Hana Sofia Lopes

17 mar. 2025
Hana Sofia Lopes
Retour à Lisbonne

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Image : © Faye Thomas

En janvier 2022, Hana Sofia Lopes se livrait à nous en racontant ses premiers pas vers son rêve de devenir actrice : « Après mon bac, je me suis inscrite en fac de droit à la Sorbonne, mais mon rêve était d’aller au Conservatoire de Lisbonne. » Elle y est admise, transite ensuite par Madrid et Paris, puis signe avec la plus grosse chaîne de télévision du Portugal pour travailler sur une télénovela, « ça a été mon premier véritable job en tant qu’actrice », nous explique-t-elle encore. Près de quinze ans plus tard, elle revient à Lisbonne pour y tourner Flucht aus Lissabon, réalisé par Steffi Doehlemann pour la ZDF. 

© ZDF

L’atmosphère chaude et portuaire de Lisbonne s’étire sous les ombres changeantes d’une journée ensoleillée dans la capitale portugaise. Tandis que le monde suffoque, là, quelque part, au milieu des ruelles pavées, un engrenage se trame, celui de ce film d’action grand public produit en fanfare par la ZDF. L’actrice Hana Sofia Lopes est au centre de cette tourmente numérique où la fiction rattrape presque la réalité. 

Dans ce téléfilm à la photographie soignée, que l’on doit à Oliver-Maximilian Kraus, c’est au côté de l’acteur iconique Hans Sigl qu’elle brille, en tant que « Sophia Moreno », personnage au premier plan de ce blockbuster allemand très divertissant. À la force de ses racines portugaises, sous les apparats de la culture luxembourgeoise par laquelle elle aura eu l’allemand pour langue tiers, la voilà qui tient pour la ZDF un rôle qui lui colle à la peau.

Ainsi, elle s’inscrit dans une machine cinématographique qui s’emballe par ce film qui mêle intelligence artificielle, démocratie et mensonge, le tout sauce gros fusils et gilets pare-balles… Flucht aus Lissabon ou Escape from Lisbon, sera diffusé sur la ZDF le 17 mars à 20h15, devant des millions de téléspectateurs, « à l’ancienne », comme pour rappeler les grandes heures du cinéma de télévision – et en VOD sur la ZDFmediathek. Une opportunité qui va assurément donner des ailes à notre prodige local. Alors, quelle meilleure occasion pour discuter avec la comédienne luxembourgeoise, en pleine ascension dans sa carrière ?

Flucht aus Lissabon est une super production de la ZDF produite par l’aguerri producteur allemand Hans-Hinrich Koch qui signe d’ailleurs le film. Quelle a été la genèse de cette nouvelle aventure cinématographique ?

Mon premier contact avec le projet s’est fait par l’intermédiaire d’amis de Lisbonne avec qui j'ai fait le Conservatoire de Lisbonne. Par texto, ils m’avaient demandé si je pouvais les aider avec la langue allemande parce qu’ils allaient faire des auditions pour des petits rôles d’une ou deux phrases sur un projet allemand qui se tournait à Lisbonne. Ils m’ont donc envoyé le texte que je leur ai enregistré et renvoyé. 

J’étais loin d’imaginer qu’il y avait un rôle important auquel je pourrais prétendre. Et un beau jour, j’ouvre mes mails et j’ai une demande de self-tape pour passer une audition pour le rôle principal de Sophia Moreno. En fait, quelqu’un de Lisbonne a parlé de moi au producteur berlinois. Et c’est comme ça qu’on m’a invitée à faire le casting. 

On aurait dit que c’était un rôle sur mesure pour moi : une femme, début de la trentaine, portugaise, qui parle allemand et qui s’appelle Sophia. Il y a des fois dans la vie où tu te dis que c’est ta destinée, là c’était vraiment ça. Ce qui est fou également, c’est que ça faisait des mois qu’ils étaient en casting à Berlin, sans trouver la bonne personne. 

Quand j’ai fait le premier casting, qui est en fait une vidéo que tu enregistres et que tu télécharges sur YouTube, j’ai remarqué que l’une de mes scènes avait été vue plus de cinquante fois. Là j’ai compris… Ce qui est amusant, c’est qu’en amont j’avais dit à mon agent que j’étais certaine que pour un rôle si important, ils prendraient une star allemande. Pour ce genre de projet, en prime time sur la ZDF, il ne faut pas rêver quoi… En fait, je n’ai jamais pensé que ce serait une possibilité. C’est dingue ! J’ai toujours du mal à y croire. 

Dans Flucht aus Lissabontu es plongée dans un thriller politique sur les dangers de l’IA et notamment les deepfakes. Comment as-tu construit ton personnage, face à la réalité palpable que sont ces enjeux modernes aussi fascinants qu’inquiétants ?

