Le Gueuloir : Synergies transfrontalières

30 juil. 2024
Le Gueuloir : Synergies transfrontalières

© Le Gueuloir
Article en Français
Auteur : Loïc Millot

Directeur historique de la Kulturfabrik mais aussi écrivain, Serge Basso de March est président du Gueuloir, collectif transfrontalier invité les 8 et 9 juillet à participer au Festival d’Avignon. Retour sur les projets de ce collectif et sur cette récente expérience théâtrale soutenue par Kultur LX.

Comment Le Gueuloir a-t-il émergé, à partir de quel constat, de quel manque ou de quelle envie ?

Le Gueuloir a émergé paradoxalement à la KUFA. Un jour, deux auteurs dramatiques lorrains que je connaissais, Franck Lemaire et Maud Galet-Lalande, sont venus me voir avec l’envie de créer un collectif d’auteurs. Je trouvais l’idée originale, puis celle-ci s’est déployée de façon transfrontalière, avec l’appui de trois parrains : Alain Billon, directeur de l’Espace Bernard-Marie Koltès, Jean Boileau, directeur du Nest, Centre Dramatique National (CDN) de Thionville-Grand Est, et moi, alors directeur de la KUFA. Après de premières réunions informelles, nous nous sommes structurés et Le Gueuloir a été fondé en 2018.

Serge Basso © Rémi Villaggi
Serge Basso © Rémi Villaggi

Quelles sont les activités et les différents projets de ce collectif ?

On peut distinguer les actions menées au sein du collectif et celles orientées vers l’extérieur. On est un collectif — ce mot de « collectif » est d’ailleurs très important pour moi — d’auteurs francophones et belgo-franco-luxembourgeois. On compte environ 15 membres, principalement des auteurs dramatiques, dont certains sont aussi auteurs-metteurs en scène et/ou comédiens.

On fait tout d’abord des Gueuloirs privés, lorsque l’un d’entre nous est en cours d’écriture. On se réunit alors dans un lieu culturel pour donner lecture de son texte : notre camarade peut écouter le texte qu’il a lui-même composé. On discute en outre l’écriture du texte, ce qui est également très intéressant pour un auteur. On est présent lorsque le texte est joué pour la première fois, on en parle autour de nous, on communique dessus. D’autres types d’actions ont vu le jour, comme par exemple les Stammdësch qui se sont tenus durant Esch 2022, Capitale européenne de la culture, qui s’inscrivent dans une vraie tradition d’éducation populaire. Pendant une semaine, deux ou trois auteurs du Gueuloir sont invités dans un café, dans des villes où il n’y a pas d’accès aux écritures contemporaines. On se met à une table, on discute avec les personnes que l’on rencontre sur le lieu. Suite à ces rencontres conviviales et toujours surprenantes, les auteurs repartent et écrivent, deux mois plus tard environ, un texte, qui sera joué dans des courtes formes — environ des scènes de 15 minutes chacune. Ces textes sont ensuite remis en voix au sein du café, dans des conditions d’enregistrement professionnelles, par les metteurs en scène et les comédiens. Beaucoup de gens viennent assister au résultat et découvrent à cette occasion les écritures contemporaines.

Ce type d’action démystifie aux yeux de la population les auteurs de la création, si souvent perçus comme des personnes qui seraient loin des réalités… C’est également une expérience enrichissante pour les auteurs qui sont confrontés à une réalité de terrain qui vient parfois « jouer » dans leur écriture. C’est donc une rencontre à double sens. Et puis cela permet d’offrir une représentation théâtrale dans des endroits où il n’y en pas.

Parmi vos activités, il existe aussi la MAAD...

Oui. La MAAD (Maison des auteurs et autrices dramatiques) répond à notre vœu de créer une Maison des auteurs dramatiques. Une maison qui serait bâtie vraiment en dur. Depuis Esch 2022, on a une relation très particulière avec la ville d’Esch et nous souhaiterions pouvoir un jour bénéficier d’une structure transfrontalière, avec des financements transfrontaliers et des reconnaissances institutionnelles à l’échelle de la Grande Région. En tout cas, on a déjà une maison symbolique, puisque, avec la Kulturfabrik pour l’instant, et en attendant le soutien d’autres structures, nous organisons cette année jusqu’à sept résidences d’auteurs. Des auteurs qui viennent pendant quinze jours écrire leurs textes, avec entrée et sortie de résidence. Et lors de la sortie de résidence, nous accompagnons des comédiens et des metteurs en scène afin de faire entendre un texte en présence d’un public invité. 

Le Gueuloir au Festival d'Avignon © Le Gueuloir
Le Gueuloir au Festival d'Avignon © Le Gueuloir

J’en déduis que nombre de vos projets reposent sur de nécessaires partenariats.

