Frank Jons, quand la peinture fait corps…

14 juil. 2022
Frank Jons, quand la peinture fait corps…

Article en Français
Auteur: Patricia Sciotti

J’arrive devant l’atelier de Frank Jons, une cellule au 1535 à Differdange où se côtoient artistes et créatifs de disciplines multiples. L’occasion de découvrir son univers artistique, ses influences et sa manière de travailler. Cet artiste dévoile un monde qui lui est propre, une approche de la peinture qui fait véritablement corps avec lui. Frank Jons est un peintre résolument ancré dans ses œuvres.
Son atelier ressemble à sa peinture, vivant, habité presque par les couleurs qui au fil des ans et de ses créations ont envahi les sols et parfois même les murs… Ici, Frank règne en maître, seul avec lui-même, sa musique et sa nécessité de peindre. Ici, se noue une communication primaire comme il dit avec franchise « Je dialogue avec la peinture, parfois elle ne se laisse pas faire, parfois c’est moi qui ne me laisse pas faire, il n’y a pas de gagnant, il y a juste des possibilités… » Échange avec un artiste viscéralement ancré dans ses créations.

Son actualité : une expo jusqu’au 23 juillet 2022 à la galerie Schëfflenger Konschthaus !

Comment as-tu décidé de devenir peintre?
Quand j’étais très jeune, je disais « Je veux être journaliste ou architecte ». Je n’ai suivi aucun de ces deux parcours et j'ai fait des études qui devaient me mener à l'expertise comptable. Je crois que cela ne me passionnait pas vraiment... Je peignais la nuit, mais plus pour les copains et plus en étant inspiré des toiles d'artistes que j'aimais. Et puis un jour, à la suite d'un entretien plus que houleux avec une DRH dans le cadre d’un recrutement pour lequel j’avais déjà rencontré bon nombre de personnes, j’ai dit stop ! Je serai artiste. Ma passion est née comme ça. Petit à petit, elle a pris plus d'importance et lorsque je suis arrivé au Luxembourg, dans les années 2000, cela a vraiment pris de l’ampleur. Pendant une année, je n’ai strictement rien montré, je n'ai fait que créer puis, les belles choses sont arrivées au fur et à mesure.
 

Qu'est-ce qui t'attire dans la création ? Pourquoi crées-tu ?
Parce que c'est une nécessité, c'est une évidence. Si je n’avais pas trouvé ça, je pense que j'aurais mal fini. C’est une catharsis. À un moment donné, il a fallu que je trouve ce qui m’était nécessaire et c'est arrivé comme ça aussi. Il était primordial que je trouve un moyen d'exprimer mes sentiments et les choses qui étaient enfouies au fond de moi-même, pour pouvoir avancer, et c'était la peinture, c’est la peinture.
 

Quel est ton processus de création ?
Aucune séance n’est comparable à une autre. Je peux décider de peindre en journée ou la nuit. Rien n’est prémédité, il y a des moments où je ne peins pas parce que cela ne sert à rien. Comme le dit une artiste que j'adore, Fabienne Verdier « Il y a des moments, il vaut mieux aller écosser des petits-pois ». Et je la rejoins. Non pas qu’écosser des petits-pois, soit une activité moindre, mais parfois, je dois faire autre chose parce que tout ce que j'essaierai de faire sera automatiquement de la merde. Et puis, une séance de peinture cela se déroule toujours avec de la musique, c’est une constante. À fond, il faut que je trouve le morceau qui va me transporter et finir par me fatiguer. Je ne fais pas de croquis préalable, jamais. Il y a un certain nombre d'années, je faisais des croquis et je me suis aperçu que cela bridait mon inspiration. Ma peinture est basée essentiellement, à 99 %, sur mon instinct et donc si je le bride, cela ne peut pas marcher.
Cela peut paraître bizarre, mais je suis assez sensible aux signes, à la synchronicité des choses. Maintenant, avec l'expérience et toutes les directions dans lesquelles je suis allé, je sais à peu près comment je vais peindre et ce vers quoi je veux aller. Et puis il y a toujours des accidents, des accidents qui sont là pour te rappeler qu'il est temps que tu évolues, que tu fasses autre chose…

Nothing else matters - Frank Jons

Nothing else matters - Frank Jons

Que dirais-tu de ta peinture, elle évolue, elle est même en pleine évolution….
Effectivement, dès l'instant où j'ai le sentiment de me répéter ou de me copier moi-même, j'arrête instinctivement. Il faut que je fasse autre chose, sinon je ne peux plus créer… C'est comme quand tu cours, chaque pas est différent, parfois les entraînements sont horribles d'autres fois tout est complètement fluide. Ce n'est jamais la même chose. J'ai décidé aussi de casser un certain nombre de barrières qui étaient dans ma tête. Je crois qu’à un moment donné, quand ta peinture ou ton art a une sorte de succès, tu t'enfermes quelque part en disant que cela va continuer. Et moi, j'aime bien casser les choses justement, me remettre en question. Avec l'expérience et un peu plus de sagesse, je peux tout me permettre, finalement, je m'en fiche. Je ne peins pas pour mon public, qui au fil du temps a toujours été fidèle, m'a toujours suivi et je sais que, au travers de ma peinture, je fais du bien aux gens, on me le dit aussi.

