Anne-Mareike Hess

28 mai. 2025
Anne-Mareike Hess
Trilogie intégrale

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Anne-Mareike Hess est chorégraphe et danseuse. Basée entre Luxembourg et Berlin, elle est une figure de la danse contemporaine Grand-Ducale. En 2018 elle a fondé la structure indépendante utopic productions, qui reçoit un financement du Ministère de la Culture au Luxembourg depuis 2020. Anne-Mareike Hess s’est formée à l’international, voyageant de la HfMDK de Francfort-sur-le-Main au Centre interuniversitaire de danse HZT de Berlin. Après s’être mise au service de nombreuses compagnies, elle façonne son propre dessein chorégraphique en collaborant avec diverses institutions européennes. Dès lors, son travail artistique s’enracine dans l’exploration du corps comme espace émotionnel et identitaire. Ses thématiques s’installent dans le prisme des constructions sociales liées au genre, à la féminité et à la résilience. Artiste associée à neimënster de 2020 à 2023, elle y a développé quelques-uns de ses projets majeurs. Comme un symbole, sa trilogie WARRIOR – DREAMER – WEAVER sera présentée pour la première fois dans son intégralité du 30 mai au 1er juin 2025, dans le cadre du nouveau festival Embellie du Centre Culturel de Rencontre Abbaye de neimënster. Ce triptyque amorcé en 2018 est l’aboutissement de cinq années d’un travail scénique exigeant, autour du corps féminin en résistance.

DREAMER © Bohumil KOSTOHRYZ

En 2018, année charnière de votre pratique chorégraphique, vous créez votre premier solo WARRIOR – sélection Aerowaves Twenty20. Suivront le solo DREAMER en 2021 et le trio WEAVER en 2023, trois spectacles qui explorent l’identité féminine sous le prisme de la mythologie et de la culture populaire. A-t-il toujours été une évidence pour vous de concevoir un triptyque et, si tel est le cas, pourquoi précisément trois pièces chorégraphiques ?

Anne-Mareike Hess : Lorsque j’ai entamé mes recherches pour WARRIOR en 2017, je n’imaginais pas encore qu’il deviendrait le premier volet d’une trilogie. Ce n’est qu’après la première du solo fin 2018 que j’ai compris que cette thématique était loin d’être épuisée et qu’il y avait encore tant de choses à dire, à explorer et à vivre. C’est ainsi que sont nés DREAMER puis WEAVER, et avec eux s’est imposée l’idée d’une trilogie.

La danse et la chorégraphie constituent mon outil de travail : elles me permettent de toucher au plus près cette thématique, intimement liée au corps, à ses traces invisibles, à ses mémoires et à son histoire enfouie.

Mais ce n’est pas mon seul moyen d’expression. En parallèle, trois publications ont vu le jour: un livre mêlant textes et illustrations autour de DREAMER, une publication commandée par le CNL combinant textes et bande dessinée sur l’ensemble de la trilogie, ainsi qu’une bande dessinée qui paraîtra à l’occasion de la présentation à neimënster fin mai.

De quelle manière chaque spectacle de ta trilogie WARRIOR – DREAMER – WEAVER interroge les représentations traditionnelles du corps féminin dans la société contemporaine ?

A.-M. H. : WARRIOR est conçu comme un acte de résistance en abordant la thématique par le prisme du stéréotype masculin du guerrier. À travers ses gestes, le personnage sur scène interroge le monde dans lequel nous vivons et pousse jusqu’à l’absurde les rôles que nous incarnons et reproduisons inconsciemment. Que signifie être fort ou faible? Qui a le droit de prendre de l’espace, d’élever la voix, d’être entendu? DREAMER explore quant à lui le corps féminin comme écran de projection des attentes et fantasmes patriarcaux. Ce solo oscille entre réel et imaginaire, révélant la charge symbolique imposée aux corps féminins. WEAVER tisse enfin une réflexion collective autour de la violence intériorisée et la transmission des récits de femmes à travers les générations.

WARRIOR © boshua

Ces trois œuvres seront jouées au festival Embellie proposé par neimënster. En quoi cette intégrale permet une lecture renouvelée des thématiques que vous abordez?

A.-M. H. : Le festival permet de saisir toute la richesse du voyage entrepris avec ces trois pièces. Chaque œuvre éclaire une facette différente, et leur dialogue offre une lecture plus organique et amplifie la portée émotionnelle et politique de la trilogie. Pour cette occasion, les pièces DREAMER et WEAVER ont été retravaillées. DREAMER sera interprété dans une nouvelle version par la danseuse Adaya Berkovich – c’est la première fois que je transmets une de mes œuvres à une autre interprète, ce qui ouvre de nouvelles perspectives passionnantes. WEAVER sera repris dans sa distribution originale, avec l’envie de continuer à développer la pièce.

