Letizia Romanini

26 jan. 2023
Letizia Romanini

Article en Français
Auteur: Loïc Millot

Originaire de Esch-sur-Alzette, Letizia Romanini compte parmi les principales représentantes de la scène luxembourgeoise des arts plastiques. Installée entre Strasbourg et le Grand-Duché, la jeune femme revient sur sa formation auprès d’Edith Dekyndt, son rôle auprès de l’AAPL et du ministère, ainsi que ses participations, passées et à venir, à des manifestations luxembourgeoises.

Vous êtes passée par l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Strasbourg ; en quoi a consisté cette formation, que vous a-t-elle apporté ?

J’ai fait toute ma scolarité au Luxembourg puis j’ai voulu intégrer par la suite une école de design textile. Finalement j’ai intégré l’université de Strasbourg que j’ai suivie jusqu’à la Licence. Jusqu’à ce que je m’aperçoive que l’enseignement y était trop théorique à mon goût. C’est là que l’Ecole des arts décoratifs de Strasbourg m’a intéressé, notamment pour son option textile dirigée par Edith Dekyndt. Animée par un réel besoin d’être au contact de la matière et de la création, plutôt qu’être dans l’analyse de l’œuvre, j’ai intégré cet atelier très ouvert dans lequel les matériaux souples n’étaient qu’un prétexte à créer des œuvres qui n’étaient pas toujours forcément en lien avec le textile. C’est à ce moment-là que j’ai délaissé le textile mais en recourant à beaucoup de choses filigranes dans mes premières installations : par exemple des fils de nylon pour pouvoir déployer un dessin dans l’espace, telle une écriture spatiale ; ou encore des cheveux, qui sont aussi une matière filigrane, mais aussi des fils scoubidous pour obtenir des choses plus épaisses et faire des essais avec des lumières à la façon d’hologrammes et où le spectateur a un rôle actif puisque, en fonction de son déplacement, celui-ci a une autre perception de l’installation. Peu à peu, je me suis défaite du textile pour faire des choses plus installatives et dans des formes assez ténues, de l’ordre de l’impalpable. Je ne suis pas dans la grandiloquence : les formes que je travaille sont placées sous le sceau de la fragilité.

Letizia Romanini
©Maurine Tric

Quel apport ou influence a pu avoir sur votre sensibilité l’enseignement d’Edith Dekyndt ?

Edith a essayé de dépoussiérer une vision quelque peu ancienne sur la façon dont on pouvait utiliser le textile dans les arts. Même si je ne m’en suis pas rendu compte sur le moment, il y avait une finesse, une façon de travailler qui était clairement influencée par les références qu’Edith pouvait nous transmettre.

Quelles étaient ces influences justement ?

En rapport avec mon travail avec des fils, Edith m’a renvoyé vers les Brésiliennes Lygia Pape, qui travaille avec du fil et Lygia Clark qui créée des performances où elle se relie aux autres avec des fils ; il y aussi Fred Sandback, qui fait aussi des installations très minimales avec des fils de fer posés de façon très délicate et qui esquissent un volume dans l’espace. Je songe aussi, pour le geste qui a toujours eu une grande importance dans mon travail (un geste souvent répétitif, lié à une forme de labeur au sein de laquelle est ménagée une sorte de décélération), à Gabriel Orozco. J’avais réalisé une installation pour la date-anniversaire du Casino-Forum contemporain (Luxembourg), intitulée Ceci n’est pas un casino, dans laquelle un anneau de basket était relié à un filet que j’avais fabriqué avec de la laine mohair ; Edith m’avait conseillé de me familiariser avec le travail de David Hammons. A chaque fois, c’est le concept qui prime sur la matérialité ou l’objet en soi.

Le Luxembourg occupe une place importante dans votre vie. Vous êtes tout d’abord née à Esch-sur-Alzette, où vous avez aussi grandi. Or, on sait combien l’industrie a été importante dans cette région. Est-ce que ce patrimoine industriel a eu une influence sur votre sensibilité et pour votre création ?

Au cours de mes premières recherches à l’université, j’avais mené un travail photographique et mon investigation avait porté sur la zone aujourd’hui nommée Rout Lëns. De l’appartement où j’habitais avec mes parents, j’avais une vue sur les hauts-fourneaux et sur les tuyaux d’acheminement qui faisaient partie du paysage et qui ont été depuis démantelés. Ce sont des éléments sculpturaux qui m’ont accompagné et qui sont devenus, à la longue, familiers. Pour ce premier projet dont le sujet était libre, je me suis aventurée sur ce territoire.

