Aline Bouvy

20 mar. 2023
Aline Bouvy

Article en Français
Auteur: Loïc Millot

Figure importante de la scène luxembourgeoise, la plasticienne Aline Bouvy évoque pour culture.lu sa formation, son parcours, ses collaborations avec les galeristes et les institutions. Et le film dont elle commence l’écriture…

Comment se sont passées vos études à l’Ecole de recherche graphique (ERG) puis à l’Académie Jan van Eyck de Maastricht ?

Ce qui m’a beaucoup plu à l’ERG, c’est qu’il s’agissait de la seule école de Bruxelles à ne pas se définir par un medium (peinture, sculpture, etc.). Les pratiques artistiques étaient perçues globalement. Les professeurs d’atelier étaient eux-mêmes des artistes actifs, il y avait donc un contact direct avec la création. L’Académie Van Eyck de Maastricht, dont l’accès est plutôt destiné à des artistes disposant d’une plus grande maturité, je l’ai intégrée en sortant directement de l’ERG ; c’est un lieu très propice aux rencontres, avec des curateurs invités par l’institution, avec des talks et des visites d’atelier d’artistes… Il y a aussi des graphistes et des théoriciens qui viennent du monde entier. Autrement dit, c’est un programme à la carte qui est très confortable pour les participants. J’y ai passé deux ans et demi d’ailleurs, et j’y ai conservé des amis, des relations. Il y a quelques jours encore, j’ai assuré une conférence dans une école et j’insistais pour que les étudiants se constituent un réseau. Or le réseau le plus important, c’est le réseau des affinités, celui avec lequel on partage quelque chose. Ce qui n’implique pas seulement les artistes d’ailleurs…

Dans votre cas, comment déterminez-vous le choix d’un support dans votre création ?

Cela vient de manière progressive, pendant le développement d’une idée, d’une envie ou d’un ressenti qui se profile à un moment donné. Je me sens plus à l’aise avec les formats d’installation parce que la manière dont je vais constituer un projet va m’amener à réfléchir à un environnement, sans parler d’immersion, etc., qui va me contraindre à me limiter aux murs, à un certain format… Je crois que c’est surtout le projet qui dicte chez moi le choix du medium. Par exemple, il y a trois ans, j’ai dû faire une espèce d’écho à un rite hygiéniste et j’ai choisi le motif de la brosse à dent. Je l’ai photographiée, et je me suis rendu compte que l’objet paraissait alors très banal. Je l’ai redessiné au crayon, en y ajoutant des chiffres romains. C’est le rendu, la façon dont tel medium va communiquer l’objet qui décide de ce choix.

 Puisque vous parliez d’affinités, en avez-vous au Luxembourg, notamment parmi les plasticiens de la scène luxembourgeoise ?

Il y a deux ans, on a tous été impliqués dans cette exposition au MUDAM, intitulée Freigeister. Fragments de la scène artistique au Luxembourg et au-delà (11 novembre 2021- 27 février 2022, ndlr). De plus en plus de structures se mettent en place au Grand-Duché ; il y a eu aussi Esch 22, Capitale européenne de la culture. Je n’ai pas vraiment d’échanges avec des artistes plus jeunes, mais j’en ai en tout cas concernant ceux de ma génération. On se connaît, on s’apprécie, même si on ne se voit pas beaucoup du fait que nous sommes tous un peu éparpillés en Europe. Il y a un petit truc entre nous du fait que nous venons du Luxembourg.

J’ai découvert que vous avez appartenu au collectif TALE (The After Lucy Experiment) entre 2008 et 2013, qu’est-ce que vous y faisiez ?

Une amie de Bruxelles qui disposait d’une maison familiale a proposé de vivre une expérience collaborative et humaine pendant une semaine. Nous étions six femmes et avions chacune des pratiques très différentes. Après cette semaine, nous avions eu envie de poursuivre ce projet et de se lancer dans quelque chose de performatif. J’avais cousu des robes rouges que nous avions enfilé dès notre arrivée. Nous ne les avons plus quittées, ce qui donnait un côté secte à cette résidence ! (rires). Nous avons continué cela pendant trois ans puis on a participé à des expos, édité un livre… C’est une expérience collective qui a existé, qui a eu son importance et qui, je crois, a même été précurseur en Belgique par rapport à des questions de positionnement clairement féministe et inclusif, le tout avec toujours beaucoup d’humour.

