Michel Fouarge

16 mai. 2024
Michel Fouarge

Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

Michel Fouarge est un homme attachant, un beau gosse qui ne se la pète pas, un garçon qui, en un peu plus d’un demi-siècle, semble avoir déjà connu mille vies. Ancien top model, responsable marketing, product manager, photographe à succès, artiste plasticien, graphiste pour l’édition… il commence, ces dernières années, même à collectionner les prix en tant que comédien et s’est lancé dans l’écriture. Rencontre

C’est en avril de cette année que sa commune de résidence au Luxembourg a remis son Prix culturel à Michel Fouarge. « Une première pour un comédien » précise le lauréat, non sans un certain plaisir. Une reconnaissance surtout pour le natif de Dudelange qui, avant de parvenir dans sa commune du sud du pays depuis la Forge du Sud, a fait plusieurs fois le tour du monde, travaillé pour et avec de grands noms internationaux, mais, comme le dit l’adage, n'a jamais parvenu à être prophète en son pays.

« J'aime le Luxembourg, c'est un beau pays, un pays où il fait bon vivre, on a une bonne couverture sociale, un État qui aide beaucoup sa population » aime-t-il rappeler, mais, ajoute-t-il, « professionnellement, je n’ai jamais travaillé au Luxembourg, ou presque ». Et de préciser : « au tout début de ma carrière de modèle, j’ai été shooté ici, dans les années 90, j’ai fait l’une ou l’autre campagne de pub, mais c’est tout. On ne m'a jamais proposé un job de photographe à Luxembourg. On ne m'a jamais proposé de devenir acteur à Luxembourg » regrette-t-il sans amertume.

Pourtant, pendant ces trois dernières décennies, il en a fait des choses remarquables, cet ancien enfant de la DDASS qui a passé trois ans et demi en foyer avant d’être adopté. Si, aujourd’hui encore, il ne tient pas à révéler le nom de son père génétique – « je suis le petit-fils d’un homme très connu au Luxembourg » précise-t-il sans en dire plus – il est dithyrambique sur ses parents adoptifs : « ça a été la révélation pour moi ; À trois ans et demi j'ai enfin connu une famille et l'amour. Mon père était un homme très intelligent et posé, à haut poste aux Communautés Européennes, ma mère était médecin. Ils ont pris tous deux magnifiquement soin de moi. C’est grâce à eux que j'ai pu faire le parcours que j'ai fait ».

Après une scolarité en français terminée à l’Institut Sainte-Marie d’Arlon, Michel Fouarge commence à poser pour quelques shootings photo. « C’est Yves Kortum qui m'a dit, "viens, on va faire des photos". Et, moi, j’ai trouvé ça sympa ». Il est à peine majeur quand il se fait repérer par un dénicheur de talent, à Liège, qui lui dit, « tu as un physique, tu ne veux pas devenir  mannequin ? » Il refuse. « Pour moi, les mannequins, c'étaient des femmes. À l’époque, je n'avais jamais fait gaffe au fait qu'il y avait des hommes mannequins. Ça ne m'était absolument pas venu à l'idée. Et puis, j'étais très complexé à l'époque. Mais le type a insisté, alors j’ai accepté de faire quelques photos, pour moi. Quelques semaines après, j’ai reçu une lettre d’une agence de Bruxelles qui me demandait de passer les voir, parce qu'ils avaient vu les photos. Comme ma copine de l’époque voulait faire du mannequinat, on y est allé pour voir, avec un peu d’appréhension ».

Des premiers castings réussis, lui font entrevoir une possibilité de gagner un peu d’argent ; à 18 ans, ça ne fait jamais de mal. On lui propose alors de se rendre à Paris, dans une grande agence. Mais là, c’est la douche froide. Le directeur le trouve moche et coupe court à son entretien après deux minutes à peine. Ce sera ensuite l’Allemagne et alors que le garçon pense tout arrêter, il décide, de se donner une toute dernière chance à Milan, capitale italienne de la mode. Il se donne quatre jours pour réussir, sinon, il changera de métier. Après de nombreux refus et lors de son dernier jour sur place, on lui parle d’un casting organisé par Giorgio Armani. « Il y avait 700 candidats, ils en ont pris quatre ; j’étais un des quatre » se rappelle-t-il.

Sa carrière décolle ; on se croirait dans un film. « J’ai pu le faire parce que mes parents me soutenaient. C'est eux qui m’ont donné le courage d’essayer ». Et ils ont eu bien raison. Il travaillera alors pour l’agence Vogue, foulera les plus grands catwalks d’Europe, travaillera pour Prada, Gucci, Armani, Gianfranco Ferré, Kenzo, Calvin Klein… et commence à croiser des méga-stars de la mode comme Kate Moss ou Naomie Campbell. Et comme il faut une tête bien pleine pour accompagner un corps bien fait, il reprend, en même temps, des études en cours du soir. Il deviendra ainsi responsable de la production et du marketing de Comstock Images, une des principales banques d’images au monde de l’époque.

