Johny Fritz, musicien protéiforme

03 fév. 2023
Johny Fritz, musicien protéiforme

Article en Français
Auteur: Isabelle Debuchy

Nul n’est besoin d’être musicologue pour être touché par l’exposition dédiée à Johny Fritz (1944-*), jusqu’au 25 mars, à la Bibliothèque nationale. Une rétrospective grand public saisissante et une immersion hypnotique dans l’univers de cet artiste compositeur et collectionneur.

Sous la houlette de sa commissaire Marlène Duhr, la rétrospective met en relief le talent protéiforme du musicien luxembourgeois Johny Fritz. Cimaises et vitrines : de ses photos aux affiches de concerts, de sa collection d’instruments aux partitions, reflètent la polyvalence de cet artiste. Tout au long de sa carrière, Johny Fritz a pratiqué la flûte, héraut d’un ensemble musical de musique ancienne qui s’est formé en 1976 et interprète d’un registre allant du Moyen-âge à la Renaissance. Son ensemble « Tempus est iocundum » se produisit en concert pour la première fois à Luxembourg en février 1977.

Johny Fritz est aussi le compositeur d’environ trente-cinq œuvres fortement orientées vers la musique moderne française. C’est là que l’on découvre comment cet enfant du grand-Duché a fomenté son écriture « picturale ». Rien n’est plus excitant pour un amateur de musique de tomber en arrêt devant ces partitions et leur pouvoir de séduction. Une légère montée d’adrénaline qui se répète sur la majorité des œuvres qui se déroulent sous nos yeux. Johny Fritz a créé son propre langage musical : « des couleurs pour ses images en mouvement », en expérimentant les formes d'écriture les plus diverses. Ses Mondrianophonies (1973) s'inspirent des tableaux de l'artiste néerlandais du classicisme moderne Piet Mondrian (1872-1944) et d’un mode de notation graphique avec ses couleurs primaires ou complémentaires, ses formes carrées et rectangulaires, créant un rythme ou une densité de sons. Tout aussi intrigante, l'œuvre Pentagramme, une composition ésotérique (1972) plus proche d’une notation conventionnelle et qui sollicite intensément la créativité de l’interprète. Compositeur, musicien et collectionneur, Fritz est impliqué dans la LGNM (Lëtzebuerger Gesellschaft fir Nei Musek) et oscille entre mysticisme et musique expérimentale, entre ancien et nouveau, et combine ainsi des contraires apparents, qui remontent à ses principales activités pédagogiques comme professeur de clarinette et de flûte à bec.

Johny Fritz : « un archéologue musical »

Sa collection personnelle met tout autant en lumière sa vie et son travail. Il détient en effet une vaste collection d'instruments, dont l'accent est mis sur tous les types de flûtes et de rares instruments médiévaux et de la Renaissance. L'attrait de Fritz pour Erik Satie (1866-1925) est le cœur de sa passion de collectionneur et s'exprime dans un examen singulier des œuvres du compositeur français et de son environnement social. Satie a en effet traversé le symbolisme‚ la Belle Époque et la Première Guerre mondiale‚ autant de contextes extrêmement divers et favorables à la coexistence des arts. Sa profonde originalité fut d’élaborer une musique narrative. Il a vécu dans une profonde précarité, comme en témoignent les émouvantes lettres de Satie à ses amis Valentine Gross, Georges Auric, Jean Wiéner et d'autres, collectées par Fritz. Pourtant, la magie opère dès la découverte de la première lettre de Erik Satie, au cours de la visite de l’exposition : au-delà de la beauté formelle du bleu sur laquelle se dessine la fine écriture de Satie, le visiteur capte la tonalité indicible de l’âme du musicien. Au fil du temps Johny Fritz a développé une collection qui s'articule thématiquement autour de la vie du compositeur et de la bohème parisienne : un véritable legs musical.

Cette exposition est une réussite, tant dans la pertinence du portrait qui se dessine en filigrane de Johny Fritz, que dans la scénographie avec notamment la reconstitution de l’univers du « Placard » d’Erik Satie, chambre Montmartroise, dont s’est inspirée Johny Fritz pour la reconstruire chez lui et l'enrichir de pièces de collection autour du compositeur et artiste français.

JF
La collecte de Johny Fritz autour du compositeur français Erik Satie se fait presque par hasard. Fasciné par son langage musical, Fritz s'intéresse à lui au-delà de la musique.
jf
Un organistrum- premier instrument à cordes doté d'une mécanique- construit par Christian Rault, d'après le modèle visible sur la façade de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle
jf
L'Enigma dell'ora. Extrait des documents de Johny Fritz. Johny Fritz s'adonne, écolier et étudiant, à la peinture avec une passion qui influencera durablement son travail de compositeur. Il s'intéresse particulièrement au peintre métaphysique italien Giorgio de Chirico, dont il copiera l’un des tableaux l’Enigma dell’ora.