Still a long way to go - Frank Jons

Still a long way to go - Frank Jons

Ce qui est surprenant, c’est que lorsqu’on te voit, tu as l'air tellement zen, presque nonchalant, et ta peinture ne l'est pas du tout…
À voir mon parcours et ma manière de faire les choses, je suis un peu une personne atypique. C’est sans doute la raison pour laquelle certaines galeries n’osent pas présenter ma peinture. Parce qu'elle est trop fluctuante. Elles se demandent pourquoi je crée et moi, je trouve qu'on s'en fiche du pourquoi. Le fait de créer est l'essence même de la vie artistique ! Il faut dire que la visibilité, les foires, je m'en fiche un peu. J'ai eu à un moment donné une très belle visibilité, mais je pense qu’il ne faut pas courir après parce qu’à force de courir, on se perd, on perd l'essence de notre créativité. Du coup, on est dans une sorte de fuite en avant où l’on s'oblige à créer en permanence parce qu'il y a aussi une petite épée de Damoclès et une réalité financière qu'il faut assurer. Donc oui, je suis assez zen, parce que j'ai appris à être zen, ça peut parfois énerver un certain nombre de personnes... Effectivement, récemment, l’un de mes fils m'a dit « Papa, mais avec toi, tout va toujours bien, rien n'est grave ». Il avait du mal à se positionner par rapport à cette vision des choses car la vie n’est pas toujours facile. Je lui ai expliqué que cette attitude était liée à mon expérience personnelle que depuis mon enfance, je cultive une sorte de résilience. Au fond de moi-même, je pense qu'il est plus important d'être dans la zénitude que dans la colère ou dans un dépassement de soi pour écraser les autres. Finalement, j'essaie aussi d'apporter cette zénitude dans ma peinture…
Et puis, comme je le disais, je crois à la synchronicité des choses. Une amie m’a dit un jour, il y a très longtemps, quand je ne peignais encore que la nuit, après mon travail « un jour tu seras peintre », je crois que je commence à le devenir.

Ah bon, tu ne l'étais pas ?
Je crois qu'il y a encore quelque temps, j’avais une peinture très scolaire, qui était très cadrée, qui avait peut être peur d'éclore. Je dirais que maintenant, je vais plus en profondeur et puis l'expérience est là, dans ce que je fais à un moment donné. Tout devient beaucoup plus fluide, il n’y a plus de perturbations. Au moins dans la tête ! Je ne me pose plus ce type de questions : « Est-ce que cela va plaire ou pas ? Est-ce qu'il vaudrait mieux que je fasse telle ou telle chose pour m'adapter ? Est-ce qu'il vaut mieux que je fasse des petits, des grands formats ? Voilà…

La couleur tient un rôle important quand tu la travailles, elle devient matière pourquoi ?
Le premier peintre vers lequel je suis allé et ce pendant très longtemps, c'est Maurice Estève, un peintre de l'école de Paris. Il est décédé, il y a de nombreuses années, mais j’ai vu une énorme rétrospective au Grand Palais en 1986, c’était incroyable ! C’est lui qui m’a vraiment donné envie de me lancer dans la peinture. La couleur a toujours été quelque chose d’hyper important pour moi. Mais la couleur vive celle qui éclate, qui claque ! J'ai une manière très spéciale d'utiliser la couleur, c'est peut-être parfois même irisant, je ne sais pas si c'est le bon terme, ou irradiant ou peut-être même agressif. J’ai besoin d'exprimer cette énergie-là. Si on regarde ma peinture, il y a quand même une couleur qui revient assez souvent depuis un certain nombre d'années. Le rose fluo, certaines couleurs fluo, le bleu aussi peut être le blanc, le noir aussi, mais pas comme une couleur triste, c’est pour moi une couleur de contraste. La peinture, je l'utilise avec gourmandise. Mon atelier est rempli du sol au plafond de ses éclaboussures. Pourtant, je ne force pas le trait pour que mon atelier soit comme ça. Ma peinture n’éclabousse pas pour éclabousser, elle éclabousse parce que cela a un intérêt, c'est au service de ma peinture. Je ne peux pas être derrière, il faut que je sois dedans. Je fais corps avec la peinture, je plonge dedans et je plonge tellement que j’en ai partout. Je ne suis pas dans le show cela ne m’intéresse pas, l’important, c’est ma peinture, elle doit être sur le devant de la scène et moi, je suis plutôt en retrait…

That's it - Frank Jons

That's it - Frank Jons

Comment se déroule une année artistique ?
Je ne sais jamais, je vais là où le vent me porte… Ce qui est important pour moi, c’est d’avoir des véritables relations avec les gens qui ont décidé de défendre ma peinture. Je ne suis pas là pour décorer les murs d’une galerie, cela n’a aucun intérêt. Je veux plutôt construire des relations et je vais plutôt vers des projets dans lesquels je sens qu’il va y avoir une chaleur humaine, que l’on va bien s’entendre. Je pense notamment à l’association What Water qui essaye de lever des fonds pour construire des puits en Afrique en organisant des expos. Si en tant qu’artiste, on peut apporter notre petite contribution, je trouve que c’est important… Et puis, je suis une personne qui a besoin d'être tout le temps en mouvement, alors je fais des trails en montagne, je cours. Cela m’apporte de la sérénité et surtout de l'énergie. Je me connecte à la terre et à l'univers pour aller chercher l'énergie. C’est mon équilibre. Cela apporte quelque chose à ma peinture, c’est sûr. Quand on a un objectif ou plusieurs, parce que je n’ai pas qu’un seul objectif en termes de course et bien cela me permet de tenir. Cela fait partie de mon agenda. Voilà, la peinture, est une passion, cela fait partie de mon ADN, que je le veuille ou non…

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