Je suis également très heureuse de présenter une collaboration avec l’artiste Luca De Vitis, alias The Holy Garbage: un comic de 50 pages, inspiré de la trilogie, sera publié et exposé au foyer de neimënster. Des extraits seront également exposés dans le foyer de la salle Robert Krieps. Le festival propose par ailleurs une riche programmation d’autres artistes autour des questions d’identité et de genre, replaçant ainsi mon travail dans un dialogue vivant et stimulant.

WEAVER © Bohumil KOSTOHRYZ

C’est donc pendant ce temps de représentations, que vous lancez la bande dessinée Warrior, Dreamer, Weaver - Awakening the Body. Ce travail collaboratif avec The Holy Garbage donne vie à votre univers chorégraphique par le biais d’un nouveau médium. Quelle a été la genèse de cet ouvrage?

A.-M. H. : Exactement. J’ai rencontré Luca De Vitis en 2021, alors qu’il avait réalisé plusieurs illustrations pour ma publication Dreamer: sketches of an artistic process. Dans mon approche chorégraphique, je construis souvent des personnages très marqués, avec une gestuelle qui frôle parfois le caricatural. On m’a d’ailleurs souvent dit que certaines de mes œuvres possédaient une qualité de mouvement proche de l’univers de la bande dessinée.

En 2023, après la création de WEAVER, le dernier volet de la trilogie, je me suis demandé comment les trois personnages principaux – Warrior, Dreamer et Weaver– pourraient se rencontrer et ce qu’ils feraient ensemble. Au début, ce n’était qu’un jeu. À cette époque, je travaillais justement sur la publication autour de la trilogie, et plus j’y réfléchissais, plus j’avais envie de trouver un moyen de rendre cette rencontre possible. 

C’est ainsi que j’ai contacté Luca et lui ai proposé d’explorer cette idée sous forme de bande dessinée : un espace où les trois personnages pourraient se rencontrer comme une sorte de super-héros. Pendant près de deux ans, nous avons échangé des idées et construit l’histoire ensemble. Aujourd’hui, je suis impatiente de tenir ce livre entre mes mains et de le partager avec le public.
Pour moi, il s’agit d’élargir mon travail de chorégraphe, de lui offrir une nouvelle vie à travers un autre médium, et peut-être aussi d’atteindre un public différent qui pourrait découvrir la danse par ce biais. En outre, il est important pour moi, en tant qu’artiste, de prendre du plaisir dans mon travail, d’aborder la création de manière ludique et d’inviter aussi le public à entrer dans cet esprit de jeu.

Comment cette bande dessinée permet-elle d’enrichir l’expérience du spectateur face à ta trilogie ?

A.-M. H. : La BD offre au public une manière différente, plus ludique et narrative, de se mettre en lien avec les personnages et les thématiques développées dans mes pièces. En créant un espace imaginaire où Warrior, Dreamer et Weaver se rencontrent, la BD permet de faire vivre les personnages au-delà de la scène et de tisser des liens plus intimes avec eux. C’est aussi une invitation à explorer mon travail sous un angle inattendu, en décloisonnant les disciplines et en s’adressant à la fois à l’imaginaire visuel et corporel du spectateur.

WEAVER © Bohumil KOSTOHRYZ

Le 1er juin, vous invitez votre public à la découverte de deux artistes internationaux explorant le genre et l’identité. À quoi le public doit-il s’attendre et quelles perspectives nouvelles apportera ce moment de rencontre ?

A.-M. H. : Le 1er juin, nous souhaitions ouvrir un espace de découverte et d’échange autour d’artistes qui, chacun à leur manière, questionnent le genre et l’identité. Neimënster avait lancé un open call en 2024 et sélectionné quatre artistes, chacun ayant bénéficié d’une résidence de deux semaines en mars 2025. À l’issue de ces résidences, lors d’une présentation interne, nous avons choisi ensemble les artistes Claire Vivianne Sobottke et Dee Meaden qui présenteront des « work in progress » de leur projet. Je suis particulièrement heureuse de cette initiative et de la sélection finale. Le public pourra ainsi découvrir deux propositions très différentes, mais complémentaires, qui élargiront les perspectives sur ces thématiques essentielles. Par ailleurs, d’autres artistes tels que Clio Van Aerde, Carole Louis, Mike Bourscheid et bien d’autres encore partageront leur travail avec le public ce jour-là. C’est donc l’occasion d’entrer en dialogue avec d’autres sensibilités, d’autres écritures, et d’enrichir ainsi la réflexion que propose ma trilogie. Ce sera une invitation à la curiosité, à l’écoute et à l’échange avec d’autres écritures artistiques fortes et engagées.

 

WARRIOR : le 30/05 à 20h, neimënster

DREAMER : le 31/05 à 19h, neimënster

WEAVER : le 01/06 à 18h, neimënster

Auteurs

Godefroy Gordet

Artistes

Anne-Mareike Hess
Adaya Berkovich
Luca De Vitis
Claire Vivianne Sobottke
Dee Meaden
Clio Van Aerde
Carole Louis
Mike Bourscheid

Institutions

utopic productions
neimënster - Centre Culturel de Rencontre Abbaye de Neumünster
The Holy Garbage

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