Liss Scholtes

17 juin. 2025
Liss Scholtes
Sa version du fait

Article en Français

On peut aisément croiser Liss Scholtes au Théâtre National de Luxembourg ces derniers temps. Elle y travaille beaucoup et plus encore ces temps-ci autour de la dernière pièce de Nathalie Ronvaux, Versions des faits, qu’elle monte à la scène entourée d’une équipe très complète, dans la pure tradition du théâtre allemand. 

Née au Luxembourg, Liss Scholtes est la nouvelle pépite du théâtre grand-ducal, partagée entre les préceptes scéniques du vieux continent et ceux de l’avant-garde européenne. Berlin-Luxembourg-Karlsruhe formulent le triangle d’or dans lequel elle évolue telle un oracle de la scène, une prêtresse de la mise en espace. Formée à Vienne, puis à Cologne pour s’inscrire dans des études théâtrales et cinématographiques, Scholtes n’est pas une enfant de la scène, elle s’y est invitée sans crier gare. 

Sa révélation vient à Karlsruhe, aux côtés de la radicale Anna Bergmann, en tant qu’assistante de la metteuse en scène. Là elle aiguise son regard et en vient à monter ses propres productions. En peu de temps, elle monte cinq spectacles aussi ambitieux que géniaux, dans lesquels elle dresse un miroir sociétal face aux spectateurs tout en conservant un recul bienvenu permettant l’humour et, parfois, la dérision. Son théâtre est bilingue, vivant, et fait se frotter le texte aux nerfs à vif des comédiens. Et ce n’est pas un hasard si en 2024, on lui offre le Prix Arts et Lettres de l’Institut Grand-Ducal, comme un symbole, une consécration et un label : Liss Scholtes est là et bien là. 

Cette année donc, entre les 18 et 29 juin, elle tient l’affiche de Version des faits avec l’autrice Nathalie Ronvaux. Une nouvelle création pour le Théâtre National de Luxembourg qu’elle définit comme divertissante et pleine de suspens. Un objet scénique qui s’annonce sans aucun doute, au vu de la qualité de l’équipe, comme l’un des temps forts de cette saison théâtrale.

Ces dernières années ont été charnières pour vous. En quatre ans à peine, vous avez monté cinq spectacles majeurs: Am Ziel, joué en février 2022 au Badisches Staatstheater Karlsruhe ; Die Maschine steht still en juin 2022, un projet in situ dans le cadre de la Capitale Européenne de la Culture Esch 2022 avec pour partenaire le Théâtre National du Luxembourg ; Und jetzt die welt! Oder: Es sagt mir nichts, das sogenannte Draussen en novembre 2023 au Théâtre National du Luxembourg ; my body keeps changing my mind en avril 2024 au Théâtre des Capucins avec Marion Rothhaar et E kuerze Monolog iwwer eng laang Zäit en mars dernier au Kasemattentheater. Et puis, l’année dernière, vous avez reçu le Prix des Arts et des Lettres de l’Institut Grand-Ducal. Liss Scholtes, comment êtes-vous devenue metteuse en scène pour le théâtre ? 

J’ai étudié le théâtre, le cinéma et les médias à l’Université de Vienne, puis la culture des médias et le théâtre à l’Université de Cologne. C’est par le biais d’un stage à la Theater Federatioun, au Luxembourg, que j’ai eu mes premiers contacts avec la scène théâtrale luxembourgeoise. C’est à ce moment-là qu’on m'a proposé de faire un assistanat à la mise en scène. J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler en tant qu’assistante à la mise en scène, mais j’ai aussi constaté que je développais mes propres idées, et que j’avais envie d’essayer la mise en scène moi-même. J’ai donc décidé de rejoindre un théâtre en Allemagne en tant qu’assistante de mise en scène permanente, afin d’y acquérir un maximum d’expérience. C’est là que j’ai pu réaliser mes premiers petits projets. Entre 2019 et 2021, en poste au Badisches Staatstheater de Karlsruhe, j’ai pu assister Anna Bergmann à plusieurs reprises. J’y ai créé ma première pièce en février 2022. Par la suite, j’ai participé à plusieurs productions au Luxembourg, notamment à des projets de mise en scène conjointe avec la metteuse en scène Marion Rothhaar. Grâce aux différents contacts que j’ai pu nouer à cette époque, je suis revenue au Luxembourg comme metteuse en scène.

Pour la saison 2024/2025, au Théâtre National de Luxembourg, vous avez mis en espace et en voix les textes Un jeu d’enfant et Histoire(s). Deux textes rejoués 15 ans après leurs premières luxembourgeoises. Comment avez-vous rencontré Nathalie Ronvaux ? 

Nathalie et moi avons été réunies autour de ce projet porté par le Théâtre National de Luxembourg. Au départ, je ne savais pas grand-chose, seulement qu’il s’agissait d’une pièce encore à écrire, et le nom de l’autrice. C’est dans ce contexte que j’ai fait la connaissance de Nathalie.

