10 mar. 2025Céline Schlesser CoutelierRaconter le monde à travers la caméra

© Lisa Folschette
Jeune femme à la voix douce et posée, Céline Schlesser Coutelier parle presque en chuchotant parfois, avec une réflexion et une maturité remarquables. À tout juste 23 ans, elle a déjà intégré une leçon de vie essentielle : ne pas prendre personnellement les critiques et remarques sur son travail, mais les accueillir comme des leviers pour avancer et se remettre en question. Il se dégage d’elle une sérénité, dont elle n’a sans doute même pas conscience.
Celle qui ne se sent pas encore totalement légitime dans son rôle de réalisatrice voit pourtant son regard s’illuminer et sa voix gagner en intensité lorsqu’elle évoque son désir de filmer, à l’intersection de l’intime et du politique, les liens qui se tissent entre les femmes, de questionner sans détour sa vision de la société.
Découverte d’une jeune cinéaste qui croit profondément à la sororité et rêve d’emmener un jour son public hors de sa zone de confort, en lui offrant, à travers le prisme de sa caméra, différentes lectures de ses images pour mieux l’inviter à s’interroger.
Pourquoi avez-vous choisi de faire du cinéma ? Est-ce que vous pouvez me parler de votre parcours ?
Comme beaucoup d’adolescentes, plus jeune je rêvais d’être actrice. Puis au moment de commencer mes études, je me sentais plutôt perdue, sans grande conviction j’avais opté pour des études en biochimie pour devenir docteur. Finalement, la préparation de mon dossier traînait, je n’avais aucune motivation pour effectuer les démarches pour intégrer l’université. Et puis j’ai découvert qu’il existait au Luxembourg le BTS Cinéma et Audiovisuel. Cela a ravivé le souvenir d’une avant-première à laquelle mon oncle m’avait emmenée lorsque j’étais adolescente et qui avait fait naître en moi un profond intérêt pour le monde du cinéma. J’ai tout à coup été enthousiaste à l’idée de préparer mon dossier, écrire une lettre de motivation, réaliser un mini film…
Suivre ce BTS m’a permis d’emblée de faire des stages et d’être immergée dans la réalité du cinéma. Durant mes stages, j’ai pu m’initier à la mise en scène et m’essayer à être assistante décoratrice, j’avais déjà une double casquette. Six mois après avoir eu mon diplôme, j’ai eu l’opportunité de réaliser un clip vidéo pour le chanteur Melvin Schartz, «Two Steps Twice», qui a été une expérience très formatrice. Ici, tout doit être prévu à la seconde près, les images doivent coller au texte et cela demande beaucoup de précision. Puis j’ai réalisé un quickies (ndlr : « Quickies » est une initiative de l’association de cinéastes luxembourgeois Filmreakter qui propose une aide pour réaliser un court métrage d’une durée maximale de 10 minutes), Screens of Dust, avec Esther Gaspart Michels. Nous avons réalisé le découpage ensemble, réfléchi à la vision artistique et j’en ai ensuite assuré la réalisation. Puis, j’ai été art director pour un quickies réalisé par Roxanne Peguet, Table 12. Enfin, j’ai été sollicitée par la maison de production Kinoshi pour ce projet de carte blanche. Les projets s’enchaînent aujourd’hui à un rythme irrégulier : réalisation, assistance réalisation et assistance décoration. Parfois, j’ai des périodes de travail très intenses et parfois rien. Il faut être très flexible pour travailler dans le cinéma au Luxembourg.
Qu’est-ce qui vous a conduit vers la réalisation ? Y a-t-il eu un déclic ou un cheminement progressif ?
Quand nous avons commencé le BTS, la plupart des élèves de ma promotion rêvaient d’être réalisateur. Ce n’était pas mon cas. J’étais plutôt attirée par la décoration et le script. Mais au fil de ces deux années, ma perception du cinéma et de ce que j’étais capable de faire s’est affinée. Et tout à coup, au moment de préparer le projet de fin d’études, j’ai pris conscience que j’avais envie de raconter des histoires, de décider de ce qu’il se passe sur un plateau. Je crois que c’est quelque chose qui a dû mûrir en moi.
Selon vous, quel est le rôle du cinéma ? Doit-il nécessairement porter un message ou peut-il exister comme simple moyen de divertissement ?
Je ne veux pas faire du cinéma juste pour faire des films. Je veux passer des messages. Mon premier film n’est pas nécessairement porteur de nombreux messages, tout est très simple, c’est une tranche de vie. J’aimerais atteindre un point où les spectateurs réfléchissent davantage à ce qu’ils ont vu, à la signification du message, plutôt que de recevoir une lecture trop directe. J’aime l’idée que tout ne soit pas explicite, qu’un objet ou une phrase puisse suggérer quelque chose de plus profond, au-delà de sa simple apparence. Ma mission est de réaliser des films qui reflètent ma vision de la société, des relations humaines, avec une dimension engagée.
Ce qu’il reste est votre premier court métrage présenté au LuxFilmFest. Comment est née l’idée de ce court métrage ? Quel a été le point de départ de cette histoire ?
Le point de départ est presque double. Dans le cadre de la « Carte blanche » (ndlr : il s’agit d’un subside non remboursable attribué aux sociétés de production, aux personnes physiques de nationalité luxembourgeoise ou aux personnes physiques résidentes au Grand-Duché de Luxembourg par le Film Fund), c’est un scénario que j’avais d’abord écrit pendant mes études, mais que j’avais à cœur de retravailler pour aller jusqu’au bout. Il représente pour moi une manière de boucler la boucle, c’était comme si j’avais vraiment fini ce chapitre et que je pouvais commencer à faire de nouvelles choses. En réalité, il est fortement marqué par un moment de mon histoire personnelle, par la mort de mes grands-parents, auxquels je tenais énormément.