De quoi gagner assez pour toute une vie si cela s’était poursuivi pendant plusieurs années. Mais la vie, justement, en a décidé autrement. En 2002, il est victime d’un accident de la route à Steinsel. Il s’en sortira avec « huit fractures, dont trois vertèbres, la main avec une double fracture oblique ouverte, le pied retourné… » Il lui faudra deux ans de rééducation et il restera handicapé à vie – à 50 %, précise-t-il – même si cela ne se remarque nullement au premier abord.

Fini les défilés. Trimballé d’hôpital en hôpital, bloqué sur sa chaise roulante, il est sauvé par les médecins, certes, mais aussi par son caractère de battant. « Ou je restais dans ma chaise roulante ou je me battais » note-t-il. « J’ai décidé de me battre et de trouver un but à ma vie ». Ce sera tout d’abord la photographie. « Il a plein de photos que je voulais faire quand j’étais mannequin, mais je n'ai pas pu. Je me suis alors dit que j’allais désormais les faire en tant que photographe ».

Alors qu’il y atteint la trentaine, il y va au culot, au feeling – « Je regarde le modèle. Je regarde l'angle. Je regarde comment il capte la lumière. Le mannequin me l’a quelque part appris» – et ne compte pas ses heures de travail. « Mon père m'a offert un appareil photo et un ordinateur. Pendant 5 ou 6 ans, j'ai passé quelques 10 heures par jour sur Photoshop à apprendre seul ».  Il fera des shootings de mode, de pub, de sport. Le garçon a l’œil, et ça plait. Il travaille pour des magazines de mode, des campagnes publicitaires… Son plus grand coup ? Avoir été sélectionné par la Fédération Française d’Escrime pour immortaliser ses athlètes à l’occasion des Jeux Olympiques de Tokyo.

© Mandy Raach

L’homme sait faire poser ses modèles, hommes ou femmes qu’ils soient, avec plus ou moins de vêtements… Mais il aime aussi immortaliser les animaux, la nature, les couchers de soleil... « Je cherche la beauté. Pas nécessairement physique, la beauté de l’instant » précise-t-il.

Une recherche de beauté qui le pousse à devenir également artiste plasticien. Si ce touche-à-tout a d’abord commencé par le dessin dans un style Fantasy, il se tourne rapidement vers la création sur ordinateur et lance sa série Ab-Nihilo. « Je voulais un truc intemporel, pas sexuel, pas religieux, qui parle à tout le monde. Je me suis donc intéressé à la cellule, à l’infiniment petit qui finit par faire de l’infiniment grand ». Un travail d’orfèvre où chaque minuscule rond est divisé en quatre couleurs. Mis les uns à côté des autres, selon la variation de ces couleurs, l’ensemble crée des formes, plus ou moins abstraites ou concrètes.

Une technique complexe, chronophage – « il me faut quelques fois des mois pour faire un tableau » – qui lui aura pris près de 10 ans à maitriser. Une technique particulière qui lui vaudra néanmoins quelques belles expositions, une côte de plusieurs milliers de dollars pour un tableau de 2 mètres carrés, mais qui, de propre aveu de l’artiste, semble dépassée depuis l’arrivée de l’intelligence artificielle dans le milieu artistique.

Pas bien grave ; désormais cinquantenaire, Michel Fouarge ne cesse d’ajouter de nouvelles cordes à son arc. Il s’est d’abord lancé dans le graphisme pour la série de romans Fantasy Alvion de Daniel Thiering, dont le premier tome est sorti en l’an 2020, puis s’est lancé lui-même dans l’écriture d’un livre de vampires qui devrait voir le jour, d’abord en autoédition, dans les prochains mois. « J’ai passé huit années dans les bibliothèques pour faire des recherches sur la matière, puis trois ans à l’écrire ».

Et comme si cela ne suffisait pas – « J'aime dormir, mais je n'ai pas le temps » lance-t-il avec le sourire –, ce père de deux enfants a, ces dernières années, commencé également une carrière d’acteur. Depuis quelques années, il multiplie les tournages, en Europe et en Asie, principalement de courts et moyens métrages. L’un d’eux, Existence de Jérôme Jacob, lui vaudra même le prix du « Best supporting actor » dans un court métrage au dernier Seviff festival de Seville. De quoi le faire remarquer par sa commune qui lui a donc remis son Prix pour le mérite culturel le 17 avril dernier.

De quoi rassasier l’artiste ? Le penser, serait bien mal le connaître. Michel Fouarge poursuit son chemin artistique hors du commun. De nouveaux projets de films sont signés et l’homme pense très sérieusement à se lancer dans la production cinématographique, pour parvenir à financer des projets personnels. Son premier long métrage devrait être tiré de son propre roman. Il ne serait pas surprenant de le voir même passer derrière la caméra à cette occasion. Une nouvelle manière de poursuivre son fabuleux destin.

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