La base de nos projets, c’est avant toute chose l’écriture dramatique francophone. Or, on ne veut pas être des auteurs qui resteraient à écrire dans leur coin. Au contraire, on a envie de faire découvrir nos textes, mais aussi de parcourir le territoire, de faire en sorte que cette action du théâtre soit quelque chose qui structure demain le territoire. On est un collectif militant, et non des auteurs qui se regardent le nombril…

Les 8 et 9 juillet derniers, Le Gueuloir était présent au Festival d’Avignon, dans le cadre du Souffle. Comment s’est passée cette première expérience ?

Le Souffle est né à Avignon avec le Covid. À l’initiative du Théâtre du Balcon, qui est l’un des théâtres permanents que compte Avignon, a été créé en 2020 le Souffle. Dans le cloître du Palais des Papes et en liaison étroite avec la programmation « In » du Festival d’Avignon et les théâtres d’Avignon, des lectures d’auteurs dramatiques sont organisées chaque soir. J’avais la chance de bien connaître le directeur du Théâtre du Balcon, puisque la seule fois où le Luxembourg a reçu le Prix de la presse au Festival d’Avignon, c’était un spectacle de la KUFA en 2008 : il s’agissait d’une création de 2007, née dans le cadre de Luxembourg, Capitale européenne de la culture en 2007. 

Il se trouve que l’année dernière, j’étais au Théâtre du Balcon pour une de mes pièces. Lors d’une conversation avec le directeur du Balcon, je l’informe que nous avons un collectif d’auteurs. L’idée d’un collectif l’interpelle. On l’invite au Luxembourg et il est venu nous rencontrer ; il a participé avec l’un de ses auteurs à un Gueuloir et a été subjugué par notre collectif, par la qualité des écritures et notre volonté de faire des choses. Il nous a dit : « Votre idée est complètement folle et elle m’intéresse ; je veux vous inviter à lire à Avignon ». Peu de temps après, il nous rappelle et nous dit : « J’ai mieux à vous proposer : le Souffle, pour deux soirées. » Après concertation au sein du Gueuloir, nous avons décidé d’y aller, mais avec un panel d’auteurs belges, luxembourgeois et français. On a proposé six textes, à raison de trois textes par jour, avec des comédiens et des metteurs en scène différents chaque soir. Nous sommes allés au Souffle et il y avait entre 180 et 200 personnes par soirée, dont de nombreux professionnels — des directeurs de centres dramatiques nationaux, de la région Grand Est, et du ministère de la Culture. Cela a été un très beau succès qui a permis de montrer la qualité des écritures dramatiques de notre Grande Région.

Le Gueuloir au Festival d'Avignon © Le Gueuloir
Le Gueuloir au Festival d'Avignon © Le Gueuloir

 Savez-vous si ce projet se concrétisera par des coproductions ?

Je n’en sais rien du tout. Ces textes ont été entendus, ces auteurs ont peut-être été repérés... Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’on nous a demandé de revenir au Souffle l’année prochaine. Puis le service culturel de la Région Grand Est s’est montré très intéressé par notre structure et souhaite dorénavant nous rencontrer —jusqu’ici, nous n’avons reçu que des financements luxembourgeois. Cela nous a permis aussi de faire notre entrée à la Chartreuse, à Avignon, avec laquelle des pourparlers ont été entamés. Cela a prouvé notre capacité à organiser des choses. Et cette expérience à Avignon nous a beaucoup rapprochés : le fait de se retrouver tous ensemble à Avignon pendant ces deux soirs, avec le succès que l’on a connu, ça a vraiment soudé notre collectif. Enfin, notre financeur luxembourgeois principal, Kultur LX, était présent et a parfaitement compris l’utilité de ce genre de choses. 

Y a-t-il d’autres projets que vous souhaiteriez évoquer concernant Le Gueuloir ?

Nos enjeux, au Gueuloir, sont maintenant de l’ordre d’une structuration financière régulière. On attend d’être davantage reconnus et d’obtenir des subventionnements, car ça coute cher d’organiser des « Souffles ». On a, par exemple, besoin d’un emploi à mi-temps, car cela prend beaucoup de temps d’organiser ces manifestations, d’autant plus que chaque auteur est dispersé sur la Grande Région. L’enjeu, c’est donc la structuration du lieu. Quant à nos projets, et bien, ma foi, ils continuent ! Avec la CCPHVA (Communauté de Communes Pays Haut Val d’Alzette), nous avons trois Stammdësch qui s’étendent sur trois années : l’un en septembre 2024, puis en 2025 et 2026. Les autres enjeux, c’est de faire nos Gueuloirs privés ailleurs que toujours aux mêmes endroits : on a commencé au CDN de Thionville, il faut dorénavant aller dans d’autres lieux de Lorraine pour y rencontrer d’autres structures. Il faudrait réussir à créer des résidences l’année prochaine, ce qui n’est pas simple au niveau financier. Pour résumer, nous sommes dans des enjeux de consolidation et de reconnaissance, en sachant que l’on ne sera jamais rien d’autre que cela : un collectif d’auteurs actif, efficace. Il va bien falloir à un moment donné se disperser, puisque l’on a aussi besoin d’écrire et que l’on est tous des bénévoles.