Certaines situations révèlent la nature complexe du lien mère-fille. Vous avez choisi de mettre en exergue leur relation à travers l’histoire de l’euthanasie de la grand-mère, pourquoi ?
J’ai toujours été fascinée par les relations entre les femmes, bien plus que par celles entre les hommes. Je trouve intéressant d’explorer comment elles évoluent dans la société, comment elles interagissent, parfois avec bienveillance, parfois à travers des mécanismes négatifs, assimilés inconsciemment. Mon travail tourne beaucoup autour de la féminité, même lorsque je mets en scène des personnages masculins. Pour mon prochain film, que je rêve de réaliser avec le Film Fund, j’ai décidé d’inclure deux hommes, mais je veux qu’ils aient une apparence androgyne afin que cette exploration de la féminité reste centrale.
La question du deuil est aussi essentielle dans mes films. La mort provoque un choc qui pousse à la remise en question. Juliette, la plus jeune, prend conscience de l’importance de sa relation avec sa mère à travers la perte de sa grand-mère. Sans cet événement, cette prise de conscience aurait pu prendre des années. J’aime travailler sur ces déclencheurs puissants qui obligent les personnages à avancer.
Pouvez-vous me parler du tournage ? Comment s’est passée la collaboration avec l’équipe technique et artistique ?
Tout s’est passé incroyablement bien. Rae Lin Lee et Eric Lamhène de Kinoshi Studio ont été d’une aide formidable pour préparer le dossier de candidature pour une carte blanche, leurs nombreux contacts ont aussi grandement facilité l’accès aux lieux de tournage. C’était le premier vrai court métrage que j’ai réalisé et également pour Léa Petitjean à l’image. Je craignais au départ que nous soyons un peu perdues, mais notre travail en commun, notamment à travers de longues discussions, nous a permis d’affiner nos intentions et d’explorer différentes manières de représenter les émotions à l’écran.
Ces échanges ont vraiment nourri le projet. J’ai appris à faire des compromis tout en restant fidèle à ma vision. Parfois, il fallait accepter certaines conventions du langage cinématographique pour que le message passe. Mais j’ai aussi su défendre des choix essentiels, notamment au montage, où j’ai refusé de couper certaines scènes qui me semblaient indispensables.
J’ai aussi découvert l’importance de l’écoute et du lâcher-prise. Un plan que Léa tenait absolument à tourner ne me plaisait pas du tout au départ. Finalement, une fois sur le plateau, j’ai réalisé à quel point il était puissant. Cette expérience m’a prouvé qu’un film est un travail d’équipe, et que l’essentiel est de toujours chercher ce qui sert le mieux le projet, au-delà de son propre ego.
Quant à mon casting, Valérie Bodson s’est imposée naturellement. Elle a une présence douce et attentive, pose des questions qui me font réfléchir. J’ai repéré Juliette Moro sur une plateforme d’acteurs, et en découvrant leur alchimie à l’écran, j’ai su immédiatement que c’était le bon choix.
Il est présenté le lundi 10 mars au LuxFilmFest, est-ce qu’il sera possible de le voir ailleurs ensuite ?
La production va le proposer à d’autres festivals, notamment au Québec et, s’il est retenu, il y aura une première dans un autre pays. Sinon il sera visible sur internet, sur Youtube ou Viméo, je ne sais pas encore.
Que ressentez-vous à l’idée de présenter votre film dans ce festival ? Avez-vous des attentes particulières vis-à-vis de cette projection ?
Je suis assez nerveuse, parce que j’ai déjà vu le film au moins trente fois et que je connais tous ses défauts. Je suis très autocritique, mais je suis heureuse qu’il ait été sélectionné pour ce festival. Cette projection me permettra de gagner en confiance pour mes futurs projets. Elle m’offrira aussi plus de visibilité, ce qui m’aidera à me faire connaître dans l’industrie. J’attends des retours honnêtes et constructifs du public, car cela m’aidera à mieux comprendre mon travail et à m’améliorer. Je suis ouverte aux critiques quand elles sont constructives et respectueuses.
Comment percevez-vous le cinéma au Luxembourg, son évolution, ses forces, ses faiblesses ? Après cette première réalisation, avez-vous d’autres projets en tête ?
Le milieu luxembourgeois est assez fermé, avec des équipes déjà bien établies. Il y a peu d’opportunités pour les nouvelles personnes. De plus, les conditions de travail sont difficiles avec de longues journées et des salaires bas. Il y a aussi un manque de soutien et de régulation pour les métiers du cinéma, notamment en ce qui concerne les droits et la protection pour l’intermittence, ce qui rend la situation assez précaire.
En tant que réalisatrice, mon rêve est de vivre pleinement de la réalisation, mais je travaille aussi en décoration car il faut parfois jongler avec plusieurs rôles pour pouvoir continuer à évoluer dans ce milieu et avoir une certaine stabilité financière.
Je travaille pour le moment en tant que troisième assistante réalisation avec la réalisatrice allemande Ulrike Ottinger sur un long métrage, The Blood Countess, avec Isabelle Huppert. C’est une magnifique opportunité car les premier et second assistants réalisateurs prennent vraiment leur temps pour tout expliquer !
Quant à mes projets futurs, je travaille sur un court métrage que je voudrais réaliser avec le programme « Quickies », qui offre 500 € pour écrire un scénario et 5000 € pour sa production. L’idée est de réaliser quelque chose de créatif avec peu de moyens et cela m’inspire énormément. J’aimerais également solliciter un autre financement pour un projet plus long avec plus de moyens d’ici la fin de l’année.
Retrouvez toute la programmation de la quinzième édition du LuxFilmFest sur www.luxfilmfest.lu et echo.lu.
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