PAPAYA

17 mai. 2023
PAPAYA

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Le 10 mai dernier, le soleil nous éclatait la peau, encore endormie par l’hiver. À Esch-sur-Alzette se jouait la parade de l’important lieu d’art et de culture que devient la Kulturfabrik au cœur du triangle transfrontalier franco-belgo-luxembourgeois. Là, entre la préparation d’une semaine dantesque arrivante, et garnie du « grand opening » du Kufa Summer Bar le 17 mai, du FlamencoFestival Esch 2023, dans la foulée la veille, et des portes ouvertes de la Squatfabrik #1 tenue par Justine Blau & John Herman, se jouaient les derniers teimps de répétitions du collectif Papaya, logé à la Kufa pour la fin de création de leur spectacle éponyme. À la Kufa, en cet instant, se fixait dans les souvenirs de Jennifer Lopes Santos, melissandre varin, Eric G. Foy, Nina Schaeffer, Shade Cumini, Georges Maikel Pires Monteiro, et Sym Mendez, la consécration d’un projet né au fil de rencontres. En immersion dans une répétition plutôt tranquille de Papaya – calme avant la tempête, imaginons-nous –, nous voilà découvrir un collectif aux puissantes convictions, celles d’une génération qui ouvre le débat pour ne plus jamais qu’il se ferme, comme souvent avant, comme beaucoup ailleurs…

À L’ENTRÉE

À peine arrivé sur le parvis de la Kulturfabrik que déjà, on nous invite à lire une question centrale de l’existence même de ce lieu et de toutes les communautés d’artistes qu’on ne se lasse pas d’observer, « is this art ? ». Voilà plusieurs heures que John Herman est juché sur un rocher, sur lequel est creusé un visage. Entre les deux « rues » de la Kufa, Herman est parti pour un total de 12 heures à faire la vigie ici, sans rien dire, sans boire, ni manger, seulement en posant cette interrogation qui turlupine depuis des millénaires : « Qu’est-ce que l’art ? »… Qui, quand, comment le décidons-nous à l’heure de marchés, et d’industries qui conditionnent la réponse à cette question… Et pourtant, en restant là, assis son cul vissé sur la pierre, à ne rien faire qu’attendre qu’on lui réponde, Herman n’est-il pas lui-même symbole contracté d’une définition pompeuse de l’art ? Habillé de sa tenue paramilitaire, ressemblant à celle des photographes animaliers, couchés des heures dans la boue pour un World Press Award, le performeur guette du coin de l’œil les mouvements de l’entrée du centre culturel qui l’a invité. Et pourquoi ?

Imitant la statue, devenant œuvre vivante, costumé comme à la scène, John Herman ouvre les chakras d’une réflexion qui dépasse largement le monde de l’art. Il parle ici de notre société, et de son état, de sa bonne santé. Car ceux qui se camouflent aujourd’hui ailleurs, plus à l’est de chez nous, n’ont pas le luxe de le faire pour « réfléchir », mais pour survivre. Aussi, la pertinence de son acte est double, à la fois il interpelle sur nos acquis, car l’art est dans nos vies au quotidien, et on ne le voit plus, et en même temps, l’artiste allemand alerte sur la disparition de l’art dans « nos routines », et que deviendrait-on ? Comment poserions-nous ces questions qui nous fragilisent, nous émeuvent, nous touchent au point de flancher, sans la distance que permet la création artistique ? Autant de rebond à ce pour quoi nous sommes venus : le spectacle Papaya, créé lui-aussi dans un viscéral besoin de poser des questions, formuler des réponses, du dialogue entre les humains, en somme…