Souvent, on a tendance à mettre les acteurs dans des cases. Comme on dit en anglais un « type cast ». Moi mon « type cast » c’est la princesse. En un an, j’ai dû tenir quatre rôles de princesse. On a tendance à me voir dans « l’ultra féminin ». Et là, ce qui est intéressant c’est que la production n’a vu de moi que le casting, de fait, leur regard n’était pas influencé. Ils n’avaient pas d’idées préconçues. Ils se sont basés sur ce qu’ils voyaient. Ça a été un grand avantage pour moi, car dans ce casting, rien ne rappelait mon côté féminin. Je me suis vraiment plongée dans les scènes, j’étais à fond dans mon personnage et je me suis mise à distance de moi-même.

Ensuite, il fallait que je me forme au thème principal du film qui gravite autour de l’IA et de l’informatique. Mon personnage étant une spécialiste dans ce domaine. Ça a été un gros travail pour moi, car je n’y connaissais rien du tout. Dans ma préparation, il y a eu deux volets. Le premier autour de l’intelligence artificielle. Où est ce qu’on en est ? Où est ce qu’on risque d’aller ? Quels sont les liens entretenus avec les relations internationales et ce qui se passe de nos jours autour des élections et les IA ? 

Le second volet était plus émotionnel. Pendant les lectures, Hans et moi, on lisait le personnage un peu différemment. Sophia, pour moi, n’est pas une héroïne à la Wonder Woman. C’est une femme normale à qui il arrive quelque chose d’extraordinaire et qui découvre une force en elle qu’elle ne connaissait pas. Je me suis donc inspirée de nombreux films du genre comme Taken ou la mini-série documentaire La disparition de Maddie McCann. Je ne suis pas mère, je n’ai pas encore d’enfant, et c’est la première fois que je joue le rôle d’une mère donc j’ai vraiment dû travailler pour être dans une forme de justesse émotionnelle.

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Dans ce film, tu tiens l’affiche au côté du célèbre acteur autrichien Hans Sigl. Comment s’est passée votre collaboration artistique ?

C’est très intéressant parce que Hans et moi, on ne pouvait pas avoir un parcours plus différent. Je n’en avais pas conscience mais Hans est un monument national en Allemagne. Tout le monde le connait. Ça fait quinze ans qu’il joue dans une série qui est très populaire sur la ZDF. En parallèle, moi j’ai un parcours très éclectique, j’aime bien toucher à tout, travailler dans différentes langues et différents pays. J’ai pour habitude quand j’arrive sur un nouveau projet d’essayer de comprendre avec qui je travaille et de m’adapter. Avec Hans, on s’est bien trouvés, malgré nos parcours différents. D’autant que pour moi c’était un vrai challenge. Je n’avais jamais joué en allemand, c’était la première fois de ma vie.

Pour la scène du bateau par exemple, j’avais énormément de texte et c’est une scène qu’on a tournée pendant les derniers jours du tournage, avec la fatigue, la pression… Il fallait que je mette l’émotion nécessaire tout en maîtrisant la langue. J’ai eu beaucoup de mal à gérer ce moment. Hans a été incroyable avec moi. Il m’a prise par la main et m’a proposé de répéter la scène en français avant de la tourner. De cette manière, j’ai pu rentrer dans l’émotion et on a pu tourner cette scène de la meilleure des manières. Il a été très empathique à mon égard. C’est un très bon collègue, professionnel et très charismatique. 

La ville de Lisbonne constitue un personnage à part entière et même éponyme… Quel rapport entretiens-tu aujourd’hui avec cette ville merveilleuse ?

C’est une des raisons pour laquelle je suis hyper fière de ce film. Pour moi, Lisbonne est l’une des plus belles villes au monde. À l’époque, quand j’ai intégré le conservatoire là-bas, les gens se demandaient pourquoi j’y allais. C’était en crise, le pays n’allait pas bien. Aujourd’hui, tout a changé. Quinze ans plus tard, Lisbonne est devenue à la mode. Tout le monde veut vivre ici. Moi, je ne reconnais presque plus cette ville. Et ce qui m’intéresse dans le film c’est que la ville est montrée différemment que les cartes postales. Ce n’est pas juste la mer, le pont rouge et le fado. Tout cela est en arrière-plan. On montre une autre facette de la ville, celle que les locaux connaissent, la « vraie » Lisbonne.

À tes côtés, il y a aussi le jeune acteur Santiago André, à peine 14 ans, qui joue ton fils dans le film. Comment s’est passé ton travail avec lui ?

Là aussi il y a une histoire incroyable. Personnellement, je suis très spirituelle, et parfois il y a des situations qui me font croire plus encore en tout cela. En fait, l’an dernier, j’étais aux « Globos de Ouro » – les Golden Globe Awards portugais, ndlr – à Lisbonne. Pendant la cérémonie, juste devant moi, il y a un petit garçon qui est assis et il se trouve que c’est Santiago. Sur toutes les photos de lui aux Golden Globe, je suis en arrière-plan. C’est comme si c’était écrit qu’on travaillerait ensemble.

En définitive, je l’ai vraiment rencontré pour la première fois lors d’une session photo en amont du film. Ça a tout de suite marché entre nous. C’est quelqu’un de très professionnel qui a déjà un joli parcours. Il tourne dans une télénovela à succès au Portugal et a été nominé aux Golden Globe Awards en tant que révélation portugaise. Je suis complètement admirative de son talent et de sa gentillesse. Avec lui, j’ai construit ce sentiment maternel qui m’est inconnu et ça s’est très bien passé.

