tri et mis en place une exposition permanente qui historiquement va de la prise de la Ville de Luxembourg par les Bourguignons, qui a fait entrer le Luxembourg dans la scène politique européenne, (NDLR : 1443) jusqu’à la construction du pont Adolphe, en 1903, qui a marqué l’ouverture vers le plateau Bourbon et le quartier de la gare.

Au moment de l’ouverture on ne savait pas vraiment où on allait, on ignorait si le public allait accepter notre proposition. Mais la polémique a été rapidement enterrée, les gens, habitués à voir le fort en ruines étaient heureux de le voir enfin ouvert, de découvrir qu’il y avait des choses à y découvrir et que le musée remettait sous les projecteurs un passé historique avec lequel tout le monde pouvait s’identifier, les Luxembourgeois mais aussi les nombreuses autres nationalités qu’on a au pays et surtout en ville et au Kirchberg.

Après, il a fallu faire vivre la maison avec différents projets, des expositions temporaires mais aussi avec d’autres types de manifestation, comme des collaborations avec les voisins de la Philharmonie par exemple.

10 ans après, peut-on dire que le projet est une réussite ?

Oui, mais ça prend du temps. Il faut trouver les bonne thématiques pour les expositions temporaires qui reflètent certains aspects de l’exposition permanente et rebondissent sur l’actualité, comme les 150 ans du Traité de Londres qui a décidé du démantèlement de la Forteresse, ou encore la réfection du Pont Adolphe ; mais on a aussi proposé une exposition des plans de la Forteresse qui se trouvent à la Staatsbibliothek de Berlin ou encore plus récemment une exposition sur les légionnaires. Des expositions qui se sont toutes succédées très rapidement sans qu’on ait vraiment le temps de faire le point, de voir ce qu’on a désormais dans notre collection, de réfléchir à pourquoi il est important d’avoir gardé telle ou telle chose et, finalement, qu’est-ce que ça donne. C’est pour ça que pour ces 10 ans, nous avons décidé de faire le bilan sur ces 10 années écoulées. Voir où on en est, si le musée a trouvé sa place dans la scène muséale luxembourgeoise, si sa politique d’acquisition est pertinente et surtout si la transmission des savoirs fonctionne.

« On a eu beaucoup de chance »

Ⓒ Tom Lucas
Ⓒ Tom Lucas

Et cette exposition, finalement que dit-elle ?

Elle dit qu’on a eu beaucoup de chance. Elle montre qu’il y a des pièces essentielles qui sont entrées dans la collection. Elle dit que, au fil des années, on a vraiment pu acquérir des pièces de choix grâce aux relations étroites qu’on peut avoir avec des familles qui détiennent une partie de ce patrimoine luxembourgeois, mais aussi avec des maisons de vente.

 

Dans les missions du musée, il est précisé « le but n’est pas de montrer, mais de raconter et d’expliquer la spécificité de la Forteresse de Luxembourg en ce qui concerne l’histoire de la ville, la formation territoriale du pays et l’identité culturelle de la Nation ». Qu’est-ce que ça veut dire ?

C’est un projet effectivement très compliqué. Au départ ce musée devait s’appeler Musée de la Forteresse, mais il est finalement devenu le musée Dräi Eechelen – Forteresse, Histoire, Identités. Un nom en luxembourgeois avec un sous-titre en français. Le nom montre d’entrée que c’est un musée un peu spécial, situé sur un site particulier, dans un parc ; un lieu convivial. Et le sous-titre est là pour expliquer ce qu’on présente. C’est une suite logique puisque longtemps l’histoire du pays a tourné autour de cette forteresse, aussi bien politiquement qu’économiquement. Il faut bien imaginer ce que représente une forteresse avec une garnison de 6.000 dans une ville, à l’époque, de 12.000 habitants ! Une forteresse et une histoire, faite de conquêtes et reconquêtes qui ont aussi influencé les Identités des gens présentes sur ce territoire.

C’est d’ailleurs la forteresse qui a fait que le pays est resté indépendant, non ?

Si, en partie du moins ! Le Luxembourg est devenu indépendant parce que personne voulait que cette forteresse tombe dans les mains de l’autre. Après, il y a aussi le fait que le pays n’était pas richissime et qu’il n’intéressait pas les puissances autour.

« L’objet ne doit pas nécessairement  être beau, mais il doit avoir une histoire à raconter »

Ⓒ Tom Lucas
Ⓒ Tom Lucas

Du coup, comment fait-on pour raconter et expliquer et pas juste montrer ?

On raconte des histoires. On a un sujet, on visualise alors l’histoire à travers les objets qui sont dans la collection et qui servent d’éléments d’entrée à un récit. L’objet ne doit pas nécessairement être beau, mais il doit avoir une histoire à raconter. Si l’objet est en plus beau, tant mieux. Dans cette exposition anniversaire on a par exemple des portraits des premiers protestants du Luxembourg au XVIIIe siècle. Ça nous permet de raconter toute la problématique de la religion à travers ces personnages. Ces tableaux ne sont pas peints par un grand maître, mais ils ont une valeur historique.

Ⓒ Tom Lucas
Ⓒ Tom Lucas

Ceci dit, les visiteurs, sont souvent attiré par des pièces, soit belles, soit importantes historiquement. Il y a-t-il des pièces maîtresses ? Quelle serait la Joconde du Musée Dräi Eechelen, sa Pierre de Rosette ?

On a beaucoup de pierres, mais aucune de Rosette (rires). Disons que l’incontournable du musée est la maquette en bronze de la ville de Luxembourg réalisée en 1903. Elle est placée de manière à ce que les visiteurs tombent dessus une fois qu’ils ont fait le tour de l’exposition permanente. Elle permet, grâce à son système d’éclairage, de faire un résumé des différentes époques et sert donc de conclusion à la visite. C’est le seul endroit où on arrive à avoir une idée de la taille de cette forteresse. Une fois qu’on saisit les dimensions du fort Thüngen, il faut bien comprendre qu’il n’était qu’un des quelques 20 forts de la forteresse.

Comment imaginez-vous les 10 prochaines années du Musée Dräi Eechelen?

Il y a plein de projets d’expositions. Il faudra, à mon avis, plus mettre l’accent sur la forteresse. On sent un important regain d’intérêt pour celle-ci, entre autres parmi les jeunes générations qui souvent connaissent moins son histoire. L’exposition de l’année prochaine, par exemple, va revenir sur ce qui s’est passé dans la première moitié du XVIIIe siècle, quand le pays était sous domination autrichienne. Il y aura aussi un projet avec la Luga (Luxembourg Urban Garden), sur les jardins de la ville qui découlent, pour la plupart, du démantèlement de la forteresse.

Je vais accompagner ce développement pendant quelques années encore, mais pas encore pendant 10 ans. Mais ne vous inquiétez pas, la relève est déjà prête.

Musée Dräi Eechelen – Forteresse, Histoire, Identités
5, Park Dräi Eechelen Luxembourg-Kirchberg.
https://m3e.public.lu/
Exposition « Collect10ns 2012-2022 », jusqu’au 12 mars 2023. Entrée gratuite.