Récemment, il y a eu comme un retour aux sources avec un projet au long cours que j’ai entamé en 2021, par le biais du programme Neistart du en lien avec le ministère de la Culture. Pour cela, j’avais envie de développer un projet en rapport avec ma sensibilité, de l’ordre de l’inframince, du petit, du banal, du quotidien. Tout en étant en lien avec le territoire particulièrement poreux et interconnecté aux transfrontaliers qui y transitent. Je me suis demandé comment se matérialisait concrètement le changement de territoire en termes de paysages, d’un pays à l’autre, en l’occurrence de la France, de la Belgique, de l’Allemagne et du Luxembourg. J’ai entamé un travail qui a consisté à faire une boucle du Luxembourg à pied, en autonomie, avec un sac à dos, de bonnes chaussures et une tente légère, et un appareil photo numérique au moyen duquel j’ai essayé de saisir le paysage par des captations et des prélèvements photographiques à la façon d’une exploratrice. On redevient assez humble dans la marche.

C’est aussi au Luxembourg que vous avez reçu votre premier prix en 2009 (Prix Révélation, Salon du CAL). C’est un encouragement qui a dû vous toucher j’imagine ?

Oui, c’était l’année même où je finissais mes études. Vous savez, quand on sort d’une école, il y a comme un « saut dans le vide ». Cette récompense m’a fait du bien : elle m’a conforté dans mon choix de métier.

Puisque vous avez évoqué le Ministère, vous êtes aussi membre de l’AAPL (association des artistes plasticiens luxembourgeois) et à ce titre vous siégez au sein d’une commission et êtes consultée par le ministère de la Culture.

Oui, il y a des commissions qui sont mises en place par le ministère de la Culture pour l’obtention du statut d’artiste indépendant et du statut d’intermittent du spectacle. Il y a les premières demandes et des reconductions. Il y aussi des bourses permettant de développer des travaux et des nouvelles recherches pour tendre vers de nouvelles matières. Par exemple, si on veut se former à un nouveau medium ou à une nouvelle technique, le ministère peut alors débourser des sommes à cette fin. Tous les trois mois, des dossiers sont examinés.

En quoi consiste l’AAPL et est-ce important pour vous de travailler au sein d’un réseau et en étroite collaboration avec le Ministère ?

Le but de l’AAPL est de fédérer les besoins des artistes ainsi que de répondre aux contraintes liées au métier, comme être représenté et porter notre voix auprès du ministère. En ce moment, il y a différents groupes de travail qui se penchent sur le droit d’auteur, les barèmes, la rémunération… Autant de choses qui sont pour le moment en devenir au Luxembourg. L’association sert à recueillir des doléances, à identifier des besoins pour les faire remonter pour que le métier soit plus aisé et que l’on ait accès à plus d’informations.

Que regard portez-vous sur la scène luxembourgeoise des arts plastiques ?

Je suis contente de la scène et de la façon dont on arrive à se soutenir les uns les autres, sans que chacun tire la couverture à soi. Il fut un temps où les possibilités n’étaient pas là ; au moment où je terminais mes études en 2009, le Mudam était à peine ouvert depuis 3 ans. Aujourd’hui il existe aussi le Casino Display, qui permet de rendre visible le travail de jeunes artistes.

©Maurine Tric
©Maurine Tric

Vous avez participé en outre à la Luxembourg Art Week (LAW) en 2021. Quel souvenir en gardez-vous et quel regard portez-vous sur cet événement ?

C’était une participation par ricochet, dans le cadre de la LAW, les Ateliers Lumières avaient jugé pertinent de se greffer à cet événement pour faire des portes ouvertes. C’était donc judicieux pour nous de le faire à ce moment-là, car beaucoup de gens participent à cet événement et découvrent la scène artistique. C’était aussi un excellent moyen de rencontrer ses voisins d’ateliers et de découvrir leurs pratiques. Concernant la LAW, je trouve que tout le travail fourni par Alex Reding depuis des années est un moteur précieux pour la scène artistique luxembourgeoise.

Souhaiteriez-vous aborder quelque chose que nous n’aurions pas évoqué au cours de cet entretien ?

Oui, il y a deux projets que je mène en parallèle. Une exposition solo à la galerie Nei Liicht de Dudelange, qui sera une sorte de restitution de mon tour du Luxembourg à pied. Des 650 clichés que j’ai produits au cours de ce tour, il y aura aussi un recueil qui prendra la forme d’un livre grâce entre autres à une bourse du CNA. A part cela, je vais ce week-end à Paris pour une formation de marqueterie de paille et peaufiner ma technique.