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Le film traite des dangers de l’IA dans un processus électoral et, plus largement, de l’impact de la technologie sur nos démocraties. À l’heure de grands conflits internationaux, en tant qu’artiste du plus influent médium au monde, as-tu l’impression que le cinéma a un rôle à jouer dans la sensibilisation du public aux dangers de la manipulation de la vérité et de la désinformation dans notre ère numérique ?

C’est en tout cas ce que je recherche quand je choisis de raconter une histoire : montrer quelque chose au public qu’il ne voit pas sous ce prisme. Je l’avais déjà fait à l’époque de la télénovela. Il y avait des thèmes de société qui étaient abordés dans la série et des gens venaient me voir en me remerciant d’avoir parlé de telle ou telle chose. Ça m’est arrivé ensuite au théâtre, bien sûr, et avec Kanaval qui abordait des thèmes qui me sont chers autour de l’immigration et de l’identité. 

Et maintenant, avec ce film qui aborde l’intelligence artificielle, un sujet que j’ai toujours considéré à tort comme loin de moi. Je me rends compte aujourd’hui que la vérité telle que nous la percevons est hautement manipulée. Si je prends les réseaux sociaux de mon père, ma mère ou les miens, je remarque qu’on est déjà « dirigés » par des algorithmes. On est mis dans une bulle et nourris chaque jour par celle-ci. C’est dangereux en soi, parce que ça ne permet pas de rester ouvert au monde. Il y a aussi la question des deepfakes et des fakes news, qui nous placent face à un doute constant. 

Déjà présente au cœur de l’industrie cinématographique avec les deepfakes, le doublage automatisé, ou le CGI avancé – images et effets visuels générés par ordinateur –, l’intelligence artificielle te semble-t-elle être une menace ou une opportunité pour ton métier et, plus largement, le cinéma ?

Je pense que rien ne peut remplacer la sensibilité d’un être humain. Être acteur c’est comprendre la nature humaine, avoir de l’empathie envers l’humanité et la reproduire. Ces émotions, je pense que jamais une machine ne pourra les reproduire. C’est propre à l’être humain. Enfin, j’espère. J’ai lu récemment un article qui expliquait que les deux seuls jobs qui survivront à l’IA sont les cuisiniers et les médecins. Je n’en suis pas convaincue bien qu’il existe déjà tellement d’outils comme des filtres qui rajeunissent ou d’autres choses… C’est choquant. Ça véhicule une image qui n’est pas réelle et un message qui ne reflète pas la réalité.

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Ces deux dernières années ont été charnières dans ta carrière de comédienne. Du succès de Café Terminus, mis en scène par Frank Hoffmann au Théâtre National de Luxembourg, en passant par ton rôle dans Kanaval réalisé par Henri Pardo, film sélectionné au TIFF de Toronto et nommé quatre fois aux Canadian Screen Awards, et maintenant ce rôle majeur pour la ZDF… Que peut-on te souhaiter pour ton avenir professionnel ?

Là aussi, il y a un détail à mentionner, c’est que bien qu’ils aient apprécié mon premier casting, je suis assez certaine que l’équipe de production a recherché mon nom sur Google ensuite. Et la première photo qu’ils ont vue de moi, c’est une photo au TIFF. C’est en cela que chaque projet est porteur finalement, que ce soit en expérience comme en visibilité. Ça te donne une crédibilité. Ça te place dans une forme de confiance vis-à-vis d’une équipe artistique.

Dans Kanaval, j’ai un rôle secondaire, mais les producteurs – canadiens – m’ont quand même conviée au TIFF et c’est un moment qui a marqué ma carrière. C’est une façon aussi de montrer qu’ils croient en moi et aux jeunes talents qu’ils mettent à l’honneur dans leurs films. Ce qu’on définit comme « le succès », pour moi, c’est tout ce processus. Je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui sans tout ce que j’ai pu faire auparavant et les personnes qui m’ont offert ces opportunités. 

Quelque chose que je n’oublierai jamais, c’est ma rencontre récemment avec la réalisatrice estonienne Anna Hints, alors que je faisais partie du jury international du Festival CinEast à Luxembourg. Je lui ai expliqué que j’hésitais à m’inscrire dans un projet avec lequel je n’arrivais pas à me « connecter ». Elle m’a convaincu que mon travail devait résonner avec les personnes qui sont supposées être sur mon chemin, d’un projet à l’autre, et qui ont envie de raconter des histoires avec moi et donc d’y croire avec moi. 

Aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir planté assez de graines, notamment avec Flucht aus Lissabon, et ce qui doit arriver arrivera. J’espère en tout cas que ça touchera beaucoup de gens. Et par la suite, j’espère pouvoir continuer à raconter des histoires qui me touchent. 

Artistes

Hana Sofia Lopes

Auteurs

Godefroy Gordet

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