04 mar. 2024Panoramique des (co-)productions luxembourgeoises au LuxFilmFest
Sous les auspices de l’actrice Vicky Krieps, qui dévoilera lors de la soirée de clôture le film de Viggo Mortensen dont elle tient le rôle principal (The Dead Don’t Hurt), la quatorzième édition du LuxFilmFest (29 février-10 mars) a pris ses quartiers dans le moindre recoin de la capitale grand-ducale. S’il rassemble le meilleur du cinéma mondial, le festival luxembourgeois est aussi la vitrine idéale pour dresser un état des lieux des productions et co-productions luxembourgeoises, tous formats confondus.
Signe de l’obscurité des temps présents, nombre de films sélectionnés dans la section « Made in / with Luxembourg » donnent à voir cette année des destins entravés, brisés, irrémédiablement pris dans les filets de l’Histoire. D’imprévisibles bifurcations frappent alors l’existence de leurs personnages, comme c’est le cas de Rico, dans Kanaval (2023) de Henri Pardo (co-production Wady Films), jeune haïtien contraint à fuir subitement son pays natal pour en rejoindre un autre — le Québec, en l’occurrence — dont il ne connait rien. Alors que sa mère se démène tant bien que mal pour intégrer les coutumes locales, l’enfant se réfugie quant à lui dans une imagination initiatique, grâce à la présence fantasmée d’un guide qui n’est autre que… Kana, la réincarnation d’un esprit vaudou.
Autre récit charriant les différences culturelles, Black Tea (2024, Red Lion) d’Abderrahmane Sissako, compte parmi les œuvres les plus attendues de la « Croisette » grand-ducale. Le cinéaste mauritanien, qui a débuté au VGIK de Moscou auprès de l’illustre Marlen Khoutsiev, s’est illustré dans les plus grands festivals cinématographiques : on se souvient qu’avec Timbuktu (2014), Sissako est devenu le premier cinéaste africain à obtenir un César. Invité du LuxFilmFest en 2019 pour une Master Class et une rétrospective, Sissako est depuis 2022 consul honoraire pour le Luxembourg en Mauritanie.
Le cinéaste réhabilite, dans Black Tea, le pouvoir de déterminer librement son existence, au mépris des conventions et des « on dit » qui empêchent toute possibilité de changement. C’est en tout cas la volonté d’échapper à un ordre social déjà tracé qui a conduit Aya à refuser de se marier pour s’embarquer pour le pays du thé et se délecter de ses raffinements. Une « zen attitude » fictionnelle qui contraste avec la longue entreprise de Wang Bing documentant les transformations néolibérales de la Chine, accomplies au détriment des petites mains ouvrières qui en sont pourtant les acteurs principaux.
Wang Bing, qui fait l’objet d’une exposition (Wang Bing : Memories, Cercle Cité Luxembourg), d’une Master class et d’une rétrospective sélective au LuxFilmFest, présentera le second volet de sa trilogie Jeunesse (Printemps) consacré aux coulisses de l’industrie textile, produit par l’excellente société Les Films Fauves, à laquelle on doit notamment Gutland, thriller nimbé de particularismes luxembourgeois, et bien d’autres propositions esthétiques singulièrement ambitieuses – comme encore récemment avec le baroque et désopilant Conann (2024) de Bertrand Mandico.
Toujours dans la sélection « Made in / with Luxembourg », Les Films Fauves soutiennent également Los Delicuentes, fresque de trois heures signée Rodrigo Moreno. Né en 1972 à Buenos Aires, le cinéaste et scénariste argentin a reçu de nombreux prix, à commencer par Nosotros (1993), court-métrage qui remporta le premier prix du Festival international du documentaire et du court-métrage de Bilbao (Espagne). Il récidivera avec El Custodio, long-métrage récompensé en 2006 du prix Alfred-Bauer à la Berlinale.
