10 oct. 2023Filmland 10 ans
Voilà dix ans que la zone industrielle de Kehlen voit se succéder les tournages de films et les stars de cinéma dans les studios de Filmland. Si l’anniversaire est passé un peu sous les radars, voilà une excellente occasion de retourner découvrir ce « one-stop shop » du secteur du 7e Art.
C’est en mars 2013 que s’est déroulée l’ouverture officielle de Filmland, le certes petit, mais prometteur Hollywood à la sauce grand-ducale. « Le premier film tourné ici a été Divin enfant, d’Iris Productions, se souvient Nicolas Steil, CEO d’Iris Group et administrateur délégué de Filmland S.A. « C’est pas mal comme titre, pour une histoire de genèse » rigole-t-il avant de poursuivre dans la métaphore religieuse. « Filmland ne s’est pas fait en six jours, il s’est fait en six ans !».
Et le voilà parti dans un long récit racontant la naissance de ce complexe qui regroupe dans un même site : 950 m2 d’ateliers de construction, 2.500 m2 de studios de tournage et plus de 550m2 de loges et de bureaux de sociétés de production, mais aussi de sociétés de post-production pour le son, l’image, les effets spéciaux, ainsi que des sociétés de services en lien avec le milieu cinématographique.
Pour faire court, le début des années 2010, a vu la fermeture des studios de tournage de Bascharage et de ceux de Contern ; qui plus est, le projet étatique de Cité du cinéma à Dudelange semble de plus en plus une chimère qui ne se réalisera jamais, alors que le milieu du cinéma grand-ducal, en plein essor, a besoin de studios où tourner. C’est à ce moment-là que Vic Elvinger, gestionnaire du site de Bascharage et propriétaire de ce terrain tout au fond de la zone industrielle de Kehlen, propose à Nicolas Steil de bâtir ces nouveaux studios de cinéma : « à condition, reprend le producteur, que, en six ans, à travers les loyers des tournages, mais aussi ceux payés par les différentes structures qui vont occuper les lieux, studios, bureaux, etc. il récupère le coût de la construction ». Autrement dit, la bagatelle de 6 millions d’euros. « Il fallait donc trouver un million par an », résume Nicolas Steil. « J’appelle alors tous les amis du secteur, les allèche avec un bon resto et leur fais découvrir le terrain et le projet. Il y avait Claude Waringo (NDLR : Samsa Film), Donato Rotunno (Tarantula Luxembourg), Paul Thiltges (Paul Thiltges Distributions), Lilian Eche (Bidibul productions), Bernard Michaud (Lucil Film) et moi. C’est comme ça qu’on a, tous ensemble, créé la société Filmland SA ».
Tous les métiers du cinéma dans un seul lieu
Depuis, certaines structures sont reparties, certaines ont fusionné, mais d’autres se sont installés également sur place. Sur place, justement, outre le travail de production, outre la création de décors et outre les studios de tournage on trouve : Espera prod qui travaille à la post-production image, Lux Digital qui est spécialisée dans les effets spéciaux, Philophon, société phare dans la prise de son et le mixage, Regielux qui loue du matériel régie pour les tournages et Eye Lite qui propose du matériel caméra, éclairage et machinerie à la location. C’est la complémentarité de ces métiers qui fait de Filmland ce « one-stop shop » auquel tient tant son administrateur délégué.
Malgré cette proposition séduisante, « il y a eu des années très difficiles et les actionnaires ont dû remettre au pot» reconnaît Nicolas Steil, qui en profite pour « saluer Vic Elvinger, qui nous a aussi beaucoup aidés ». Car, le producteur l’explique, si l’existence des studios de tournage profite à tout le secteur national et permet d’attirer au Grand-Duché des projets internationaux d’envergure, « la gestion d’un complexe de studios est, par essence, déficitaire, ne serait-ce que parce que le producteur va toujours rechercher le décor naturel ».
80 films en 10 ans
Quoi qu’il en soit, depuis son ouverture en 2013, ce sont 80 long métrages qui ont été tournés, au moins partiellement, dans les studios de Kehlen ; parmi eux, on compte une quarantaine de « films de studio, avec au moins 80% des scènes tournées en studio, la construction de gros décors, etc.» précise Jérôme Tewes, le directeur des studios.