Justement, au sujet de l’humour qui est omniprésent dans votre œuvre, quel sens et quelle fonction lui donnez-vous : c’est un rire de désespoir, de jubilation, de dérision… ?

L’humour est une force qui permet de tout remettre à plat ; chez moi, ce n’est jamais un humour moqueur, car je déteste l’ironie et son côté surplombant. J’aime le fait que l’humour puisse ouvrir des lignes de fuite, qu’il vienne déstabiliser l’ordre des choses et le statut même des choses qui sont représentées et jusqu’aux lieux où elles sont représentées. Dans toutes mes expositions, il y a certains éléments qui vont questionner le lieu, les œuvres qui y sont réunies, et même le discours qui y est développé… Les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Et l’humour est aussi une façon de s’octroyer une certaine liberté, ce qui est important je crois.

Aline Bouvy

Vous êtes représentée par la galerie Nosbaum Reding depuis 2001 : que vous apporte cette collaboration, outre sa dimension commerciale ?

C’est un soutien qui fait plaisir. Cela fait maintenant presque 20 ans que nous travaillons ensemble. Ce que j’ai toujours apprécié avec Alex Reding comme avec d’autres galeristes, c’est que j’ai toujours eu carte blanche. C’est une relation basée sur la confiance. Cependant, il est à mes yeux également très important de constituer d'autres réseaux, avec des artistes, des représentants d'institutions, mais aussi toutes personnes intéressées et intéressantes gravitant autour de l'art, et ce jusqu'aux écoles d'art et ses étudiant.e.s. Ces réseaux représentent des espaces d'échanges et de dialogues importants et stimulants. C'est aussi une grande chance d'être soutenue par l'Etat à travers les différentes infrastructures qui sont mises en place. Pouvoir bénéficier d'une bourse de développement ou avoir la possibilité de partir en résidence à l'étranger sont des aides très précieuses qui permettent de s'émanciper du système et d'enrichir une pratique par l'expérience, la recherche, les rencontres. Bénéficier d'un soutien financier additionnel lors d'expositions à l'étranger par exemple témoigne d'une vraie implication dans le développement de la carrière d'un artiste et ce soutien est appréciable, bien au-delà de l'aspect financier.

 Vous avez fait l’objet récemment d’une exposition au Grand-Hornu (Aline Bouvy. Cruising Bye, du 27 février au 18 septembre 2022), comment vous êtes-vous emparée de ce lieu vaste et si chargé d’histoire ? Était-ce une contrainte ou un avantage dans votre cas ?

C’était un défi et un plaisir. Les premières visites des ateliers avec Denis Gielen (directeur du MAC’s, ndlr) datent de 2018 ; cela s’est fait petit à petit, sur une période large, bien en amont de l’exposition. Trois ans de réflexion. Puis une fois que cela devient concret, on peut enfin regarder le résultat de nos projections, de nos désirs, sur un espace donné.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

L’exposition au MAC’s Grand-Hornu revenait sur neuf années de travail personnel. J’ai tellement travaillé cette dernière année, ainsi qu’à d’autres pièces dans des conditions parfois difficiles (poussière, etc.), que j’ai maintenant envie de me rendre disponible pour autre chose. J’ai en effet reçu une bourse à l’écriture de scénario car j’aimerais développer un projet de film dans la continuité de celui que j’ai présenté pour l’appel à candidature pour la Biennale de Venise, il y a trois ans environ. C’est un projet qui est en moi depuis longtemps et je suis très content d’avoir trouvé des producteurs qui acceptent de me soutenir. Il faut que je me lance à présent, que je me concentre pleinement sur l’écriture du scénario, peut-être en passant d’abord par une autre forme littéraire comme le roman ou une nouvelle. C’est un film qui serait, dans l’idéal, présenté dans un contexte d’exposition mais aussi dans les salles de cinéma.

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