Gary et Jean Muller

25 jan. 2023
Gary et Jean Muller

Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

Gary et Jean Muller sont père et fils. Ils sont tous deux pianistes, tous deux enseignent ou ont enseigné le piano au Conservatoire de Luxembourg. Ils partageront, ce dimanche 29 octobre, la scène du CAPE d’Ettelbruck dans le cadre du festival Piano+ dédié, cette année au pianiste, chef d’orchestre et compositeur hongrois, Franz Liszt (1811–1886). Interview croisée des deux artistes, au sujet de leur relation, leurs ressemblances, leurs différences mais également l’image qu’ils ont de Liszt et de sa musique.

Un concert à deux, ce n’est pas une première en ce qui vous concerne, mais est-ce que ça reste quelque chose de spécial de jouer en famille ?

Gary Muller : Oui, c’est toujours quelque chose très spécial de jouer avec mon fils. La première fois il n’avait que 14 ans, on avait fait un concert en trio, avec mon père en plus. C’était un concerto de Mozart pour trois pianos et orchestre. J’avais trouvé ça très émouvant, et ça reste toujours émouvant quand on joue ensemble.

Jean Muller : Ça remonte donc à près de trente ans désormais qu’on a joué pour la première fois ensemble. Pour moi aussi ça reste quelque chose d’émouvant, surtout avec les années qui passent. Ça crée des souvenirs très forts car il n’y a pas seulement les émotions musicales, mais aussi le lien familial. Ça reste, à chaque fois, vraiment gravé dans ma mémoire. Là, on n’a plus joué ensemble depuis quelques années, la dernière fois c’était en 2019, à l’occasion du départ à la retraite de mon père, je suis donc vraiment ravi qu’on puisse, enfin, retrouver la scène ensemble. D’autant plus avec une pièce avec laquelle on peut vraiment prendre beaucoup de plaisir en l’interprétant.

Du coup, Jean, un concert avec votre père, ça ne vous donne pas l’impression d’avoir votre premier professeur constamment par-dessus votre épaule ?

Jean Muller : Avec le temps, je n’ai plus cette impression … (ils rient)…

Gary Muller : Je confirme, avec le temps, mon autorité a disparu. Notre relation musicale désormais est avant tout régie par une relation d’amitié et de compréhension mutuelle.

Jean Muller : Absolument.

« Pour un professeur, c’est un grand honneur quand l’élève le dépasse »

Le programme du CAPE précise, après avoir énuméré vos études : « En dehors du cadre universitaire son père et mentor Gary Muller, professeur de piano au conservatoire de Luxembourg, influence son développement musical d’une manière décisive ». Pouvez-vous nous préciser cette « influence » et cette « manière décisive » ?

Jean Muller : Je crois que c’est avant tout au niveau du suivi que ça se joue. Avec les autres professionnels, il n’y a jamais eu un suivi aussi proche et aussi durable, ce qui est tout à fait compréhensible. Avec mon père, à un certain moment, on a travaillé ensemble quasiment tous les jours. Sans oublier qu’on a écouté énormément de musique ensemble pendant de longues années. Tout cela fait que notre relation va plus loin que celle qu’on pourrait avoir un professeur classique.

Gary Muller : La musique, pour nous, est une passion commune. Elle nous a permis pendant de nombreuses années de discuter, de réfléchir… C’est effectivement une relation assez spéciale.

Pianistiquement parlant, en quoi vous ressemblez-vous et en quoi êtes-vous différents ?

Gary Muller : Je ne vois pas de grandes différences entre nous. Je trouve qu’on a une vision assez commune de la musique et du piano. Ni l’un ni l’autre n’avons, par exemple, un compositeur vraiment préféré ; on a tous deux un grand amour pour beaucoup de choses très différentes. Il y a des pianistes qui préfèrent Chopin, Liszt, Beethoven ou encore Bach ; en ce qui nous concernes, c’est très diversifié. C’est assez spécial cette approche de la musique et quelque chose que nous partageons.

Jean Muller : Il peut y avoir des différences dans des détails entre nous, mais il y a clairement nettement plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous séparent.

Et si je vous demande lequel des deux est le meilleur pianiste, que me répondez-vous ?

Gary Muller : Je réponds que, pour un professeur, c’est un grand honneur quand l’élève le dépasse. 

Liszt, « un personnage très inspirant »

Franz Liszt
Franz Liszt

Parlons du festival, il est cette année dédié à Liszt. Que représente-t-il, et que représente sa musique, pour vous ?