© Bohumil KOSTOHRYZ

Par la suite, Nathalie Ronvaux poursuit son année de résidence au TNL et écrit Versions des faits. Un nouveau texte de théâtre que vous mettez en scène, accompagnée des interprètes Marc Baum, Claude Breton et Rosalie Maes. Comment en êtes-vous venue à monter ce texte sur scène ?

Le Théâtre National du Luxembourg m’a proposé de participer à ce projet. À ce moment-là, la seule chose qui était certaine, c’est qu’il s’agirait d’une pièce de Nathalie Ronvaux, dont le texte restait encore à écrire. J’ai trouvé cela très intéressant, car c’est une forme de travail nouvelle pour moi. Normalement, dispose du texte en amont, ce qui permet de réfléchir à un concept. Pour ce projet, c’était différent. J’aime beaucoup travailler en profondeur sur un texte, et dans ce cas, c’était un peu plus difficile, j’ai dû m’adapter. J’ai pour ainsi dire osé aborder le texte d’une nouvelle manière. Ce n’est pas seulement la méthode qui changeait, mais aussi le fait de travailler en français qui est une nouvelle expérience pour moi. Ces deux éléments représentent une étape importante dans mon évolution en tant que metteuse en scène.

Comment avez-vous choisi votre équipe de création qui, il me semble, est en partie la même que pour Jeux d’enfants et Histoire(s) ?

Une partie du programme de l’autrice en résidence au TNL consiste non seulement à présenter une nouvelle pièce écrite pour l’occasion, mais aussi à proposer au public d’autres textes déjà écrits, sous forme de lectures. Nous avons trouvé intéressant d’avoir les mêmes acteurs et actrices pour les lectures et pour la mise en scène, car cela permettait déjà de se connaître et de savoir travailler ensemble. Je connaissais déjà tous les comédiens, soit pour avoir travaillé avec eux, soit pour les avoir vus plusieurs fois sur scène. J’ai trouvé qu’ils formeraient une bonne équipe pour cette pièce, même si je ne savais pas encore concrètement à quoi elle ressemblerait au final.

Dans un monde entièrement bétonné, où les habitants s’alimentent de plats en poudre et de surgelés, un homme redonne vie à un ancien bistrot de quartier et à son jardin oublié. Mais un soir, un couple de retraités décède et la ville se divise entre ceux qui condamnent ce nouveau bistrotier, et ceux qui prennent sa défense. Dans Versions des faits, un ersatz de notre société moderne se façonne ainsi peu à peu sur scène. Quels enjeux souhaitez-vous faire ressortir à travers votre mise en scène ?

Pour moi, il est très important que ce qui se joue sur scène soit clair. Que les comédiens sachent ce qu’ils font, et pourquoi ils le font. Comme le texte a un côté abstrait et n’aborde pas les personnages en profondeur, j’ai essayé d’en tirer le meilleur, de manière ludique, tout en veillant à ce que leur évolution soit claire. Le texte laisse beaucoup de place à l’interprétation personnelle : c’est un vrai cadeau pour la mise en scène. Cela nous a permis d’imaginer beaucoup de choses, de créer un univers dans lequel on peut s’immerger et qui porte la tension de l’histoire, sans qu’on ait besoin de savoir exactement où et quand l’action se déroule. Mon objectif, c’est de maintenir le suspense, faire en sorte que le public reste attaché à l’histoire et aux personnages. Je souhaite que les spectateurs prennent autant de plaisir que moi jusqu’à la dernière minute.

Vous tournez à deux créations par an, en moyenne. Que retiendrez-vous de ce spectacle en particulier et de l’expérience humaine qui l’a accompagné ?

La collaboration avec Nathalie a été très enrichissante. Grâce à nos nombreux échanges, j’ai pu lui faire part de mes idées et de mes souhait. Ces discussions m’ont beaucoup inspirée, car elles apportaient un autre regard sur l’écriture : celui de l’autrice, forcément différent du mien. Travailler ensuite avec les comédiens et les comédiennes pour trouver comment tirer le meilleur parti du texte a également été une expérience formidable. Comme il s’agissait d’une création inédite, c’était aussi un test grandeur nature : voir ce qui fonctionne sur scène, ajuster, chercher des solutions ensemble. Et dans ce cas, ce fut un véritable travail d’équipe, très amusant.

La pièce Versions des faits est jouée du 18 au 29 juin 2025, au Théâtre National du Luxembourg. 

Auteurs

Godefroy Gordet

Artistes

Liss Scholtes
Nathalie Ronvaux
Marion Rothhaar
Marc Baum
Anna Bergmann
Claude Breton
Rosalie Maes

Institutions

Théâtre National de Luxembourg
Théâtre des Capucins
Kasemattentheater
Theater Federatioun

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