80 films en 10 ans, ça peut paraître peu, mais en fait, « c’est énorme » lance ce dernier. « Pour le Luxembourg, en tout cas, c’est énorme » corrige-t-il. Le pays compte habituellement une douzaine de tournages de longs métrages par an. Ce qui veut effectivement dire qu’un tiers de ces productions tourne au moins une séquence à Kehlen et que deux tiers passent dans les studios de Filmland la plus grande partie de son temps de tournage au Grand-Duché.
Parmi les films tournés à Filmland : des productions nationales telles que Rusty Boys, Baby(a)lone ou le récent Little Duke, mais aussi de nombreuses coproductions internationales : Tel Aviv on Fire, Egon Schiele, Murer, Deux, Jumbo, A Real Vermeer, Chambre 212, Mary Shelley, Sunset Song, Les Blagues de Toto, Bye Bye Germany ou encore Colonia.
Des tournages prestigieux qui n’ont pas empêché un important déficit. Les actionnaires de Filmland ont alors dû se résoudre à ouvrir leurs espaces à des structures qui ne sont pas nécessairement en lien avec le 7e art et à renoncer pour les tournages, d’abord, au petit studio de 300 m2, puis plus récemment, au studio de 600 m2.
Une nouvelle révolution à venir
Des actionnaires qui se retrouvent désormais face à un nouveau challenge. En dix ans, les technologies ont énormément évolué et si à leur ouverture les studios Filmland étaient à la pointe – avec, par exemple, un green screen en angle de 40m de long pour 8m de haut –, en 2023 ils risquent fort de devenir rapidement obsolètes.
« Il y a une révolution énorme qui arrive pour le secteur, une révolution du même acabit que celle du green screen, c’est le StageCraft » explique l’administrateur délégué. Le StageCraft, autrement dit, un système composé d’écrans LED qui permet de composer le décor de manière numérique, de le visualiser lors du tournage – contrairement à un décor créé en green screen – et ainsi d’obtenir non seulement un décor qui peut évoluer en temps réel selon les mouvements des comédiens – et ainsi faciliter leur travail –, mais aussi d’obtenir une illumination plus directe, plus réaliste et ainsi créer des ambiances plus recherchées dès le tournage. Développée pour la série Disney+, The Mandolorian, cette nouvelle technologie a, depuis, été utilisée pour le tournage de beaucoup de films Marvel ou DC Comics : The Batman, de Thor, de Black Adam, de Ant-Man and the Wasp : Quantumania, mais aussi de The Midnight Sky de George Clooney ou encore de The Fabelmans de Steven Spielberg.
« Aujourd’hui dans le secteur du cinéma, la compétition est internationale. Il faut des décors qui font rêver, c’est pour ça qu’on a absolument besoin du StageCraft » reprend Nicolas Steil. Non seulement il propose de nouvelles possibilités au moment du tournage et il offre un rendu incomparable pour les spectateurs, mais, en plus, « il permet de faire des tournages plus écoresponsables, où il n’est plus nécessaire d’envoyer toute une équipe au Sahara, dans les Andes ou aux Chutes d’Iguazu pour filmer quelques scènes ; avec le StageCraft on pourra composer ces décors numériquement avec un rendu incroyable ». Et d’ajouter : « Avec ça, on peut faire venir le monde entier au Luxembourg ».
Mais cette nouvelle technologie coûte cher. « Il faut acquérir les écrans – 150 mètres carrés mélangés avec de la construction et de l’écran vert devraient pouvoir suffire dans un premier temps –, les logiciels, la régie… mais il faut surtout acquérir le know how » souligne le producteur. Et pour cela les responsables de Filmland en appellent aux décideurs publics. « Nous avons besoin d’une aide étatique pour nos studios, pour couvrir ce déficit récurrent et pour les moderniser » résume Nicolas Steil. Pour lui, les politiques doivent bien prendre conscience que « Filmland sert à tout le monde, à tous les producteurs »; « S’il n’y a plus de studios, ou si ceux-ci ne sont plus à la pointe de la technologie, il y aura énormément de tournages qui ne pourront plus se faire au Luxembourg » conclut-il.
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