Gary Muller : C’est un type très spécial. Il a écrit une musique, en même temps très virtuose et très profonde. Malheureusement pour lui, ce n’est que mon avis, il était très mauvais dans le marketing. Il savait très bien se vendre en tant que virtuose, tout le monde était d’accord là-dessus, c’était le meilleur, mais dès qu’on lui parlait d’un autre compositeur, il disait : « il est bien meilleur que moi ». Ça a, un peu, fini par faire du tort à son œuvre. Heureusement beaucoup de monde le joue toujours, mais je pense que ses qualités en tant que compositeur restent trop méconnues. C’est l’exemple de la pièce que nous allons jouer au CAPE. Certains ont pu dire qu’elle était nulle, qu’il n’y avait pas de thème et que la fin était trop kitch ; mais ce n’est pas du tout le cas. C’est, au contraire, une pièce maîtresse. Dans l’esprit du public le pianiste a pris le dessus sur le compositeur alors que c’est vraiment un compositeur remarquable. Pas comme Paganini (NDR : Niccolò Paganini, violoniste, altiste, guitariste et compositeur génois né en 1782) qui était un véritable virtuose mais un compositeur très médiocre. Liszt était, par ailleurs, admirable comme professeur – et c’est quelqu’un qui a enseigné pendant 50 ans qui le dit – parce qu’il soutenait tout le monde, tous ses élèves, pas seulement les extraordinaires.

Jean Muller : Mon image de Liszt a évolué au fil du temps. Enfant et adolescent, j’ai beaucoup apprécié le côté virtuose de sa musique et le plaisir que ça procure de la jouer. C’est une musique très gratifiante pour celui qui l’interprète. Après, en allant plus en profondeur, j’ai découvert ce personnage vraiment remarquable. Il a été non seulement pianiste et compositeur, mais aussi un chef d’orchestre très important. Sans oublier son activité de pédagogue, il a enseigné pendant des décennies gratuitement à tous ceux qui lui demandaient. Il était extrêmement généreux, il n’a jamais demandé aucun cachet une fois qu’il a arrêté sa carrière de concertiste car il considérait avoir déjà gagné assez d’argent et de ne pas avoir besoin de plus. Peut-être qu’il n’a pas fait de « markéting » pour ses compositions parce qu’il était gêné dans le sens qu’il était déjà tellement connu et populaire qu’il ne voulait peut-être pas, en plus, vanter la qualité de ses compositions. C’est un personnage très inspirant.

On lui doit, d’ailleurs la technique pianistique actuelle, les récitals…

Jean Muller : Absolument, il a été toujours à la pointe du progrès dans à peu près tout ce qu’il a entrepris.

Une musique « extrêmement bien construite et surtout très inspirée »

Et comment vous définiriez sa musique ?

Gary Muller : Sa musique était extrêmement bien construite et surtout très inspirée. Un peu comme Mozart, il sentait immédiatement quand il fallait changer quelque chose dans une musique pour lui donner un effet maximum. C’était un très grand compositeur.

Pour le festival, vous serez accompagnés par l’Ensemble Vocal Les Enchantées et vous avez une seule œuvre au programme, la Dante-Symphonie. Une œuvre, de 1857, qui n’est pas du tout prévue, au départ, pour être interprétée au piano, mais par un orchestre de chambre. Pourquoi ce choix ?

Gary Muller : C’est vrai, mais l’arrangement pour piano a été fait par Liszt lui-même. La pièce reprend la Divine comédie de Dante et raconte le voyage de Dante qui descend en enfer accompagné de Virgile, le philosophe. Du coup, je trouve ça pas mal du tout de jouer ça à deux. Dans notre cas, Jean représentera Dante et moi, je serai Virgile qui le mène en Enfer et puis au Purgatoire. Et pour finir, on va écouter ce que la Vierge Marie a à dire sur le ciel, car Liszt n’a pas osé travailler sur le Paradis. Wagner lui avait déconseillé, car selon lui les divergences théologiques étaient trop grandes pour mettre ça dans une pièce.

Auditorium du CAPE avec les deux pianos © François Zuidberg
Auditorium du CAPE avec les deux pianos © François Zuidberg

À la place il a fait un Magnificat…

Gary Muller : voilà.

Jean Muller : Pour revenir à la question pourquoi nous avons choisi cette œuvre, on m’a approché pour participer à ce festival à la suite de mon engagement depuis de longues années pour la musique de Liszt. J’ai eu envie de faire quelque chose de différent, pas une monographie de Liszt tout seul. Comme on avait déjà joué ensemble cette symphonie, et que je garde un tellement bon souvenir des deux fois où on l’a jouée, j’ai eu envie de le refaire. D’autant plus que je trouve que ça correspond bien à l’idée du festival, avec ce « + » dedans. Ici, le « + » est donc qu’on joue tous les deux et qu’on va même intégrer du chant avec la participation de l’Ensemble Vocal Les Enchantées pour le Magnificat final.

Parlons, justement du festival ; à part le vôtre, bien sûr, quel autre concert est absolument immanquable cette année selon vous?

Jean Muller : C’est une question très dangereuse (il rit). Je pense vraiment que tout le festival vaut la peine. C’est une panoplie de concerts très variée qui correspond assez bien au personnage de Liszt. Ses différents aspects seront illustrés pendant ces quatre soirées. Et puis, le festival a prévu deux conférences de Guy May, un spécialiste des deux visites que Liszt a faites au Grand-Duché. C’est aussi un sujet passionnant, surtout quand on sait que sa seconde visite était très peu de temps avant sa mort et que c’est ici, au Luxembourg, qu’il a joué en public pour la toute dernière fois.

Festival Piano Liszt+, du 26 au 29 janvier au CAPE d’Ettelbruck.

www.cape.lu

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