Prétextant un braquage de banque, le dernier long-métrage de Rodrigo Moreno s’écarte de ce cliché propre au cinéma de genre pour se déplacer subrepticement vers le mélodrame — penchant mélodramatique auquel incline aussi bien le dernier film de Sissako. On retrouve dans Los Delicuentes certains thèmes de prédilection de l’auteur argentin : des personnages traversant une crise à la fois existentielle, morale et économique (la banqueroute de l’Argentine de 1998 est encore dans les mémoires) et un retour aux sources qui se traduit par la redécouverte de choses essentielles (l’amour, la beauté de la nature). Il suffit parfois d’une rencontre pour faire chavirer un être.
Parmi les quatre autres films de la rubrique « Made in / with Luxembourg », citons encore The Land in Shadows (2023, Respect.lu), drame dont l’intrigue est nouée autour d’un fait divers : la mort d’un chien dans un village luxembourgeois qui va profondément diviser la population. Les problématiques sociales, avec leur lot de préjugés négatifs, y affleurent (la création d’un centre culturel pour réfugiés y fait débat), tout comme dans 15 Years (2023, Samsa Film) de Chris Kraus qui fait suite à Four Minutes (2006), où l’on suit le projet de vengeance d’une femme placée en centre de réinsertion après avoir injustement écopé d’une peine de prison pour un meurtre qu’elle n’a pas commis…
Présidée par l'américain Ira Sachs, la compétition officielle comprend cette année une seule co-production luxembourgeoise. Il s’agit de Terrestrial Verses (2023, Cynefilms), film courageux réalisé dans le sillon du mouvement émancipateur « Femme, Vie, Liberté ! ». Son récit tend en effet un miroir fâcheux au régime répressif iranien, puisqu’il montre les astuces créatives trouvées par la population pour contourner la censure et la charia – la loi islamique appliquée en Iran. Cet hymne aux femmes, et plus largement à toute résistance civile, nous rappelle que la lauréate du prix Nobel de la paix, Norges Mohammadi, est toujours détenue dans les geôles du régime, incarcérée depuis 2021 à Téhéran. Autre façon d’interroger les rapports entre le dehors et l’intimité, Embodied Chorus (2023) est une enquête inédite et intrépide sondant la vie des Libanais et des Libanaises atteints d’une infection sexuellement transmissible. Le film du tandem formé par Danielle Davie et Mohamad Moe Sabbah, particulièrement stylisé, est un prétendant sérieux au prix de la compétition documentaire, présidée cette année par le Français Franck Finance-Madureira.
Lors de la soirée spécialement consacrée aux courts-métrages luxembourgeois, on pourra découvrir des approches très diverses — du poétique It Will not End You de Lucie Wahl à Souvenirs de Katharina Bintz, dans lequel les archives familiales rencontrent l’Histoire du Grand-duché, en passant par L’ombre d’une seconde de Fabien Weibel et The Beast within Us du Luxembourgeois Jonathan Becker. Deux films d’animation sont en outre destinés au jeune public. Produit par la France, la Grande-Bretagne et le Luxembourg, Le royaume de Kensuké est l’œuvre conjointe de Kirk Hendry et Neil Boyle, animateur britannique auquel on doit des films célèbres tels que Space Jam (1995), Les Simpsons (2014) et Tom et Jerry (2019) notamment. Adapté du roman de Mickael Porpurgo, Le royaume de Kensuké est une œuvre virtuose passant de la mer au rivage à seule fin de chanter la beauté, l’harmonie et la prodigalité de la Nature. C'est surtout une façon sensible de transmettre aux plus jeunes générations une conscience environnementale. Il en est de même dans le second film d’animation à l’attention du jeune public, Fox and Hare Save the Forest (2023) de Mascha Halberstad. La jeune animatrice néerlandaise y oppose le milieu sylvestre dans lequel vivent ses deux protagonistes, qui doivent faire face à la disparition de certaines espèces et à des catastrophes imminentes, à celui, placé sous le signe de l’accumulation irresponsable, d’un castor submergé par d’innombrables jouets... Une histoire on ne peut plus d’actualité qui a le mérite d’interroger notre mode de vie, à l’heure où le Luxembourg atteint toujours plus tôt le « jour du dépassement » des ressources terrestres.
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